jeudi 24 juin 2010

Ahmad Batébi - Tout le monde fait des erreurs, nous y compris - 2ème partie

Interview par MARYAM NY



Maryam NY: Je pense que vous serez d’accord : à l’extérieur de l’Iran il doit y avoir davantage d’unité pour soutenir le mouvement populaire. Comment être unis davantage ?


Ahmad Batebi: Nous, Iraniens, pensons que nous sommes les bons et les autres les mauvais. Par exemple, si on dit à quelqu’un de participer à une manifestation, il ou elle répond : « Non, je ne viens pas parce qu’il y aura des monarchistes. »Vous demandez : « Et alors, qui a-t-il de mal à çà ? » Il ou elle répond : « Les monarchistes ont volé l’agent du pays puis ont quitté l’Iran » Vous dîtes alors : « Allons à une autre manifestation » On vous répond : « Non parce qu’il y aura des Modjaheddines (Organisation de Modjaheddines du Peuple) » Vous demandez, « Pourquoi est-ce mal ? » On vous répond « Ils sont partis en Irak au milieu de la guerre Iran-Irak et ont trahi le peuple iranien. ». Alors vous demandez aux monarchistes, aux Modjaheddines et aux communistes de participer à une manifestation. Ils répondent qu’ils ne viendront pas parce qu’il y aura des partisans de Moussavi. Vous demandez : « Et c’est un problème ? » On vous répond : « Moussavi était premier ministre à l’époque des massacres de 1988. » Ce qui montre que nous sommes prompts à juger. « Ca c’est bien » et « Ca c’est mal » Nous pensons avoir raison et être les bons alors que les autres ont tort et sont les mauvais. Le juge qui occupe notre esprit n’est pas un bon juge, mais plutôt une sorte de Saïd Mortazavi* qui ne permet pas à l’adversaire de se défendre. On fait des erreurs. Tout le monde se trompe. Voulez-vous empêcher quelqu’un de se joindre au mouvement à jamais ? La première étape est de dire que nous sommes mauvais et les autres bons. Il faut donc tuer le juge Mortazavi qui occupe notre esprit et admettre que nous faisons des erreurs comme les autres.


Maryam: A votre avis, Moussavi devrait-il expliquer le rôle qu’il a joué dans les massacres de 1988 ?


Batébi: Non, pas maintenant. Je ne suis pas un « moussaviste ». Je crois que les gens doivent voter parce que j’ai foi en la participation active. Je dis que si tout le monde vote, alors chacun a le droit de revendiquer. Le mouvement a gagné en solidité à cause de la participation massive. Quand ils demandaient « où est mon vote ? », il n’y aurait pas eu tant d’ « actionnaires » demandant leur part s’il y avait eu boycott. Je n’ai pas voté pour Moussavi et je ne l’aimais pas beaucoup car je le pensais un peu conservateur et il veut toujours que l’Iran retourne à ses origines [1980]. Cependant, au fil du temps, j’ai compris que je me trompais beaucoup au sujet de Moussavi. Il est vrai que mon mode de pensée est différent du sien. Je suis laïc et nous ne partageons pas beaucoup de points de vue en ce domaine ; cependant, je lui porte beaucoup de respect parce qu’il s’est élevé en protestant pour les droits du peuple. Si nous voulons éliminer le Mortazavi qui squatte notre esprit et le juger de façon réaliste, alors l faut reconnaître qu’à l’époque où il était premier ministre, les trois pouvoirs, législatif, exécutif et judiciaire étaient séparés en Iran. Mettons-nous à sa place, en 1988, en plein milieu de la guerre et des conflits et alors que Khomeiny était encore en vie et doté d’un tel charisme, que fallait-il faire ? Aurait-il fallu tuer Khomeiny ? S’opposer à la justice ? L’ambiance et l’atmosphère ne permettaient pas à Moussavi de faire quoi que ce soit. Néanmoins, Moussavi devra un jour expliquer les problèmes de l’époque, qui était responsable et le rôle qu’il a joué. S’il a commis une erreur, il devra s’en excuser devant le peuple, s’il n’en a pas commise, il devra l’expliquer. Il doit le faire, mais le faire maintenant serait de l’auto flagellation. Quand le mouvement sera vainqueur, nous aurons tout le temps nécessaire pour lui demander de s’occuper du problème.


Maryam: J’ai suggéré que Moussavi reconnaisse les massacres pour davantage d’union au sein du peuple.


Batébi: Une telle reconnaissance n’est importante que pour réunir les gens hors d’Iran, pas pour ceux de l’intérieur. Pour le peuple iranien, il suffit que Moussavi ait eu le courage de s’élever contre le pouvoir. Nous qui vivons en dehors du pays ne pouvons pas décider pour le peuple iranien. Cette demande émane de la diaspora. Je crois aussi qu’il faut qu’il s’explique mais nous avons des problèmes plus importants à régler pour l’instant. Le peuple iranien veut que le mouvement continue d’exister. Il vaut mieux que Moussavi fasse montre de courage et tienne ses positions comme Karroubi. Nous aurons tout le temps plus tard pour ces discussions.


Notes des traducteurs :
* A l’été 1988, à la fin de la guerre, Khomeiny a ordonné que tous les prisonniers politiques refusant de se repentir soient exécutés. Des milliers de prisonniers politiques, dont certains avaient fini de purger leur peine mais étaient encore illégalement détenus, furent alors brutalisés et exécutés en masse après de courts interrogatoires. Ils furent enterrés dans des tombes anonymes à Khavaran à l‘est de Téhéran. Aucune information n’est disponible sur ceux qui ont ete exécutés en province.


** Saïd Mortazavi fut juge spécialisé dans les medias, procureur de Téhéran et vice procureur d’Iran. Il est responsable de la fermeture de publications et de journaux critiques ou dissidents et de l’emprisonnement de journalistes. Il est le principal suspect de deux dossiers importants : la mort de la journaliste Irano Canadienne Zahra Kazémi et du dossier du centre de détention de Kahrizak où des manifestants ont été battus, torturés, affamés, humiliés, violés et assassinés. Il est célèbre pour un langage inapproprié et des méthodes injustes, intimidantes et brutales. Il n’a jamais été mis en accusation. En décembre dernier, Ahmadinedjad l’a nommé responsable du bureau luttant contre la contrebande de biens et de devises étrangères.






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