jeudi 31 décembre 2009

Assez d’hésitation! Il est temps d’agir! (Arash Hejazi)

Arash Hejâzi, est écrivain, journaliste et éditeur. Il est également médecin. C’est lui qui a tenté d’aider Néda Agha-Soltan, l’icône des manifestations en Iran, quand elle a été abattue en pleine rue au mois de juin ; cet acte lui a valu d’être obligé de s’exiler ; il vit actuellement en Grande Bretagne.

Le texte ci-dessous vient d'être publié sur son blog. Un grand merci à MG pour la traduction en Français.

Le texte original en Persan se trouve ici.
La traduction en Anglais se trouve ici.


Assez d’hésitation! Il est temps d’agir!

On a fermé des centaines de journaux en Iran, les journalistes étrangers ne peuvent plus y travailler, des centaines de journalistes iraniens sont en prison, Internet est presque inutilisable, des systèmes de filtres sophistiqués empêchent le contact entre le peuple iranien et le reste du monde, la police massacre le peuple dans les rues en plein jour puis accuse le peuple de violence, le gouvernement profère mensonge sur mensonge, toutes les minorités ethniques et religieuses souffrent de l’oppression de l’administration, les prisonniers sont torturés, violés, assassinés, les milices bassidj tirent sur des civils sans armes dans les rues, les étudiants sont expulsés des universités pour avoir protesté contre la tyrannie…

Pendant que vous, peuples du monde, célébrez le nouvel an dans la joie en embrassant ceux que vous aimez, pendant que vous dansez sur des chants de Noël, les jeunes en Iran dansent sur la musique macabre des balles et embrassent des matraques et des gaz lacrymogènes. Pendant que vous vous enlacez pour vous souhaiter une bonne année, on interdit à des mères en Iran de pleurer leurs enfants brutalement assassinés, écrasés par des camions de police. Le peuple d’Iran est seul, il est brisé, fatigué mais décidé à continuer.

Pensez-vous que ça n’a rien à voir avec vous ? Pensez-vous ne devoir vous occuper que de vos affaires intérieures ? Pensez-vous que quelques mots de condamnation vous exonèreront de votre responsabilité globale envers les droits humains ? Est-ce là la citoyenneté globale que vous prêchez ?

C’est l’état le plus dangereux du monde. Si vous hésitez à agir, vous verrez que ce gouvernement, enraciné dans le mensonge, détruira vos propres enfants ? Qu’est-ce que vous croyez ? Qu’un gouvernement qui n’a pas de pitié pour ses propres enfants en aura pour votre peuple ? Croyez-vous que cette bête restera calmement à vous regarder ? Vous avez tort ! Hésitez et vous verrez.

Le peuple d’Iran, la gorge déchirée, a parlé par les dernières étincelles de vie dans les yeux de Neda, il a écrit son serment avec son propre sang sur les trottoirs, dans la rue. Les Iraniens veulent être des citoyens globaux, ils sont indignés par le terrorisme, la tyrannie, les mensonges, les guerres, les armes nucléaires…et ils sont morts des morts les plus brutales pour faire entendre leurs voix. Pourquoi regarder en silence ? Vous croyez-vous en sécurité ? Pensez-vous que ce cancer sera contenu à l’intérieur des frontières de l’Iran? Pensez-vous que les griffes pourries de ce prédateur menaçant ne vous atteindront pas ? Vous avez tort ! Hésitez et vous verrez.

Il est temps d’agir. Le people se noie en Iran. Ne croyez pas les mensonges du gouvernement iranien. Ce gouvernement qui nie toutes ces brutalités est le même qui nie l’holocauste, qui prétend qu’il n’y a pas d’homosexuels en Iran, que Neda Agha-Soltan a été tuée par la CIA, le MI6 et la BBC et que la presse est libre en Iran.

Comment agir ? Nous ne voulons pas de violence. Ce gouvernement est en train de tomber. Il suffit de ne pas le soutenir. Ne reconnaissez pas le gouvernement iranien. Ne négociez pas avec lui. Des négociations avec un gouvernement qui ne fait que mentir et ne demande qu’à ne pas tenir ses promesses peuvent être elles fécondes ? Ne vous laissez pas duper par leurs mensonges. Déclarez les ambassadeurs et les diplomates iraniens personnae non gratae. Vous n’y perdrez rien, vous gagnerez même en soutenant le futur de l’Iran. Hésitez et vous serez écrasés par les engins malfaisants de ce gouvernement pourri. Hésitez et vous pleurerez sur les tombes de vos propres enfants.

