dimanche 20 juin 2010

Tadjzadeh: Les réformistes devraient demander pardon à la nation

Par MOHAMMAD SAHIMI, Los Angeles

15 JUIN 2010

Seyyed Mostafa Tadjzadeh est né à Téhéran en 1956. Après son diplôme d’études supérieures en sciences politiques, il part poursuivre ses études aux Etats-Unis en 1975 pour presque trois ans. Il milite dans l’association des étudiants islamiques, un groupe politique opposé au Shah Mohammad Réza Pahlavi. En 1978, quand la révolution de 1979 commence à prendre de l’élan, Tadjzadeh rentre en Iran où il fonde Towhidi-ye Khalgh avec Hassan Vaézi, Homayoun Khosravi, et Seyyed Mahmoud Yasini, militant contre le Shah. Après la révolution, le groupe de Tadjzadeh fusionne avec six autres organisations islamiques pour former l’organisation des Modjahedines de la Révolution Islamique (OIRM) [à ne pas confondre avec l’organisation des Modjahedin-e-Khalq (MKO)]. L’OIRM est l’un des principaux groupes réformistes d’Iran.

Tadjzadeh milite dans les comités de la révolution islamique et dans l’OIRM. Sa carrière politique débute en mai 1982 quand il rejoint le ministère de la culture et de la guidance islamique (Ershad). Il y travaille en étroite collaboration avec l’ancien président Mohammad Khatami qui dirige l’ershad dans le cabinet de Moussavi ainsi qu’avec le premier cabinet de l’ancien président Ali Akbar Hashemi Rafsandjani. Tadjzadeh finit par être promu premier adjoint de Khatami au ministère. Sous la pression des réactionnaires, Khatami démissionne du ministère en 1992 et Tadjzadeh également. Après l’élection à la présidence de la république de Khatami en 1997, Tadjzadeh est nommé vice-ministre de l’intérieur pour les questions de sécurité et de politique, dépendant uniquement du ministre Abdullah Nouri, un religieux progressiste.

Les élections au 6ème parlement se tiennent fin février 2000 sous la supervision de Tadjzadeh. Le conseil des gardiens (GC) disqualifie relativement peu de candidats et les élections sont donc très disputées. Les réformistes raflent 30 sièges pour la région de Téhéran, un bouleversement pour le GC et les conservateurs. Le GC commence alors à prétendre qu’il y at eu des irrégularités dans plusieurs bureaux de vote. Ils commencent par ordonner un recomptage puis annulent sans aucune preuve environ 700.000 votesàa Téhéran ; c’est le début d’une lutte féroce entre Tadjzadeh et le GC.

Le but principal du GC est de faire élire Rafsandjani et Gholam-Ali Haddad Adel à Téhéran. A l’époque, Rafsandjani est l’objet d’attaques féroces de la part des journalistes réformateurs et appartient donc au camp conservateur. La fille d’Haddad Adel est mariée à Mojtaba Khamenei, le fils du guide suprême. L’autre but du GC est d’empêcher l’élection du Docteur Ali Réza Radjaéi, journaliste proche de la coalition nationale religieuse.

Tadjzadeh insiste : il n’y avait pas eu d’irrégularités et déclare que ces élections étaient « les plus propres et les plus libres » dans l’histoire de la république islamique, ce qui est vrai. Il est clair que Tadjzadeh ne se dérobera pas, l’ Ayatollah Ali Khamenei ordonne alors au GC d’accepter le verdict populaire. Le GC a néanmoins atteint ses buts ; empêcher l’élection du Docteur Radjaei, Haddad Adel est élu à sa place. Rafsandjani, bien que 20ème à Téhéran en termes de nombre de votes, démissionne et ne siègera jamais au 6ème parlement.

Le GC traîne Tadjzadeh en justice ; en réponse Tadjzadeh porte plainte contre l’Ayatollah Ahmad Djannati, un religieux réactionnaire puissant, secretaire général du GC, l’accusant de tentative de fraude electorale. Le proces n’eut jamais lieu, Djannati étant trop puissant pour être jugé ! Mais Tadjzadeh lui, est jugé en mars 2001. Lors du procès, il se heurte à plusieurs reprises avec le juge Nasser Daghighi ; il déclare : « Certains sont en colère à propos de la façon dont le peuple a voté l’année dernière ». La cour « condamne » Tadjzadeh à un an de prison avec sursis, et lui interdit toute fonction gouvernementale pendant trois ans, espérant ainsi s’en débarrasser. En 2004, la période de trois ans étant arrivéeàa expiration, Khatami nomme Tadjzadeh conseiller principal, poste qu’il garde jusqu’en août 2005, début du premier mandat d’Ahmadinedjad.

