samedi 25 juillet 2009

Témoignage émouvant de la mère de Sohrab Aarabi (Première Partie)

Texte disponible en Français et en Anglais (voir ci-dessous)
Text available in French and English (see below)




Version Française (Première Partie)

Témoignage émouvant de la mère de Sohrab Aarabi devant le Conseil Municipal de la Ville de Téhéran


Je salue nos amis et le Conseil Municipal de Téhéran. Si on nous considère comme des citoyens, nous avons vraiment beaucoup de choses à dire qui sont restées sur le cœur.

J’ai perdu de vue mon fils le lundi 25 Khordad (15 Juin) lors de la manifestation pacifique qui était organisée pour protester contre l’élection, et à laquelle participaient au moins 3 millions de personnes. J’ai perdu mon fils. Et comme les téléphones portables étaient coupés, j’ai beaucoup cherché. Je l’ai appelé plusieurs fois, je suis partie à sa recherche sur la Place Azadi (Place Liberté) qui est proche de notre domicile. Les scènes étaient tellement atroces que je ne peux pas vous les décrire. Ils utilisaient tellement de gaz lacrymogènes et l’atmosphère là-bas ressemblait tellement à une guerre que depuis j’ai du mal à respirer. Je n’ai pas trouvé mon fils. Je suis donc rentrée chez moi et avec mes enfants et les autres membres de ma famille, nous sommes allées à la recherche de Sohrab dans tous les hôpitaux, tous les commissariats. Nous n’avons rien trouvé. Cet enfant n’avait pas sa carte d’identité sur lui. Il avait un peu d’argent sur lui et m’avait dit qu’il achèterait un peu de pistache sur l’Avenue Enghelaab (Révolution). Il avait 19 ans et préparait ses examens d’entrée à l’université. Il était le fils d’un enseignant qui est décédé des suites d’une tumeur cérébrale et dont la maladie avait duré 4 ans. Pendant 2 ans, son père était alité et ne pouvait se nourrir seul. On était obligés de le nourrir avec une sonde. Pendant tout ce temps, cet enfant m’a toujours accompagnée pour aider son père.

Le lendemain de la manifestation j’ai appelé le 110 et on m’a dit d’aller au commissariat du quartier. J’y suis donc allée pour faire une déclaration. Ensuite, nous nous sommes rendus à plusieurs reprises aux renseignements de Shahpour, au tribunal, puis à nouveau aux renseignements et ainsi de suite. On commençait à nous envoyer d’un endroit à un autre. Et pendant tout ce temps, les gens me disaient : "Soyez certaine, il a certainement été arrêté, vu le climat de l’insécurité". Personne n’osait me dire qu’il pouvait très bien être tué ou blessé aussi, même si je continuais mes propres recherches. Ils avaient annoncé 7 martyrs. Cette semaine là, 5 étaient identifiés et 2, qui étaient apparemment plus âgés, n’étaient pas encore identifiés. Mes enfants sont allés vérifier les identités des 5 premiers martyrs et m’ont dit qu’heureusement Sohrab n’était pas parmi eux. Nous étions un peu soulagés et on se disait que ce gamin était certainement soit arrêté soit blessé. Mais il n’était pas parmi les blessés non plus. On avait cherché partout et vérifié dans tous les hôpitaux. Même si certains hôpitaux ne répondaient pas correctement. D’autres répondaient mieux.