Il est temps d’agir. Hésitez et lorsque vous regretterez vos hésitations, il sera trop tard.

Arash Hejâzi, 30 décembre 2009
http://arashhejazi.com/
Traduit par MG

mercredi 30 décembre 2009

Vidéo Achoura, la colère

Vidéo incroyable (27 Décembre)
Autre lien sur ce Blog: Achoura

Reportage sur les Universités en Iran (France 24)

Ce reportage a été diffusé par France24 sur l'implication des Universités en Iran dans la révolution en cours.

Pour la version française, qui n'est pas sur YouTube, cliquer ici.

L'interview avec Hashemi Rafsanjani diffusé également hier est dépourvu d'intérêt (il a refusé de répondre aux questions sur les récents évènements en Iran: "Je ne parle pas des affaires intérieures avec les médias étrangers. Je me prononcerai le moment venu.").


lundi 28 décembre 2009

L'Achoura, un tournant décisif pour le mouvement vert iranien



L’Iran était à feu et à sang hier, lors des commémorations de la mort de l’Imam Hussein (le 3ème Imam des chiites) ou l’Achoura. Des centaines de milliers de manifestants ont pris part à ces manifestations à Téhéran mais aussi dans un grand nombre de villes de province. Une nouvelle fois, les forces de l’ordre ont réprimé avec une violence inimaginable les manifestants. Le bilan provisoire fait état d’au moins 15 morts (selon l’AFP) dont le neveu de Mir-Hossein Moussavi. 550 personnes ont été arrêtées depuis hier. Quelques enseignements importants de cette nouvelle journée historique :


  • Le Symbole de l'Achoura: Le régime iranien a franchi une nouvelle étape dans l’escalade de la violence envers le peuple. Jamais dans l’Histoire de la Perse et de l’Iran depuis l’invasion de l’Islam, un gouvernant n’avait donné l’ordre de tuer en public des opposants contre le pouvoir central le jour de l'Achoura (la violence et la guerre sont d’ailleurs bannies pendant le mois de Moharram, selon l’Islam). Sans entrer dans le détail des relations complexes qu’entretiennent les iraniens avec la religion et le lourd tribut payé pour avoir justement mêlé celle-ci avec la gouvernance de leur pays, il ne fait aucun doute que l’usage de la violence en ce jour au combien symbolique de l’Achoura dans l’imaginaire des chiites, est une nouvelle erreur considérable commise par le régime. Les populations croyantes modérées qui pouvaient avoir gardé quelque sympathie à l’égard de ce régime religieux, vont certainement se distancer de plus en plus d’un pouvoir qui n’est plus qu’une dictature militaire mise à nue et dépourvue de sa force de frappe idéologique basée exclusivement sur la religion.


