lundi 14 juin 2010

Lettre de Mohammad Nourizad


Mohammad Nourizad est écrivain, producteur et journaliste. Il a débuté à l’IRIB par Revayateh Fath [Contes de la Résistance] de feu Morteza Avini’s, une série documentaire sur la guerre Iran-Irak.

Avant les élections, il écrivait pour le journal conservateur Keyhan mais ce qui l’a rendu célèbre, ce fut le soutien qu’il apporta à l’opposition après les élections et les lettres qu’il a écrites au guide suprême à cause desquelles il purge actuellement une peine de prison.

Sa quatrième lettre au guide suprême avait été précédemment traduite. Là, il raconte son entrevue avec le procureur général de Téhéran Djafari Dowlat Abadi.

Il a également publié une cinquième lettre au guide aujourd’hui.




Ils me poussent dans tous les sens alors que j’ai les yeux bandés. A mon entrée dans la pièce, je vois un homme dans la quarantaine assis à une longue table. Il m’indique l’autre côté de la table et je m’assois. Après les salutations d’usage…


Procureur : Monsieur Nourizad, je n’ai pas vraiment envie de vous voir ici ? Pourquoi faut-il que vous y soyez ?


Nourizad : C’est mon domicile. J’ai l’impression que je suis le propriétaire ici, pas un félon fou ici pour être discipliné et puni.


P : Vous faites beaucoup de grabuge ces jours-ci. Le garde m’a écrit pour se plaindre que vous lui aviez donné un coup de poing et arraché la chemise.


N ; La différence entre le garde et moi, c’est que sa lettre vous est arrivée en deux jours mais que la lettre que j’ai écrite il y a un mois n’est pas encore entre les mains du procureur général.


L’homme assis en face de moi lève son moignon et tente de s’en gratter le visage. Je sais que la personne en face, qui semble avoir des nerfs d’acier n’est nul autre que le procureur général de Téhéran Djafari Dowlat Abadi. J’avais entendu dire que le procureur général avait perdu une main pendant la guerre.


N : Vous devez être Monsieur Djafari.


P : Oui


N : Ils m’ont sorti de ma cellule pour me faire marcher puis l’ont investi pendant mon absence me dérobant mes effets personnels.


Il parcourt des notes posées devant lui.


P : Pourquoi écrire : « Nous sommes vivants donc nous vivrons » sur votre tee-shirt ?


N : Quel département du renseignement ou de la sécurité est-il affecté par cette simple phrase de moi ?


P : Ca me rappelle Descartes : « Je proteste donc je suis ! »


N : Vos amis ont pris deux de mes écrits dans mes effets personnels. Je vous donne la permission de les lire et de les faire parvenir à leurs destinataires. Le premier s’intitule « Le secret du hihan de l’âne » et le second « Lettre aux parlementaires ». Le premier n’est pas très important, il est adressé au ministre du renseignement, mais donnez, s’il vous plaît, le second à Monsieur Laridjani, président du parlement pour qu’il le distribue et le lise aux autres parlementaires.


P : Je n’ai rien à voir avec le parlement. Mais pourquoi ne pas écrie à Père [Khamenei] ?Si vous lui écrivez, nous transmettrons votre lettre très vite par Monsieur Laridjani de la justice. Si vous lui demandez pardon dans la lettre, ce sera encore mieux.


N : Je ne demanderai pas pardon car je crois que je n’ai rien fait de mal. Le problème, c’est que personne ne se rend compte que je n’écris que parce que je suis inquiet. Aujourd’hui, cela fait trois jours que je fais la grève de la faim, pourquoi ? Parce que je ne trouve aucun responsable respectueux de la loi.


Il rit. Le mot « grève de la faim » le fait rire.


P : Non, vraiment, Monsieur Nourizad, ne faites pas la grève de la faim.


N : Ils m’ont transféré du bloc 240 où j’avais une cellule avec salle de bains et toilettes au bloc 209. Une cellule sans confort dans une chaleur brûlante. J’insiste pour voir le responsable du bloc, mais personne n’y porte attention. Quand je frappe la porte de la cellule pour protester, on ouvre la porte, le gardien devient violent, il appelle les autres et à cinq ils me soulèvent et me rejettent violemment en arrière. J’ai la tête qui résonne sourdement. Je suis blessé aux épaules, ma vue a baissé et j’ai une terrible migraine.


N : Et c’est comme ça que la migraine se transforme en nausée.


Il accepte ce que je viens de dire mais insiste pour que j’arrête la grève.