Tout de suite après les élections présidentielles truquées de juin 2009, Tadjzadeh est arrêté par les forces de sécurité et passe des mois au secret. Il est le seul à bénéficier d’une libération temporaire sans caution, ayant refusé de mettre en place quelque caution que ce soit. Il a été opéré pour des problèmes de dos sérieux.

Il est marié à Fakhr al-dîn Mohtashamipour, personnalité politique, militante féministe, qui a franchement critiqué les durs pendant toute l’année dernière. Ils ont deux filles Arefeh et Fatemeh. Tadjzadeh est aussi doctorant de sciences politiques de l’université de Téhéran mais n’a pas pu terminer ses études.

Tout au long de sa carrière politique, Tadjzadeh n’a jamais pris de voie détournée : franc, honnête, parlant clair, direct. C’est un haut fonctionnaire sans tâche et un réformiste progressiste.

Dans une analyse très importante de la situation actuelle posté sur le site de Mir-Hossein Moussavi, Kalameh, Tadjzadeh analyse plusieurs problèmes importants auxquels la nation doit faire face. Le plus important à mes yeux et qu’il réévalue de façon critique le passé des réformistes et le rôle qu’ils ont joué dans la genèse de la situation actuelle en Iran. Il critique la position des réformistes sur la répression du début 1980 et l’exécution de milliers de prisonniers politiques.

A l’époque, les réformistes d’aujourd’hui étaient appellés « ceux qui suivent la voie de l’imam » et étaient [et sont toujours] pour la plupart des islamistes de gauche. « Imam » désigne l’Ayatollah Rouhollah Khomeiny dont les réformistes actuels étaient de fervents supporters [beaucoup clament leur fidélité a de nombreux principes de l’ayatollah]. Ce qui suit est la première partie de l’analyse de Tadjzadeh qui est, à mes yeux, un document historique important.

Père, Mére, on nous accuse de nouveau

Tadjzadeh commence son analyse en expliquant que son incarceration lui a donné l’occasion de débattre avec ses interrogateurs, des durs du régime. Au cours du processus, il s’est vite rendu compte de l’énorme fossé existant entre sa façon de penser et la leur. Il compare alors le système politique idéal des durs et le sien.

Un système politique qui mesure son pouvoir à la façon dont il oblige à avouer et à se repentir contre un autre qui le mesure à l’aune de discussions libres et de débats dans la presse.

Un système politique qui considère toute opposition ou critique comme un complot contre un autre qui corrige sa ligne de conduite suivant les critiques de l’opposition.

Un système politique qui prive ses citoyens de leurs droits les plus élémentaires comme le droit de voyager librement et les empêche de se rendre à l’étranger et crée toutes sortes de contraintes applicables à tous sauf à ses propres partisans contre un qui encourage le libre choix dans la société et lors des élections.

Un système politique dans lequel le pouvoir réside essentiellement dans la force armée et qui considère le pays tout entier comme une grande caserne dans laquelle personne n’ose demander « pourquoi et comment » contre un autre dans lequel le peuple possède la nation et où les casernes sont le reflet du pays.

Un système politique dans lequel l’étude des caractéristiques, de l’éducation et de l’intelligence des prisonniers politiques révèle qu’ils sont l’élite de la nation contre un autre dans lequel ces mêmes personnes soit dirigent la nation en tant que membres du gouvernement, soit la représentent en tant qu’élus du parlement ou de la société civile et jouissent de la plus totale sécurité.

Un système politique terrifié par les manifestestations pacifiques de ses citoyens et par leurs cris d’ « Allah o Akbar » depuis les toits de leurs maisons contre un autre qui considère ces manifestations comme un droit citoyen et une base pour améliorer et renforcer le système politique.

Un système politique dans lequel les groupes et partis politiques sont interdits d’activité dans le cadre de la constitution, même en temps de paix et de stabilité, dans lequel la condition pour la libération de prison et de détention illégale des dirigeants et membres de ces groupes et partis est la cessation de toute activité politique, contre un autre qui a dirigé la nation pendant la première décennie qui a suivi la révolution, ou, en dépit de la guerre, les dirigeants des groupes politiques ne furent jamais arrêtés.