  • La Riposte: Contrairement aux manifestations pacifiques du mois de Juin et de ces 3 derniers mois (jour de Jérusalem/Ghods, 13 Aban et 16 Azar), cette fois les manifestants ont riposté aux agressions et aux exactions. Il y a eu des scènes incroyables montrant les forces de police et les forces spéciales débordées par les manifestants en colère, serrées contre un mur, des visages en sang. Des barricades, des voitures et des motos des forces de l’ordre renversées et en feu, des jets de pierre incessants, etc. Des centaines de photos et de vidéos ont circulé en quelques heures sur l’Internet montrant le courage inimaginable des manifestants. Les Unes de grands quotidiens européens et américains (NYT, WashPost, IHT) mettaient d’ailleurs l’accent sur cet aspect précis de la révolte des iraniens contre le pouvoir central : la riposte du peuple. Le caractère non violent de cette révolution est devenue depuis 6 mois une marque de fabrique, une véritable signature du mouvement vert. Riposter comme l’ont fait les manifestants hier, va-t-il à l’encontre de la non-violence? Les manifestants ont tout d’abord cherché à se protéger contre la violence gratuite des forces de l’ordre. Ils ont ensuite recherché à marquer les esprits, conscients des ravages que les photos et les vidéos allaient produire sur l’image et le sort du régime iranien. Ils ont certainement voulu passer un message aux éléments les plus brutaux du régime: "Nous sommes pacifiques, nous détestons la violence, mais, unis, nous saurons nous protéger".
  • Une Révolte Globale: Il est désormais évident que la révolte n’est plus limitée à la capitale. Plusieurs grandes villes de province ont également pris part aux contestations : Tabriz (où il y a eu 4 morts), Ispahan et Najaf-Abad (qui étaient en ébullition depuis la mort de l’Ayatollah Montazeri il y a 8 jours), Mashhad, Shiraz, Arak, etc. Par ailleurs, après une très forte mobilisation des étudiants lors des manifestations du 13 Aban et du 16 Azar, il était important de confirmer que les autres générations étaient aussi mobilisées que les jeunes étudiants. Les femmes ont été une nouvelle fois aux avant-postes. Les images de leur bravoure ont fait le tour du monde. Le destin de tout un peuple, toutes générations confondues, semble définitivement lié. Jamais le peuple iranien n’a été aussi soudé, éclairé et déterminé.
  • Fuite en Avant: L’Ayatollah Montazeri disait que ce régime n’était plus qu’une dictature religieuse. La militarisation du régime est un fait bien établi. Il n’y a qu’à regarder la composition des gouvernements Ahmadinejad et la place prise par les Gardiens de la Révolution au sein de la société iranienne. Les événements d’hier démontrent que le régime est même arrivé au point de délaisser les symboles religieux pour ne s’appuyer que sur la toute puissance de son arsenal répressif militaro-judiciaire. Le régime aurait pu faire profil bas, du moins lors d’une journée aussi symbolique que l’Achoura, de rechercher à apaiser les tensions et de mettre en avant des personnalités plus "pragmatiques" que répressives. Rien de tout cela. Au contraire, la mise en avant de toutes les forces de sécurité du régime déployées dès les premières heures de la journée, les appels de menace visant à intimider les manifestants, l’intensité inouïe des heurts, l’ordre de tirer sur les manifestants et enfin le bilan humain extrêmement lourd de la journée de l’Achoura confirment une fuite en avant dans la militarisation à outrance du régime. La répression militaire est la seule et dernière carte qui reste entre les mains de ses dirigeants. Le profond sentiment d’injustice du peuple iranien est décuplé. Ceci donnera encore plus de vigueur et de détermination à la révolution en cours.
  • Tous Contre Khamenei: Ali Khamenei est plus que jamais la cible directe des opposants au régime. Le retrait d’Ahmadinjead et l’annulation de son élection truquée du 12 Juin ne font plus partie des revendications. Les manifestants réclament à présent ouvertement le départ du Guide, le premier personnage de l’Etat. Les réserves pragmatiques constatées lors des manifestations de Juin ("ne pas insulter le Guide trop directement") ont laissé place à l’éclatement d’une colère accumulée depuis 3 décennies contre celui qui concentre tous les pouvoirs au sommet d’un régime corrompu et sanguinaire (photo et vidéo: plaque portant le nom Khamenei arrachée et piétinée).




dimanche 27 décembre 2009

Sirjan: l'horreur en public

Depuis plusieurs jours, nous ne trouvons pas de mots pour dire l'horreur vécue à Sirjan ou deux condamnés à mort devaient être exécutés en public. Il y a des choses impossibles à voir, à lire et à écrire. Ces images ultra violentes qui défilent sous nos yeux, ces cris que l'on devine, ces vies brisées...

Nous détestons le voyeurisme mais publier ces images et les récits associés est très important pour que le monde entier sache.









vendredi 25 décembre 2009

vidéo du 15 Juin 2009: le Basij tire sur les manifestants

Le 15 Juin 2009, le jour où plus de 3 millions de manifestants défilaient à Téhéran pour défier le pouvoir après les élections truquées du 12, les forces du Basij (bras paramilitaire du régime) ouvraient le feu sur les manifestants. Ce vidéo vient d'être mis en ligne. Sans commentaire.







mardi 22 décembre 2009

L'Ayatollah Montazeri: du pardon à l'éradication de la violence

La mort de l’Ayatollah Hossein-Ali Montazeri, l’un des fondateurs de la République Islamique et religieux de très haut rang entré en dissidence depuis plus de 20 ans, a engendré une réaction massive de ses sympathisants, en marge des cérémonies de commémoration organisées hier à Qom. L’Ayatollah Montazeri avait osé critiquer, dès 1986, les exactions commises dans les prisons de la République Islamique sous l’ordre religieux (Fatwa) de l’Ayatollah Khomeini. Nommé dauphin du Guide suprême de la révolution islamique, l’Ayatollah Montazeri a été destitué de cette position en raison de son opposition à la transformation progressive du régime en une dictature religieuse totale.

