jeudi 17 juin 2010

Le mouvement populaire continuera grâce à la connaissance et à l’information – Interview d’Ahmad Batebi

Le mois dernier, je me suis rendu à Washington pour y rencontrer plusieurs personnalités et militants iraniens qui travaillent depuis des années sans répit à rendre audible la voix du peuple iranien. Le deuxième jour, j’ai déjeuné avec quelques amis , dont le militant des droits humains et ancien prisonnier politique Ahmad Batebi. Entre le repas, le thé et les plaisanteries, j’ai pu plus sérieusement interviewer Ahmad sur la politique, les droits humains et le futur de l’opposition iranienne.

Ahmad était fatigué par une longue journée de travail, ce qui ne se ressent pas dans l’interview. Quand il a commencé à parler, l’énergie, la passion et l’amour qu’il porte au mouvement ont immédiatement pris le dessus. A la fin de l’interview, il restait une seule question sans réponse, à laquelle ni Ahmad ni personne d’autre ne peut répondre ; la réponse émergera d’elle-même au fur et à mesure de la progression de l’opposition. « Qu’y a-t-il dans un nom ? »

L’interview s’est faite en Persan et a ensuite été traduite en Anglais. Comme l’interview rentre bien dans les détails, elle a été divisée en deux parties. Les questions choisies pour l’interview sont le fruit d’un travail collectif de l’équipe de P2E.

PREMIERE PARTIE
LE MOUVEMENT POPULAIRE CONTINUERA GRACE A LA CONNAISSANCE ET A L’INFORMATION

Par MARYAM NY

Persian2English: Dans quelle mesure le mouvement pour la Liberté en Iran a-t-il réussi à attirer la population iranienne qui soutient le gouvernement et/ou le régime ??

Ahmad Batebi: En Iran, il y a deux sortes de gens liés au gouvernement, ceux qui ont idéologiquement foi dans le système et ceux qui en reçoivent des avantages et des compensations financières. Le premier groupe, victime d’un lavage de cerveau ou lié par des liens familiaux, ne rejoindra jamais le Mouvement Vert même s’il n’est pas satisfait du gouvernement. Ils préfèreront l’apathie politique et l’inaction. Le dernier groupe rejoindra le mouvement si son financement s’épuise, il n’y fera que de la figuration et son influence sera minimale.

P2E: Pendant la révolution de 1979, les Iraniens des zones éloignées étaient informés des discours de l’ayatollah Khomeiny et des idées révolutionnaires, même si Internet et les satellites n’existaient pas à l’époque. Le clergé se rendait dans les zones rurales et ses prêches tenaient lieu de technologie moderne. Par contre, de nos jours, l’absence de medias indépendants crée une faille contrôlée par le régime iranien. Quels obstacles rencontre la diffusion de l’information et comment contourner la censure d’état ?

Batebi: L’histoire politique récente d’autres pays montre que les réseaux sociaux sont les plus efficaces pour informer et éduquer. Par exemple, quatre étudiants peuvent se rassembler dans un café et partager les informations qu’ils ont avec ceux qui les entourent (qui en feront autant à leur tour). Durant la révolution de 1979 on a ainsi utilisé les réseaux sociaux. Et si aujourd’hui les médias sont beaucoup plus nombreux, ils sont censurés. Nous devons considérer que la censure du gouvernement iranien ne fonctionne pas. La censure existe pour les satellites (en majorité situés à l’étranger), les médias intérieurs et Internet. A l’intérieur de l’Iran on ne peut pas faire grand-chose contre la censure. On ne peut faire tourner un journal sans être sujet à la censure de l’état. Mais les Iraniens expatriés peuvent exercer des pressions sur les gouvernements étrangers pour qu’ils aident le peuple iranien à avoir accès à l’information (c’est-à-dire Internet). Ca ne veut pas dire que chacun d’entre nous doit mettre un média en place pour qu’on l’écoute ou le lise. Nous devons fournir des proxies, des logiciels anti-filtrage et des VPN pour qu’ils puissent choisir ce à quoi ils veulent avoir accès.

P2E: Il semble qu’après la répression brutale et de grande ampleur des manifestations post-électorales de juin 2009, une vague de déception, de pessimisme et de léthargie se soit abattue sur la société iranienne. Si elle persistait, elle pourrait nous empêcher de saisir une opportunité historique sur le chemin de la démocratie. Que suggérez-vous pour raviver l’espoir de la société, son allant, son enthousiasme ? Quel rôle peut y jouer la diaspora iranienne ?

Batebi: Si un mouvement social, quel qu’il soit, n’atteint pas ses buts assez rapidement, le gouvernement s’immunise contre ses effets. Voyez le soulèvement étudiant de l’été 1999. La ville était aux mains des manifestants pendant environ une semaine. Puis il y a eu répression et le soulèvement s’est apaisé. Quelques années ont passé, aucune action n’était plus possible, même lors de l’anniversaire du soulèvement. C’est le cas pour le Mouvement Vert actuellement : les manifestations n’ont pas porté leurs fruits parce que le régime s’est immunisé.

Alors, que faire ?