N : Monsieur Djafari, je suis déterminé à continuer ma grève de la faim. Cela fait maintenant trois jours et ça n’a pas été simple pour moi. Je n’ai même pas pris un verre d’eau ou du sucre. Ils ont pris une radio de mes épaules en prison. Peut-être n’y a-t-il rien sur la radio, mais je suis en grève à cause de vos amis qui ne respectent pas la loi. Vous tirerez mon corps hors de ma cellule dans quelques jours.


P : Ce n’est pas bien de vous tuer de vos propres mains.


N : Alors pourquoi l’Imam Hussein [3ème Imam shiite ; les shiites disent qu’il a été tué par le calife tyrannique Yazid] l’a-t-il fait ?


P : Parce qu’il était face à Yazid.


N : Partout où la loi est absente, il y a un Yazid. De la même manière, je suis bien sûr que notre système légal n’a rien à voir avec l’Islam. Vous prenez « P » [probablement Palizban], vous l’envoyez en prison mais vous laissez tous ceux qu’il a dénoncé en liberté. Vous arrêtez Shahram Djazayeri, et offrez à xxxxx [probablement Sadeq Mahsouli] un marocain ministériel alors qu’il est devenu multi-millionaire en blanchissant les fonds des ministères.


N : Ce système est tellement décrépit et fonctionne si mal que quelqu’un comme xxxx est facilement manipulé par les autres et commet les injustices les plus atroces par l’intermédiaire de son chauffeur et de sa mère.


P : Ces hommes très intelligents ont donné 200 millions de tomans [environ 200.000 USD] à sa mosquée.


N : J’en ai entendu parler aussi. Mais j’ai aussi entendu dire qu’il avait offert une villa à son chauffeur et qu’on lui avait demandé de signer beaucoup de choses. En tant que procureur général, vous n’avez pas le courage de protester ? Pourquoi ? Vous avez trop besoin de votre haute position hiérarchique ?


P : Ce n’est pas vrai. Je ne suis qu’un vétéran de la guerre.


N : Et alors ? Les positions élevées sont enviées par tout le monde, vétéran ou pas. Pourquoi ne protestez-vous pas ? Ce système est plein de juges incompétents et injustes.


P : C’est vrai, mais pas dans mon entourage.


N : Pourquoi ne démissionnez-vous pas ?


P : J’y reste pour essayer de faire le bien.


N : Tout le monde tente de justifier ses méfaits par cette excuse.


N ; La plus grande partie du système est entachée de corruption et de contrebande La plupart ne respecte pas la loi. Mais vous m’avez jeté en prison pour avoir dit la vérité et vous avez permis aux ignorants qui m’interrogeaient de me frapper et de menacer ma famille. Mais ceux qui font mauvais usage des deniers publics sont libres. Et vous n’avez même pas le courage de les arrêter.


N : La Justice dans notre système légal n’est qu’une vaste plaisanterie. Je suis en prison pour avoir critiqué cette justice malade. Et ceux qui sont responsables de la maladie des systèmes judiciaire, financier et sécuritaire sont en liberté et on les soutient même.


Le procureur général écoute calmement mes paroles et me redemande d’écrire au guide.


N : J’écrirai mais comme j’en ai envie.


P : Vous n’avez qu’à écrire.


Ils m’apportent du papier et un crayon et, luttant après trois jours de grève de la faim j’écris : « Si quelqu’un visite une ville sainte et qu’il se rend compte qu’elle est dominée par l’odeur des ordures, a-t-il le droit de se plaindre? Doit-il être arrêté et jeter en prison pour s’être plaint ? C’est ce qui m’est arrivé. Je ne vois pas comment atant d’horreurs peuvent trouver leur place au sein de la révolution. Une révolution qui a demandé tant d’efforts. En prison, j’ai été sauvagement battu par les ignorants qui m’interrogeaient, des gens qui utilisent les plus basses manières pour forcer les prisonniers à avouer, des gens qui parlent de la façon la plus despicable et les actions les plus sales. Je voudrais vraiment pouvoir venir vous parler du deuxième Kharizak et de la conduite despicable de ceux qui se disent les soldats de l’Islam.


Je ne plie pas la lettre, je la donne au procureur. Dans une autre lettre je lui écris : « Pourquoi, alors que je n’ai pas encore été condamné, suis-je gardé dans une prison de haute sécurité ? » Et je lui demande mon transfert au bloc général. Actuellement, je suis au bloc général, section 7, salle 5


Mohammad Nourizad


Source: http://www.sidewalklyrics.com/?p=6630


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