Dans deux lettres remarquables publiées hier l’Ayatollah Montazeri & Mehdi Karoubi ont condamné avec force la tournure des événements en Iran et la transformation du régime religieux en une dictature militaire.
Mehdi Karroubi a fourni les détails des révélations qu’il avait jugées utile de présenter aux instances judiciaires iraniennes. Des informations sur les assassinats et les actes de torture et de viol. Des noms et parfois des photos. Des preuves irréfutables sur la nature des exactions commises. Il décrit ses réunions de travail et ses interlocuteurs. Il expose en particulier comment la machine judiciaire du régime, au lieu d’utiliser ces pistes pour conduire des enquêtes, a décidé honteusement d’intimider et de menacer les victimes et leurs familles! Il faut dire que le comité spécial désigné par le pouvoir judiciaire compte en son sein, le terrible Gholam Hossein Mohseni-Ejeii, l’ancien ministre des Renseignements, débarqué du gouvernement par Ahmadinejad quelques jours seulement avant la fin de son premier mandat pour prendre quelques jours plus tard la fonction de Procureur général. Mohseni-Ejeii a été l’un des protagonistes du climat de terreur imposé à la société iranienne au lendemain des élections truquées. La mission de ce comité était clairement de gagner du temps pour laisser passer l’orage, de calmer Karoubi et de mettre la pression sur les victimes et leurs proches. Honteux! Le peuple iranien n’oubliera jamais ces attitudes inhumaines. Le courage, la franchise et l’intelligence de Karoubi posent de plus en plus de problème au régime.
Karoubi écrit : « Mon Dieu, qu’ai-je pu voir et entendre? J’aurais aimé mourir pour ne pas voir qu’un jour, dans la République Islamique, un citoyen vienne et se plaigne d’avoir été soumis à des actes barbares, dans un lieu et un bâtiment inconnu et non officiel par des agents encore plus inconnus et sans affiliation: déshabiller les personnes et les installer ensuite les unes en face des autres, insulter, uriner sur leur visage, abandonner des garçons et des filles dans des lieux lointains avec des yeux bandés et des mains menottées. Tout ceci ne suffisait apparemment pas pour que l’on entende en plus des récits de viols sur des garçons et des filles dans les prisons. Je me suis dit, trois décennies après la révolution et deux décennies après la mort de l’Imam (Khomeini) où sommes-nous vraiment arrivés? »
Karoubi poursuit: « Leur arrogance a atteint un tel niveau qu’au lieu de poursuivre et de juger les auteurs et les commanditaires de ces actes criminels, c’est ma personne qu’ils veulent juger. Ils ignorent que le vrai jugement est prononcé par le peuple. Il faut aller à la rencontre des gens pour voir qui est le vrai coupable et qui est à la recherche de vérité selon eux. Mon Dieu, je recherche ta protection face à l’ampleur des atrocités qu’ils ont commises. C’est une honte non seulement pour la République Islamique mais aussi pour l’Iran, la justice et l’appareil judiciaire islamique.»
L’Ayatollah Montazeri est l’un des pères fondateurs de la République Islamique et en particulier à l’origine du principe même de Velayat-e Faghih (gouvernance religieuse, gouvernement du docte, du Guide, actuellement incarné par Ali Khamenei). Il condamne également, dans des termes extrêmement profonds et puissants, le comportement du régime qu’il qualifie ouvertement de "militaire" et non plus de "religieux".
Ces termes émanant de l’Ayatollah Montazeri, sont un véritable camouflet pour les dirigeants actuels de Téhéran. Nous traduisons certains passages de cette lettre (la lettre en Persan se trouve ici).
L'Ayatollah Montazeri écrit: "Notre révolution était une révolution religieuse et fondée sur des valeurs. Son but premier, après tous les malheurs et toutes les souffrances subies (exils, emprisonnements et tortures) … n’était pas juste le changement superficiel des personnes en charge mais l’installation d’un régime respectant nos principes moraux/religieux et nos croyances… Dans le cadre d’une telle gouvernance, le but recherché était de garantir la justice, la liberté, l’exclusion de toute répression et de tyrannie, le respect des droits du peuple et des valeurs humanistes, l’éradication des pouvoirs criminels, etc. Le but de la révolution n’était pas seulement de changer de noms, de signes et de slogans et de continuer dans les faits, sous le nouveau nom de la gouvernance religieuse et de Velayat-e Faghih, les mêmes crimes et transgressions aux droits du peuple qui étaient commis sous le régime précédent (du Shah d’Iran)."
"Comme vous le savez, j’ai été un défenseur acharné de la gouvernance religieuse et l’un des fondateurs du Velayat-e Faghih, mais non pas sous sa forme actuelle, et j’ai été très actif pour faire aboutir et faire réussir ce type de gouvernance sur les plans scientifiques et pratiques. Mais actuellement, face au peuple averti de notre pays, j’ai honte de tous les crimes qui ont pu être commis par et au nom d’une telle gouvernance et face à Dieu tout puissant et au sang versé du peuple, je me sens totalement responsable."
"… Les gens me demandent, est-ce cela la gouvernance religieuse et le Velayat-e Faghih que vous nous promettiez ? En fait ce que l’on observe actuellement est une gouvernance militaire et nom pas le Velayat-e Faghih."
"Les événements et les atrocités commises depuis l’élection présidentielle sont une véritable sonnette d’alarme pour le clergé et la gouvernance religieuse. Dans ces événements, des crimes ont été commis et des droits ont été piétinés au nom de la religion et avec le consentement d’une minorité de religieux liés au pouvoir. Le peuple, dans le respect de l’article 27 de la Constitution, en adoptant le moyen le plus pacifique possible, a voulu contesté (les résultats de l’élection) et le pouvoir, au lieu d’y répondre positivement et correctement, a déclaré que les millions de manifestants étaient des éléments de désordre agissant sous l’ordre de l’étranger et a traité le peuple de la pire des façons, avec une violence extrême, en emprisonnant et en assassinant les gens dans les rues ou dans les prisons…"
"Il est fort étonnant que le pouvoir, en s’appuyant sur ses forces de l’ordre et ses moyens militaires, a agressé le peuple sans défense pour tuer et emprisonner et pour qu’au bout du compte, ce peuple soit désigné comme l’ennemi à abattre (Mohareb en arabe est en effet un terme très puissant rendant licite le meurtre de l’ennemi en question). Ce sont eux-mêmes qui sont à l’origine de la crise et font vaciller le régime mais ils désignent le peuple et les fondateurs de ce régime comme opposants et ennemis du régime."
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