Il écrivait il y a encore quelques semaines que ce régime n’était ni une république ni islamique, qu’en tant qu’un des fondateurs de ce régime, il ne pensait absolument pas que ce système de gouvernement (Velayat-e Faghih), dont il était à l’origine, allait devenir une dictature religieuse, qu’il avait honte pour toutes les exactions commises dans les prisons, qu’il se sentait totalement responsable et qu’il demandait pardon aux victimes.

Il a été un soutien moral très précieux pour le mouvement vert depuis l’élection du 12 Juin 2009. Sa place et sa légitimité dans la hiérarchie religieuse chiite ont également joué un rôle clé dans la désolidarisation d’une grande partie du clergé iranien des éléments les plus réactionnaires et violents du régime (Mesbah Yazdi, Khatami, Janati, Yazdi, Khamenei, etc.).

Alors que sa mort déchaîne les passions et génère un nouveau cycle de manifestations en Iran, nous traduisons sur ce blog un article remarquable publié hier par Shadi SADR, avocate, journaliste, militante des droits de l’Homme et activiste politique dont le courage lui a valu d'être emprisonnée il y a quelques mois. Cet article a pour ambition de s’inspirer de l’héritage politique de l’Ayatollah Montazeri et en particulier de son courage et de son humanisme, pour proposer une méthode d’éradication définitive de la violence de la société iranienne. Car au bout du compte, tel est l’objectif majeur de la Révolution en cours en Iran.

Nous rendons hommage à Shadi SADR, à ces hommes et femmes qui prennent des risques considérables pour éclairer tout un peuple et dont la parole est en soi une énorme source d’espérance et d’inspiration après 3 décennies de malheur.


(la traduction en français est disponible ci-dessous. si vous pouvez traduire cet article en anglais, ce serait très bien. d'avance merci.)

Autre lien sur ce blog: Lettre traduite en français de l'Ayatollah Montazeri: lien

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Ce passé qui ne s'oublie pas (lien)
par Shadi SADR

Lundi, 21 décembre 2009 (30 Azar 1388)


Cette demande de pardon aux victimes, est le début d’un processus irréversible de création de "notre propre Histoire" fondée sur la mémoire collective qui sera le seul garant que dans l’Iran du futur, les violations systématiques des droits de l’Homme ne se produiront pas.

L’Ayatollah Montazeri est décédé le jour où Hamid Karzai, le président afghan a présenté son nouveau gouvernement au parlement. A premier abord, ces deux événements politiques pourraient ne pas paraître liés et d’une importance égale pour nous Iraniens, mais ils rappellent tous les deux les violations des droits de l’Homme et l’absolue nécessité de poursuivre en justice les instigateurs et les exécuteurs de crimes contre l’Humanité.

En Afghanistan, parmi ceux qui ont fait leur entrée ou qui ont été confirmés au sein du gouvernement Karzai, il y a des personnes suspectées de crimes de guerre, que les Afghans appellent aussi "Seigneurs de guerre". Il est important de noter que malgré le changement du système politique, la justice n’a pas encore triomphé en Afghanistan. Les activistes de la société civile afghane savent que si la justice n’est pas rendue et si les violations des droits de l’Homme se poursuivent, la marche de leur nation vers la démocratie sera impossible.

L’Ayatollah Montazeri, dans le courrier qu’il écrivit en été 1987 pour s’opposer aux exécutions massives des prisonniers politiques (un courrier qui fut rendu public la même année par la BBC), ainsi que dans les détails qu’il publia par la suite dans ses mémoires, a non seulement confirmé, en tant qu’un des personnages les plus haut placés de la république islamique, la réalité de ce génocide politique, mais aussi révélé les noms des principaux membres des commissions de la mort. Il était le seul responsable du régime qui se souciait de la condition des prisonniers politiques dans les années 80.