Ensuite je me suis rendue au Tribunal Révolutionnaire pour continuer ma recherche. Là-bas, on n’arrêtait pas de me dire : "Attendez que le nom de votre fils soit dans liste. Rentrez chez vous". Je répondais: "Je suis une mère et je ne peux rentrer et m’asseoir chez moi". Seules les mères peuvent comprendre cela. Je ne pouvais même pas manger. Même maintenant je ne peux pas manger. Comme si ma gorge me serrait. Je ne pouvais que boire des liquides. Je me rendais donc successivement à la prison d’Evine, au Tribunal Révolutionnaire, à la Police et à tous les autres endroits que vous pourriez imaginer. Si je devais raconter toutes ces démarches, il me faudrait écrire un livre. Pour le jour des examens d’entrée à l’université, ils ont déclaré eux-mêmes, c'est-à-dire un employé de la prison d’Evine qui nous a réunis sur la parking de la prison pour nous dire que les familles de ceux dont les noms ne figuraient pas sur la liste et ceux qui n’avaient pas pris de contact téléphonique devaient s’adresser au Tribunal Révolutionnaire. On nous disait : "Si vos enfants ont des examens à passer, ils seront libérés". Et j’ai moi-même vu qu’ils ont libéré 30 prisonniers pour cela. J’étais là-bas nuit et jour. Tout le monde avait fini par me connaître. On a déposé une caution, laissé la carte d’identité de mon frère. Ils m’ont envoyé 3 fax pour me dire que le nom de mon fils ne figurait pas sur la liste des prisonniers (la mère de Sohrab montre la photo de son fils). Ils nous disaient aussi que les sections spéciales de la prison ne fournissaient pas de listes. Je peux préciser les noms des gens qui ont donné ces informations, si nécessaire. Je distribuais à tout le monde des photos de mon fils, des copies de sa carte d’identité, de sa carte d’inscription aux examens. Tous ces efforts n’ont abouti à rien. J’ai fait tout ce qui était en mon pouvoir.

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English Version (First Part)

Sohrab’s mother gives a moving testimony/account to Tehran City Council

I greet our friends and the Tehran City Council. If we’re considered here as citizens, we have much to say that weighs heavy on our hearts.

I lost my son on Monday 25 Khordad (15 June) during the peaceful demonstration organised to protest against the election and attended by least 3 million people. I lost my son. And as mobile phones were cut, I searched all around. I called him several times, and went looking for him at Azadi Square (Liberty Square), which is not far from our home. The scenes I saw were so dreadful that I can’t describe them to you. They were using so much tear gas and the atmosphere there was so like war that since then I’ve had breathing problems. I didn’t find my son. So I went home and, with my children and other members of my family, we went looking for Sohrab in all the hospitals, all the police stations. We found nothing. This youngster didn’t have his identity card on him. He only had a little money on him and he’d told me he was going to buy some pistachios on Enghelaab (Revolution) Avenue.

He was 19 years old and studying for his university entrance exams. He was the son of a teacher who died from a brain tumour and who had been ill for 4 years. His father had been bedridden for 2 years and couldn’t feed himself. We had to feed him with a tube. For all that time, this child always helped me to take care of his father.

The day after the demonstration, I called 110 and was told to go to the local police station. So I went to give a statement. Next, we went several times to the Shahpour branch of the intelligence services, to the Tribunal, then back to Shahpour, back and forth… They began to send us from one place to another. And all this time, people were telling me: "You can be sure he’s been arrested." Given the climate of insecurity, no one dared tell me that he also might well have been killed or injured, even though I continued to search on my own. They announced 7 martyrs. That week, 5 were identified and 2, who were apparently older, had not been identified. My children went to check the identities of the first 5 martyrs and told me that fortunately Sohrab was not among them. We felt a little relieved and told ourselves that the child had certainly been arrested or injured. But he wasn’t among the injured either. We searched everywhere and checked all the hospitals. Although certain hospitals didn’t give any reply at all, others did.

Then I went to the Revolutionary Tribunal to continue my search. There, they kept telling me: "Wait till your son’s name appears on the list. Go home". I replied: "I’m a mother and I can’t go back home and just sit." Only mothers can understand that. I couldn’t even eat. Even now I still can’t eat. It’s as if I had a lump in my throat. I could only drink. So I went repeatedly to Evin prison, to the Revolutionary Tribunal, to the police and all the other places imaginable. If I had to describe all these proceeding, I would have to write a book. For the university entrance exams, they themselves announced, that’s to say an Evin prison employee who gathered us all together on the prison’s car park, that the families of those whose names were not on the list and those who hadn’t got in touch by phone had to contact the Revolutionary Tribunal. They told us: "If your children have exams to take, they will be released". And I myself saw that they freed 30 prisoners for that reason. I was there night and day. Everyone got to know me. We paid bail and left my brother’s identity card. They sent me 3 faxes to say my son’s name wasn’t on the list of prisoners (Sohrab’s mother shows her son’s photo). They also told us that the prison’s special sections did not issue lists. I can give the names of the people who gave this information, if need be. I distributed to everyone photos of my son, copies of his identity card, his exam registration card. All these efforts came to nothing. I did everything that was within my power.

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