mercredi 16 juin 2010

Pour Shirin et Farzad et les autres martyrs du 9 Mai

En ce samedi 8 Mai 2010, quand les détenus de la prison d’Evin ont appris que les lignes téléphoniques étaient coupées, ils savaient par expérience que cela ne présageait rien de bon. 

Farzad avait annoncé à Majid qu’il allait être transféré à la section 209. L’inquiétude grimpait parce que tout le monde savait qu’en général, le transfert de prisonniers pour des exécutions avait lieu le samedi après-midi.

"C’est rien. Ils veulent nous poser quelques questions je suppose", disait Farzad à ses amis pour les rassurer tel un grand frère. Farzad savait, mais il avait comme toujours un tel moral qu’il ne laissait rien transparaître. C’était à peine croyable. Ils étaient ensemble à la bibliothèque quelques minutes auparavant. Ali aussi, qui avait dû arrêter son match de volley, s’était lavé le visage et se préparait. Normalement, tous les jours à cette heure-là, après le sport, Ali venait pour préparer ses cours de physique avec Majid. Il voulait passer les quelques matières qui lui manquaient pour son baccalauréat en juin puis préparer le concours d’entrée à l’université. Avec un tel moral, personne ne pouvait croire qu’il était condamné à mort. Farzad aussi préparait le concours d’entrée à l’université. Mais c’est l’histoire de ses fiançailles et de son mariage qui était vraiment incroyable. Face au moral et à l’énergie de la jeune fille qui avait accepté d’épouser un condamné à mort, un sentiment d’humilité s’était emparé de Majid. 

Farzad était toujours souriant et plein d’espoir face aux difficultés, même dans les moments de larmes et de sang, lors des interrogatoires et à l’énoncé des verdicts injustes du tribunal révolutionnaire. Lorsqu’il est arrivé à Evin en provenance de la prison de Sanandaj, il avait le corps martyrisé. Il portait une minerve, avait l’épaule luxée et les dents brisées mais sa volonté et sa détermination s’en étaient encore accrues. 

Ali et Farzad avaient déjà été transférés l’année passé de la prison de Rajai-Shahr au quartier 240 de la prison d’Evin pour être pendus. Ils étaient à l’isolement dans l’attente de l’heure du bourreau, à 4 heures du matin. Même dans ces moments d’angoisse, alors que tout le monde redoutait le pire, Farzad trouvait les mots pour tenter de remonter le moral de ses amis. Il disait que tout allait bien se passer. 

C’est là qu’on pouvait comprendre que même dans les pires conditions, un être humain peut réaliser de grandes choses. Quand Farzad montrait aux autres prisonniers comment résister contre les pires tortures et les accusations les plus grotesques. Quand il leur prouvait qu’on pouvait mourir plusieurs fois dans une salle d’interrogatoire et dans les étouffantes cellules d’isolement sans renier ses croyances. Il était en quelque sorte le maître. Un maître qui a enseigné qu’il était possible d’être toujours souriant et de porter un regard humain sur tout le monde, quelques soient les différences et les divergences. 

Farzad racontait que son interrogateur lui avait un jour dit: "vous vous moquez bien de nos gueules quand vous étudiez en prison ou vous voulez vous marier". 

Ce samedi là, même si évidemment Farzad le savait, il ne voulait surtout par dire au revoir aux autres, ni les laisser l’embrasser et le serrer dans les bras. Il leur disait qu’il allait les revoir le lendemain. 

A quelques mètres de là, dans la section des femmes, Shirin travaillait ses équations car elle se préparait à un examen de mathématiques qui devait avoir lieu dans deux jours. 

Shirin qui était née le 3 juin 1981 dans une famille extrêmement pauvre près de la ville kurde de Makou avait été brutalement arrêtée par les gardiens de la révolution deux ans auparavant. Shirin qui avait été soumise à d’affreuses tortures physiques et psychologiques avait héroïquement résisté ces derniers jours à ses interrogateurs qui lui demandaient de renier son identité kurde et de faire des aveux télévisés. Shirin qui au début de sa détention ne parlait même pas le persan et par conséquent ne comprenait pas un seul mot de ce que ses interrogateurs lui demandaient avait progressivement appris le persan en prison et s’était promis d’aller à l’université pour faire son droit pour pouvoir un jour défendre les droits de ses compatriotes. Shirin qui était adorée par ses co-détenus était celle qui partageait le peu d’argent ou de vêtements qu’elle avait avec les nouvelles arrivantes. 

Ce samedi soir, des gardiennes sont venues appeler Shirin en lui disant qu’elle avait mal orthographié le nom de son père. Mais quand la porte de sa cellule s’est brutalement refermée derrière elle sans que les gardiennes ne lui laissent remettre son uniforme ou prendre son écharpe noire, quand elle a ensuite été traînée en dehors du quartier, elle l’a compris. Shirin ne voulait pas partir. Elle attendait au moins qu’on lui dise où on l’emmenait. "Je suis entre vos mains alors pourquoi ne pas me laisser au moins dire adieu à ma famille? Laissez-moi dire mon dernier au revoir à mes amies. Pourquoi tant en faire quand je n’ai aucune possibilité d’évasion. Pour l’amour de Dieu, laissez-moi entendre la voix de ma mère pour la dernière fois…".

C’est ainsi que Shirin et Farzad ont été traînés vers la quarantaine de la monstrueuse prison d’Evin.

Farzad s’est certainement avancé d’un pas ferme et décidé vers le lieu d’exécution. Il avait promis à maintes reprises à ses amis qu’il ne laisserait jamais le clan des tyrans haineux retirer le tabouret de sous ses pieds. Il avait promis qu’il donnerait lui-même le dernier coup au tabouret. Il ne voulait pas laisser les mains odieuses de la tyrannie lui ôter la vie et il a certainement tenu sa promesse. Farzad a certainement souri à la mort. 

Shirin, Farzad et 3 autres prisonniers politiques ont été pendus à l’aube du dimanche 9 Mai 2010, sans que ni leurs avocats et ni leurs familles aient été tenus au courant. 

Shirin et Farzad, ces individus exceptionnels aux cœurs d’ange, représentaient ce que l’Iran avait de meilleur. 

Shirin et Farzad ont été exécutés parce qu’il ne voulait pas se conformer aux exigences absurdes d’un régime totalitaire fondé exclusivement sur le crime et la corruption. 

Shirin et Farzad ont été exécutés parce qu’ils avaient décidé de résister et de ne pas renier leurs croyances. 

Que leur soif de justice et de liberté nous inspire, que notre grande nation leur soit à jamais reconnaissante.

Ce samedi 9 Mai, Shirin et Farzad étaient le visage de l’Iran.


Récit inspiré des textes de Majid Tavakoli, Farzad Kamangar, Shirin Alam-Houli, Fereshteh Ghazi, Mahdieh Golroo et de Shabnam Madadzadeh.

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