En Octobre 1986, il adressa un courrier à l’Ayatollah Khomeini : « Savez-vous que dans les prisons de la république islamique, des crimes ont été commis au nom de l’Islam qui n’auraient jamais pu être commis sous le régime du Shah ? Savez-vous que beaucoup de prisonniers sont morts sous la torture des interrogateurs ? Savez-vous que dans la prison de Mashhad, en raison d’un manque de médecins et des conditions de détention des jeunes filles, environ 25 d’entre elles ont dû être mutilées par l’extraction de leurs ovaires et utérus? Savez-vous que dans certaines prisons de la république islamique de jeunes filles ont été agressées sexuellement? Savez-vous que lorsque les filles sont interrogées, l’usage d’un vocabulaire indigne est courant ? Savez-vous que de nombreux prisonniers, soumis à la violence et à la torture, deviennent sourds, muets ou sont atteints de maladies chroniques ? Savez-vous que dans certaines prisons, le prisonnier n’a même pas le droit de voir la lumière du jour pendant des mois ? »

Mais le tournant de la vie de l’Ayatollah Montazeri, selon moi, fut le moment où il évoqua sa responsabilité juridique en tant que le dauphin du guide dans l’exécution de 3800 Moujaheds (membres de l’Organisation des Moujahedines du Peuple) et de 500 prisonniers de divers partis de gauche (ces nombres sont extraits des mémoires de l’Ayatollah Montazeri) en moins de deux mois pendant l’été 1988. Selon les mémoires de l’Ayatollah Montazeri, le fatwa de l’Ayatollah Khomeini tomba un jeudi pour ordonner l’exécution des membres des Moujahedines du Peuple qui avaient purgé leur peine ou qui étaient encore en prison si ceux-ci tenaient toujours à leur conviction d’opposants au régime ("Monafegh").

L’Ayatollah Montazeri reçut ce fatwa le samedi. Les messages de l’Ayatollah Montazeri à l’Ayatollah Moussavi Ardebili, le chef du pouvoir judiciaire (actuellement critique à l’égard du gouvernement), restèrent infructueux. Après l’interdiction des visites pour tous les prisonniers politiques, les exécutions démarrèrent. L’Ayatollah Montazeri écrit dans ses mémoires : « J’étais révolté… Je me disais qu’on m’appelait le dauphin… J’étais un acteur de la révolution… et même si une personne innocente devait être tuée sous la régime islamique, je me sentais responsable. ». C’est dans le cadre de cette responsabilité qu’il ressentait en permanence qu’il écrivit durant l’été 88 deux courriers à l’Ayatollah Khomeini lui demandant de mettre fin aux violences et aux tueries. Ses demandes sont restées sans réponse et lui ont valu son éviction définitive de la place du dauphin du guide de la révolution.

La responsabilité juridique des acteurs gouvernementaux et des dirigeants dans le suivi des violations des droits de l’Homme et en particulier dans le cadre de crimes contre l’Humanité, a toujours été une question centrale pour les pays qui ont expérimenté le passage d’une dictature à une démocratie. Les responsables juridiques de ces manquements aux droits de l’Homme devaient soit s’y opposer dès leur prise de conscience (comme l’Ayatollah Montazeri) soit, s’ils y étaient consentants ou même s’ils avaient même gardé le silence, demander pardon aux victimes et à leurs proches lors de la transition vers la démocratie.

La liberté, la démocratie et le respect des droits de l’Homme sont aujourd’hui les revendications les plus importantes du mouvement populaire en Iran. Sans un processus permettant l’expression de la justice, sans une relecture de l’histoire des violations des droits de l’Homme et sans l’identification des instigateurs et des exécuteurs de ces violations, il est impossible d’être certain que dans le futur ces mêmes atrocités ne seront pas répétées. Il n’est pas suffisant de dire que dans ces conditions, nous devons rester avant tout unis, de prétexter la séparation des pouvoirs pour se dédouaner de sa responsabilité juridique ou de tenter de dissimuler son implication ou encore son silence dans le cadre des violations systématiques des droits de l’Homme.