Un système politique dans lequel l’indépendance de la justice veut seulement dire ignorer les revendications et les droits du peuple, qui durant des simulacres de procès « condamne » l’élite de la nation et la prive de ses droits contre un autre dans lequel les juges sont vraiment indépendants de l’élite au pouvoir, imperméables aux pressions des groupes de sécurité, de renseignement et de l’armée, et n’agissent qu’en conformité avec la loi.

Un système politique dans lequel les jeunes ayant fait des études veulent quitter le pays une fois le bac en poche, dans lequel chaque foire aux livres nous rappelle l’inquisition, dans lequel les étroites cellules d’isolement sont plus petites que les pièces nécessaires pour entreposer les récompenses qu’ils ont gagnées à l’étranger, contre un autre, celui que l’Imam a promis au peuple à Paris [à l’automne 1978].

Un système politique qui se classe premier en matière d’inflation et de corruption et dernier en matière de croissance économique, où presque la moitié de la population vit sous le seuil de pauvreté, où le secteur public est considéré comme rival et même ennemi d’un secteur public dont le principal but est de l’affaiblir, où les investisseurs préfèrent investirent à l’étranger, où les importations dérégulées et non maîtrisées ont écrasé la production intérieure à cause de la stratégie du gouvernement « tout ce dont l’Iran a besoin ce sont les comités d’aide ». Un tel système peut-il être un exemple de gouvernment efficace dans la région ?

Un système politique qui condamne la dictature, les membres du Conseil de Sécurité de l’Onu, le contrôle des médias par une poignée d’individus, qui accuse les Etats-Unis d’appliquer deux poids deux mesures, n’a pas moralement le droit d’user des mêmes stratagèmes à l’encontre de ses propres citoyens.

Un système politique dans lequel « le bonheur est perdu » [paraphrase du poète Shafiei Kadkani], qui se classe à la première place pour l’interdiction de sa presse et l’emprisonnement de ses journalistes, dont le processus de disqualification des candidats aux élections est pire que ceux appliqués en Irak, en Afghanistan, au Liban et en Palestine ne peut prétendre être le libérateur de ces mêmes nations et un modèle pour le monde musulman.

Dans le système politique qui a mes faveurs, les séminaires religieux sont indépendants, les universités ne sont pas des casernes, les professeurs émérites à l’esprit indépendant ne sont pas contraints à la retraite ou licenciés ; les étudiants ne sont pas classés selon leurs activités politiques, ne sont pas expulsés en masse, la mixité de l’université n’est pas un problème pour ses dirigeants, les étudiants ne sont pas contraints de suivre les ordres de l’administration de l’université pour obtenir leurs diplômes.

Dans le système politique qui a mes faveurs, les fonctionnaires réfléchissent aux solutions à apporter au chômage, à la dépression, au désespoir et à l’addiction de la jeunesse, et ne s’occupent pas du maquillage ou des vêtements des femmes tout en prétendant s’attaquer à la corruption sociale et culturelle, en autorisant les programmes télé par satellites étrangers sans difficulté, mais fermant les sites Web. Dans mon système politique, le mensonge n’est pas une façon de gouverner.

Dans mon système politique, qui émane de la glorieuse révolution, ne pas révéler l’existence de Kahrizak est honteux, la constitution n’est pas un outil de répression du peuple mais un document qui représente le sang des martyrs et le vote du peuple, un document qui garantit les droits du peuple et sa liberté, l’application de l’article 27 [qui autorise les rassemblements pacifiques] et des autres droits humains du peuple comme la formation de partis politiques, une presse libre, l’interdiction de la torture, une peine de mort qui ne serait pas appliquée à la légère, l’indépendance du pays, l’intégrité de son territoire et la protection des intérêts nationaux.

Mon système politique n’attaque pas les cités universitaires tous les 10 ans. C’est un système politique fondé par le dirigeant de la révolution dont le mot d’ordre était «le critère, c’est le vote du peuple » qui a défendu le droit de chaque génération à décider de son propre sort. Dans ce système politique, les minorités ethniques, culturelles et traditionnelles ne sont pas considérées comme des menaces contre l’unité nationale.


De la révolution de velours au trouble à la circulation

Tadjzadeh déclare ensuite que lui et ses camarades ne voulaient pas renverser le système et n’ont pas enfreint la loi. Après le début des interrogatoires, les enquêteurs ne pouvaient plus défendre « une société qui parle d’une seule voix » ou appeler leurs sympathisants « le parti de Dieu » et ceux de l’opposition « le parti de Satan ». Ils étaient forcés d’admettre qu’ils étaient en faveur d’une société à plusieurs voix et ont déclaré que « la méthode de Kayhan ne résoudra pas les problèmes » [allusion à l’organe des durs qui accuse de larges pans de la société d’être des agents à la solde de l’étranger, anti-islamiques et anti-iraniens]. Il explique ensuite qu’il a été accusé de favoriser une révolution de velours pour renverser le système politique.