Il y a trois aspects à prendre en considération :

Premièrement, il faut analyser ce qui entoure le mouvement. Qu’est-ce qui le nourrit ? De quoi dépend sa survie ? L’information et la connaissance Par exemple, si les Téhéranis ne savent pas que les Tabrizis ont protesté la veille, ou si les Iraniens ne reçoivent pas les messages des dirigeants comme Karroubi ou Moussavi, s’ils ne sont pas au courant des manifestations contre Ahmadinedjad devant les bureaux de l’ONU, alors ils retourneront au train-train quotidien. C’est comme ça que le régime étouffe l’information.

D’un autre côté, il faut se souvenir que le peuple iranien fait face à des difficultés économiques. Il doit lutter contre le régime et gagner son bifteck en même temps. C’est beaucoup de pression. En dehors de l’Iran, nous devons travailler le matin et revenir le soir consacrer notre temps libre au mouvement iranien de la liberté. C’est notre principal souci. Mais en Iran, les gens doivent se battre contre le régime et lutter pour joindre les deux bouts, la pression est beaucoup plus intense.

Deuxièmement, il faut faire en sorte que l’information et la connaissance circulent librement dans la société. Il faut que le gouvernement paie plus cher ses violations des droits humains. En d’autres termes, la république islamique ne devrait plus oser jeter les gens en prison aussi facilement. Il faut établir un réseau d’information solide pour propager les nouvelles de nos compatriotes de l’intérieur vers le monde extérieur.

Troisièmement, nous devons prendre de nouvelles mesures comme le boycott de tous les intérêts du gouvernement de coup d’état à l’étranger, comme lors de la conférence de la FAO en Italie à laquelle ni Ahmadinedjad ni Mugabe n’ont été invités à la cérémonie du dîner officiel. Il faut également empêcher Khatam-ol Anbia (GHORB), une entreprise contrôlée par l’IRCG d’atteindre ses buts. Cette action doit être initiée par les Iraniens de l’intérieur.

Il nous faut des informations sur l’Iran dans les médias étrangers, quotidiennement, pour pouvoir influencer les gouvernements étrangers. Il faut que la population des pays qui nous hébergent soit au courant des principaux problèmes de l’Iran. Quand le peuple est informé, il pousse les médias et les politiques ; alors, les gouvernements sont forcés de réagir. Voilà comment atteindre un consensus global.

P2E: Au lendemain des élections, beaucoup ont commencé à militer et à diffuser les informations. Qu’en pensez-vous ? Les militants en font-ils assez ou devrait-on faire plus ?

Batebi: La diffusion de nouvelles et l’information ce n’est pas l’engagement dans des activités sérieuses. Quelquefois, on écrit un article ou on le traduit ou on le poste sur un site Web. Sur une échelle de 1 à 100, tout cela vaudrait 40, il nous faut arriver à 100.

P2E: Comment ?

Batebi: Il nous faut quelqu’un dans les médias que nous tenons informé et que nous invitons aux évènements et aux discussions. Il nous faut obliger cette personne à nous écouter. Il nous faut fournir à cette personne les informations les plus adéquates pour qu’elle les publie. Informer et diffuser les informations n’est qu’une partie de notre travail. Il est plus compliqué d’obliger les médias à couvrir les évènements et à prendre position.

P2E: L’opposition du peuple iranien à la république islamique n’est pas nouvelle. Mais après les élections de 2009, plus de personnes se sont impliquées à l’intérieur comme à l’extérieur de l’Iran. Quels commentaires auriez-vous sur le Mouvement Vert ? En réalité, qu’est-ce que ce mouvement ? Etes-vous d’accord avec le mot « vert » ? Si oui, que veut dire ce mot pour vous ?

Batebi: Traditionnellement, il y a toujours eu une opposition à l’extérieur de l’Iran. Elle était soit monarchiste, ou de gauche et socialiste, Moudjahiddin (MKO) ou liée au Front National. C’est la composition traditionnelle de l’opposition iranienne et la nature de ses opérations est nette. D’un point de vue logique, notre travail est utile quand il est efficace. Il est vrai qu’il y a toujours eu une opposition à ce régime mais quels succès a-t-elle remportés ? L’opposition traditionnelle a-t-elle pu faire quoi que ce soit en Iran ? La réponse est non. Leur travail et leur conduite n’ont pas été bons. On reconnaît leurs efforts, ils ont travaillé dur, mais sans résultat. Le peuple le voit et le comprend. De plus, la population vivant en Iran exprime ses revendications différemment à cause des limites qui lui sont imposées, ses moyens d’expression sont donc différents de ceux de l’opposition traditionnelle.

Aux élections présidentielles de 1997, beaucoup ont voté pour Khatami. Cela ne voulait pas dire qu’ils acceptaient Khatami et sa façon de penser ni qu’ils croyaient à ses habits religieux. J’ai voté Khatami. Cela ne veut pas dire que je défendais sa façon de penser ou même le mouvement réformiste. Ce vote était un message envoyé aux autorités au pouvoir pour leur dire que l’on voulait quelque chose de différent, que nous ne les voulions pas, eux.