L’expérience afghane est à présent devant nos yeux. Plus de 8 années se sont écoulées depuis le renversement des Talibans mais les Seigneurs de guerre qui sous la Talibans ou sous le règne de Moujahedines perpétraient ces manquements graves aux droits de l’Homme, ont aujourd’hui des postes clés au sein du gouvernement Karzai. Jusqu’à présent, personne ne s’est véritablement opposé à ces criminels de guerre et les mouvements de la société civile qui se sont formés pour réclamer plus de justice ont été systématiquement confrontés à l’indifférence du gouvernement et de l’appareil judiciaire afghans. Il n’existe donc aucune garantie que ces violations des droits de l’Homme, ces violences et guerres ne se reproduisent pas à nouveau dans le futur. Il est douloureux de se confronter au passé. En Iran comme ailleurs, cette douloureuse confrontation est un sujet très délicat pour les responsables de l’opposition. Une confrontation qui semble contraire au maintien de l’unité des forces de l’opposition dans leur marche vers la démocratie. Mais si la mort de l’Ayatollah Montazeri est une opportunité de revisiter sa vie et de relire ses mémoires, elle invite également à une nouvelle lecture des violations systématiques des droits de l’Homme en Iran lors des années 80. Ces violations n’ont pas débuté le 12 Juin 2009 (date de l’élection présidentielle controversée).

Pour les responsables actuels de l’opposition qui étaient aux affaires dans les années 80 et qui de ce fait, avaient obligatoirement une responsabilité juridique dans les violations systématiques des droits des prisonniers politiques, des opposants, des femmes et des minorités ethniques ou religieuses, et qui ne s’étaient pas opposés, comme l’Ayatollah Montazeri, aux principaux protagonistes de ces violations, la seule solution est la reconnaissance de leurs erreurs passées et la demande de pardon auprès des victimes. Des victimes qui ont le droit de pardonner ou de ne pas pardonner. Mais cette demande de pardon aux victimes, est le début d’un processus irréversible de création de "notre propre Histoire" fondée sur la mémoire collective qui sera le seul garant que dans l’Iran du futur, les violations systématiques des droits de l’Homme ne se reproduiront pas.

jeudi 17 décembre 2009

Document: les aveux d'un Basiji

Channel 4 News (Iran: Basij member describes election abuse) vient de publier ce document (en anglais).

Traduction en Français ci-dessous (par MG, l'infatigable! un grand merci)
Contenu en Persan: ici
Lire aussi le Blog de Lindsey Hilsum à ce sujet



Iran : Un membre des bassidj décrit la fraude électorale

Par Channel 4 News

Un membre repenti de l’infâme milice bassidj, qui a blessé et tué lors des évènements qui ont suivi les élections iraniennes de cet été, parle à Lindsey Hilsum de ce dont il a été témoin.

« J’ai perdu mon pays et j’ai perdu ma religion » - les mots d’un ancien membre de la milice iranienne bassidj qui dit avoir été témoin des tueries et avoir tenté de stopper les viols pendant le soulèvement qui a suivi les élections présidentielles contestées de juin.

Après des mois d’histoires racontées par des témoins et des victimes, nous avons maintenant un aperçu de ce qui s’est passé par un homme qui prétend avoir fait partie du groupe qu avait ordre d’attaquer.

Il demande maintenant asile au Royaume-Uni et a parlé à Channel 4 News, en exclusivité, des ordres reçus par les bassidj pour assurer la victoire aux élections du Président Mahmoud Ahmadinejad.

Dans son blog, Lindsey Hilsum a écrit. “L’authentification la plus convaincante c’est que son histoire confirme les rapports que nous avions des victimes et des groupes défendant les droits humains qui disent que le viol a été utilisé dans tout l’Iran dans ces mois brutaux qui ont suivi les élections de juin. Ca et son désespoir. J’ai rarement interviewé quelqu’un d’aussi désespéré. »

Les ordres des élections

En vérité, les ordres ne sont pas arrivés après les élections. Les ordres, pour tout ce que vous avez vu, sont arrivés avant les élections. Nous étions prêts. Nous ne pouvions même pas imaginer que le peuple agirait de façon si grandiose. Nous avions reçu des ordres pour les activités des étudiants. Trois ou quatre mois avant les élections, nous avons suivi des cours sur la pensée idéologique et politique et sur le contrôle des foules. Nous savions ce que nous avions à faire mais nous n’étions pas prêts à voir ce que nous avons vu. Il y a eu des accrochages sévères les premiers jours, nous avons donc reçu de nouveaux ordres pour les jours à venir.