Attention. C’est une accusation à double tranchant qui, avant de couper les mains du peuple, coupera les vôtres, car elle sous-entend que la république islamique d’Iran est semblable aux régimes communistes ou apparentés qui furent renversés par des révolutions de velours.
 
Mon système politique est basé sur les trois piliers de la république, l’islam et l’Iran, ce qui est totalement différent des régimes communistes qui n’ont pas réussi à interpréter le marxisme de façon démocratique ; mon système lui peut interpréter l’Islam de façon démocratique.

J’ai rappelé à mes interrogateurs que toute accusation portée contre nous doit, selon la constitution et la législation en vigueur, avoir des bases légales et non idéologiques, et, même s’il y a un aspect politique ou idéologique, il doit être discuté librement en public, pas en prison durant les interrogatoires. Si, malgré ses erreurs et quelques mesures extrêmes, je peux encore défendre la république islamique tout en protestant contre l’emprisonnement du corps malade de Hadjarian [il est a moitié paralysé], contre la bastonnade du fils de Mehdi Karroubi dans une mosquée, les insultes proférées à son encontre, contre les bastonnades et les blessures des meilleurs de nos enfants dont le seul « péché » était de réclamer leurs votes et de revendiquer leurs droits, contre l’attaque à l’encontre de ceux qui pleuraient Hossein et le fait de les jeter depuis les ponts, et contre le fait que tout ceci à été commis au nom de Dieu, c’est parce que nous avons foi en les mots de l’ancien dirigeant de la révolution qui disait que bafouer le moindre droit du peuple était bafoué, c’était fouetter les épaules du prophète Mahomet. C’est ce genre d’interprétation de l’Islam qui nous a donné notre glorieuse révolution, pas celle de Mesbah, qui, à l’époque, ne s’occupait que de discréditer le Docteur Shariati (1933-1977) et d’alléger la charge de travail de la Savak.

Tadjzadeh mentionne le trouble à la circulation qui figure parmi les accusations portées contre certains dirigeants réformistes dans la journée du 15 juin 2009, lors des manifestations énormes à Téhéran, les procureurs ne trouvant aucune autre base légale d’accusation.


Mes Confessions

Devant la jeune génération je déclare que le système politique issu de la révolte et la constitution pour laquelle nous avons voté ne sont pas ceux que les forces armées considèrent comme leur propriété personnelle, se rangeant dans la même catégorie que les forces armées du Pakistan et de Turquie. Cette déclaration est absolument nécessaire car l’image donnée de la république islamique en prison, dans la presse officielle et ailleurs est très laide et « à la ressemblance de Frankenstein ». Ils essaient de faire croire que l’Imam était semblable à Djannati et Mesbah, mais ne reconnaissent pas que de telles comparaisons erronées ne justifieront en rien la dictature et la répression ; elles ne feront qu’aider la jeune génération à rejeter en bloc la religion, ce qui se produit déjà et que Motahhari (1920-1979) avait déjà dénoncé….
 
Quand les enquêteurs me rappellent certaines fautes de la première décennie de la révolution et m’appellent moi et ceux qui suivent la voie de l’Imam, les réformistes actuels, des « fascistes », je leur rappelle la conduite fasciste actuelle qui a lieu devant les yeux de la nation entière, et j’ai expliqué que tout le monde avait fait des fautes à l’époque, mais aujourd’hui, au lieu de perpétuer les aspects positifs de l’époque, ils réitèrent les mêmes fautes alors que le pays n’est pas en guerre et ne souffre pas d’un terrorisme aveugle et à grande échelle. C’est pourquoi nous ne pouvons pas les considérer comme des fautes mais comme le résultat de l’inexpérience révolutionnaire.