Les revendications du peuple d’une société civile qui incarne la liberté d’expression, l’égalité des sexes, les droits des enfants, les syndicats et les étudiants ne se sont pas réalisées. Et la situation a empiré à l’arrivée d’Ahmadinedjad. Puis vinrent les élections de 2009 ou Moussavi, au passé révolutionnaire et qui a travaillé en étroite collaboration avec l’Ayatollah Khomeiny, et Karroubi, qui était dans le même bateau, furent candidats. Le peuple a voté pour eux. De nouveau, ce la ne voulait pas dire qu’ils acceptaient les déclarations et les croyances de Moussavi. Le peuple disait qu’il ne voulait pas ce que demandait le régime qu’il votait pour quelqu’un qui disait quelque chose de différent.

Maintenant, l’opposition qui s’est formée a une structure différente de celle de l’opposition traditionnelle. Les deux sont l’opposition mais sous une forme différente, et maintenant le Mouvement Vert, parlons de lui d’abord.

Pendant la campagne électorale, chaque candidat a choisi une couleur ; le jaune pour Ahmedinedjad, le rouge pour Karroubi et le vert pour Moussavi. Les partisans de Moussavi étant les plus nombreux, le vert est devenu la couleur du mouvement d’opposition. Nous ne sommes pas forcément d’accord avec tout, mais le mouvement Vert possède des caractéristiques distinctes que soutiennent également Khatami, Karroubi et Moussavi il réussit à rassembler toute la population sous une seule et même bannière.

Dans le Mouvement Vert, il y a des religieux et des partisans de la laïcité Tous disent « Nous ne voulons pas de ce régime, nous voulons les droits humains, nous voulons l’égalité homme femme. » C’est la première fois que ça arrive. Tous les mouvements sociaux en arrivent là, graduellement. Il y a bien sûr des personnalités dans le mouvement comme Moussavi et Karroubi capables de mobiliser la population. Certains les considèrent comme les dirigeants d’autres non. Je crois que ce sont des dirigeants mais dans une moindre mesure que le peuple. Par exemple, quand Karroubi annonce que la population devrait participer à l’anniversaire des élections du 12 juin, il se conduit en dirigeant. Mais le peuple aussi. Par exemple, à Ashoura (27 décembre), personne n’avait invité le peuple à sortir, mais il est descendu dans la rue et a manifesté. Donc, tout le monde est un dirigeant parce que chacun rempli ses devoirs.

P2E: Si le Mouvement Vert se définit par Moussavi et Karroubi, cela veut-il dire que le Mouvement Vert désire la république islamique ? Quelques militants s’opposent aux verts à cause de ça et y préfèrent le terme « mouvement populaire ».Cette différence de nom a créé une division interne même si les principaux buts semblent similaires. Que faire pour éliminer cette scission ?

Batebi: On pense que le « mouvement Vert » et le « mouvement Populaire » sont différents, mais ils sont semblables. Nous avons un mouvement démocratique quand un sympathisant « Vert » et un du « mouvement Populaire » sont classés dans le même groupe. La vitalité du mouvement dépend de la capacité de ces deux mouvements de communiquer ensemble et de se trouver un terrain d’entente.

Je pense que si la république islamique est renversée ce sera un désastre car nous n’avons rien d’autre à offrir. Ni Moussavi et Karroubi, ni l’opposition en exil ne peut former un gouvernement. Ils peuvent discuter, se battre et tâcher de trouver un terrain d’entente.

Nous n’avons qu’un seul et même mouvement, c’est le mouvement Populaire. Certains se disent verts, certains de gauche et d’autres monarchistes ou modjahed. Nous n’aurons pas de gouvernement efficace sans la participation de toutes les factions. Par exemple, les Verts devraient comprendre qu’ils ne sont pas les seuls « Verts », puisque tous en font partie.

Au fait, le débat sur les Verts a principalement lieu en dehors de l’Iran. Quand les forces de sécurité tirent sur la foule en Iran et que tout le monde s’enfuit en courant, personne ne pense : « Tu es Modjahed, donc je ne m’enfuis pas avec toi. » Quand quelqu’un est touché par une balle et tombe, on ne dit pas : « Tu es communiste donc je ne t’aide pas. » Ce sont des préoccupations d’Iraniens exilés.

Il nous faut penser comme les Iraniens de l’intérieur. Pour eux, la raison du combat n’est pas importante. Ceux qui disent nous sommes Verts et le mouvement « nous » appartient veulent seulement se démarquer de l’opposition traditionnelle. Ce n’est pas correct. Dans l’Iran de demain, tout le monde y compris les membres du Hezbollah, aura le droit de former un parti politique et de se présenter aux élections. Si l’on vote pour eux, ils seront élus. C’est ça la démocratie !

Pour que le mouvement gagne, il est important de se souvenir que la couleur verte n’appartient pas qu’aux dirigeants de l’opposition. Moussavi a déclaré que nous gagnerons et que le mouvement restera vivant quand toute l’opposition fera partie du mouvement.

Source : http://persian2english.com/?p=11421



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