Notre faute fut de ne pas résister aux erreurs des tribunaux révolutionnaires, même si ceux qui suivaient la voie de l’Imam ont écrit une déclaration en 10 points au procureur général au printemps 1360 [1981] [déclarant que tous les groupes politiques étaient libres d’agir tant qu’ils se tenaient éloignés de la lutte armée et que leur action était pacifique] mais n’ont pas pu (et le terrorisme aveugle de 1981 et la guerre qui nous a été imposée nous en a empêché) mettre cette déclaration en application avant que toutes les dérives anti-démocratiques ne soient éliminées. La catastrophe c’est qu’en temps de paix et en l’absence d’attaques terroristes, au lieu d’élargir les libertés dont certaines ont survécu à la guerre, une faction politique tente de façon non démocratique, en ignorant et niant beaucoup de réussites de l’époque de la défense sacrée, ils répétent nos erreurs de l’époque révolutionnaire et transforment les exceptions de cette époque en règlements.

Je vais le dire aussi clairement que possible, notre faute ce fut notre silence consentant sur les tribunaux révolutionnaires ; mais les arrestations en masse de critiques respectant la loi, transformer des citoyens manifestant en « Kahrizaki » [ce qui veut dire, les torturer, les violer et même les tuer dans des centres de détention comme celui de Kahrizak], leur tirer dessus est tellement répugnant que ce ne sont plus des « erreurs ». Nous devons donc avouer, mais pas lors de simulacres de procès et pas de la façon dont les enquêteurs veulent que nous le fassions pour des délits que nous n’avons pas commis, mais face à la nation et sur des bases factuelles. La génération de la révolution doit avouer, mais pas ses efforts actuels pour plus de démocratie, de droits humains. Nous avons bien sûr essayé de tirer les enseignements de nos fautes et d’amender notre conduire et notre manière de penser après la guerre.

Dans le même temps, j’avoue que si nous avions protesté contre le traitement inapproprié réservé à l’ayatollah Shariatmadari (1905-1985) [accusé d’être un monarchiste, défroqué et assigné à résidence jusqu’à sa mort] pour préserver la dignité des maraadje [source d’inspiration, désigne les grands ayatollahs] nous n’en serions pas là : la dignité et le respect dus à de tels « mardja » comme feu l’ayatollah Montazéri, les ayatollahs Vahid Khorassani, Moussavi-Ardabili, Sanei, Bayat Zandjani, Dastgheyb Shirazi, Tahéri Esfahani, Djavadi Amoli sont oubliés même par la télédiffusion nationale ; même le domicile et le bureau du petit-fils de l’Imam et le mausolée de l’Imam, même ceux de feu Sadoughi [assassiné par le MKO] et Khatami [père de l’ancien président] ne sont plus à l’abri.

Donc, si fautes il y a eu, et il y en a eu, ce ne sont pas celles que les enquêteurs pensent, et si nous devons avouer et demander pardon, ce qui est notre devoir moral, c’est pour le traitement inapproprié reçu par Bazargan (1907-1995) et le Docteur Sahabi (1905-2002). Nous devons aussi demander pardon à tous ces militants politiques qui ne voulaient qu’avoir des activités politiques légales, mais dont les droits furent bafoués sous diverses prétextes. Nous devons demander pardon aux citoyens pour leur avoir imposé un certain style de vie et avoir empiété sur leur vie privée. Nous, les Iraniens moyens, pensions que nous pouvions fermer les vignes sans ouvrir la porte aux prétextes. Notre erreur fut de sacraliser des activités séculières, nous ignorions que beaucoup de choses sacrées ne le seraient plus. Notre faute la plus grave fut d’étendre les relations politiques de l’époque esmat [innocence, se réfère à l’ère du prophète Mahomet et des imams shiites] à l’époque Gheybat [cachée, l’époque où le Mahdi, le 12ème imam shiite est caché dans l’attente de son retour]…Le résultat fut l’affaiblissement des croyances religieuses de notre jeunesse… Nous aurions du déclarer que, contrairement à toutes les autres révolutions, les violations des droits humains ne sont ni légales, ni islamiques, ni morales, quelles que soient les conditions, même en temps de guerre et de terrorisme. Nous n’aurions pas du utiliser la trahison de certains comme excuse pour dévier des voies légales et humaines.

Donc, de mon point de vue, la condition nécessaire pour affronter ceux qui veulent nous forcer à « avouer » c’est de révéler et de condamner leurs agissements, c’est aussi de demander pardon à ceux qui furent vraiment opprimés et d’accepter que, si nous avions rempli nos devoirs moraux et nationaux en temps en en heure, nous n’aurions pas été piégés par des aveux et des actes de repentir sous la contrainte. Donc, à la suite du Docteur Shariati, je dis à ceux de ma génération : « Père, Mère, nous sommes de nouveau accusés, non par les interrogateurs mais par la génération actuelle. » Si nous nous considérons comme des partisans de la révolution islamique et des défenseurs du principe : « Chaque génération doit décider de son sort. », nous devons préparer les conditions nécessaires à ce que les promesses de Neauphle-le-Château et Béhesht-é Zahra puissent se matérialiser [l’ayatollah Khomeiny y avait promis un système politique démocratique]

Il ne faut pas reporter la haine ressentie dans les prisons à l’intérieur de la société ; de la même façon, il ne faut pas permettre que les erreurs de l’époque révolutionnaire se répètent de nos jours. Ce qui veut dire que nous acceptons nos propres fautes et que nous sommes prêts à répondre aux accusations de la nouvelle génération. Si nous n’avouons pas nos fautes à la nouvelle génération, alors les conditions seront favorables à l’émergence de ceux qui justifient leurs fautes les plus graves par les nôtres. Nous ne pouvons pas prétendre adhérer à la déclaration de Paris sur la démocratie, les droits humains, la liberté d’expression, la presse, les partis politiques, la radiotélévision nationale, le droit des femmes et des ethnies, les élections libres, la république et son lien à l’islam, sans parler franchement des racines, des raisons, des obstacles et des erreurs qui les empêchent de se matérialiser.

En d’autres termes, si le groupe politique qui porte l’étendard de l’interdiction du militantisme politique a traîné les membres des campagnes électorales en justice et présente nos erreurs de la première décennie de la révolution comme des aspects positifs de la révolution ; nous devons également clairement déclarer à la nation iranienne ce que nous considérons comme des erreurs commises par nous et ce dont nous sommes fiers. Ce serait l’opposé de ce que le parti des casernes fait en prétendant que les erreurs de la première décennie de la révolution et leur répétition ne sont qu’une façon « révolutionnaire » de protéger le régime politique et d’essayer ainsi de fermer les portes à jamais à une presse libre, à des partis politiques libres et à des élections libres.

Si je n’accepte pas l’invitation [des interrogateurs à avouer] ; je considère par contre de mon devoir de répondre aux questions de la jeune génération demandant pourquoi et comment dans le système politique résultant d’une des révolutions les plus populaires de l’époque contemporaine, la pensée de Mesbah gouverne et a pris la place de la voie parlementaire de Modarres (1870-1937). Comment les médias officiels, manipulés par certains, traitent une grande majorité du peuple de « poussière », de bétail et d’enfants au lieu de s’excuser de leurs agissements illégaux, tentent d’emprisonner les militants de la campagne électorale au secret et les forcent à s’excuser. Pourquoi les erreurs des tribunaux de la première décennie refont surface en la personne de Mortazavi [ancien procureur de Téhéran]. Pourquoi la télévision qui diffusait les débats politiques libres au printemps 1360 (1981) est-elle devenue ce qu’elle est aujourd’hui. Pourquoi le Kayhan de Seyyed Mohammad Khatami [rédacteur en chef dans les années 80s] est devenu le Kayhan de Shariatmadari [rédacteur en chef actuel]. Comment Sadegh Laridjani a remplacé le Docteur Behesti (1928-1981) [assassiné par le MKO] et Rahimi [premier vice-président et accusé de corruption sur une grande échelle] a remplacé le premier ministre de l’imam [Moussavi]. Comment Seyyed Ahmad Khatami [religieux dur, sans relation avec Mohammad Khatami] a remplacé Taleghani (1911-1979) [religieux progressiste très populaire]. Nous devons nous excuser de la part que nous avons prise dans la création de cet état de fait et en discuter les raisons et les racines.

Les excuses auprès de la nouvelle génération ne devraient pas se limiter à ce que j’ai brièvement décrit. Elles doivent se faire dans une atmosphère de débat et d’échange d’idées, et il y a peut-être de nombreuses autres erreurs que j’ignore, mais la nouvelle génération peut m’en informer par ses critiques constructives.

Quoi qu’il arrive à Tadjzadeh, une chose est claire. C’est un patriote qui a servi la nation avec honneur et dignité, a fait de grands sacrifices, a toujours été un réformiste fier et a toujours défendu un Iran démocratique. Son manifeste, son honnêteté absolue pour admettre les erreurs commises par les réformistes représentent un grand tournant dans l’histoire du mouvement réformiste/Vert/démocratique et lui sera grandement utile.

Source :http://www.pbs.org/wgbh/pages/frontline/tehranbureau/2010/06/tajzadeh-reformists-should-ask-the-nation-for-forgiveness.html



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