Un dilemme religieux

« Je suis tout le temps dans la tourmente. J’ai passé plus de vingt ans élevé comme ça et avant moi une maisonnée de martyrs. Je continue de penser, qu’est-ce qui est bien ? Ce que j’ai choisi maintenant ou le chemin qu’ils ont pris ? Notre famille est très engagée. Elle compte de nombreux martyrs. Mon oncle a accédé au martyre avec Monsieur D. et le Docteur AHD. Nous somme une famille très religieuse – toujours sur la ligne de front, avec toujours des souvenirs de guerre, de front et de révolution. Depuis ces évènements, je continue de me demander, qui a raison ?

La consolidation des élections

« Trois ou quatre mois avant, j’avais des activités sociales, me préparant à voir comment le peuple appréhenderait les élections, le taux de participation – est-ce qu’elles seraient bien reçues, y croyaient-ils, pensaient-ils encore que l’on pouvait encore faire quelque chose ? Ca se passait bien même si on disait que Khatami (ancien président réformiste) allait y aller puis n’allait pas y aller. Tout ça créait de l’agitation. Les gens étaient vraiment enthousiastes. Nous recevions beaucoup de statistiques que nous analysions. Vous voulions avoir un aperçu de ce que seraient les affrontements. Quand la campagne a commencé, l’excitation est montée d’un cran. Nous avions reçu des ordres quelques mois auparavant : la jurisprudence existait, la jurisprudence de l’imam Zaman (le 13eme imam dont on attend le retour comme celui du Messie) dont l’incarnation est l’Ayatollah Khamenei, il a annoncé que pour la promotion et le développement de l’Islam et le développement de la révolution, personne ne serait plus efficace que Mr. Ahmadinejad. Donc, l’ordre est arrivé : Mr. Khamenei s’est décidé, Mr. Khamenei a Mr. Ahmadinejad en tête pour la présidence et s’est donc lui qui doit être déclaré vainqueur. C’est le plus adapté à cette révolution, à l’ordre et au Velâyat-é-Faqih (le système iranien de gouvernance religieuse.)

Angoissant et horrifiant

J’étais totalement interloqué. Comment expliquer ? C’est quelqu’un contre lequel je n’osais même pas une seule pensée hostile. Exprimer une opinion personnelle allant à l’encontre des désirs et de l’opinion, particulièrement si cette opinion appartient au guide suprême ou se réfère du Velâyat-é-Faqih, c’était un scénario vraiment angoissant et horrifiant. C’était une situation terrible. D’un côté je voyais le peuple et de l’autre il y avait l’ordre.

La fraude aux urnes

Les réponses à vos questions datent d’avant les élections. Lors d’une réunion privée destinée aux responsables des urnes à laquelle j’ai participé en compagnie de mon frère, tout a été clarifié. On nous a donné des ordres sur tout ce qui arriverait je jour des élections. Nous faisions partie des responsables des urnes.

Le rôle des bassidj

J’ignore ce que vous savez exactement sur la Bassidj mais c’est un organisme extrêmement vaste, plus étendu que vous ne pourriez l’imaginer. Vous pensez peut-être que ce n’est pas une organisation formelle ; en fait, tout cela est très précis et extrêmement organisé avec un planning sophistiqué où tout apparaît. Quand on reçoit un ordre ou quand le guide suprême exprime son opinion, hé bien Mr. D. est le porte-parole du guide et nous sommes les porte-parole de Mr. D. Les fondamentaux de l’islam, du chiisme et du Velâyat sont tels que nous avons accepté le Velâyat. Quand le Velâyat émet une opinion, tout le monde doit la suivre, parce qu’en dehors de cela, il n’y a pas de place. Vous êtes un étranger. Il (Khamenei) fait une annonce et Mr. D. la traduit sous forme de conseil et de discussion. Tout est hiérarchisé. Mr. Khamenei n’a pas besoin de venir faire une annonce spécifique pour les soldats quand je dis soldat, moi ou nous nous voyons comme les soldats de l’imam Zaman. Il n’a pas besoin de faire une annonce directe aux forces (bassidj), il exprime son opinion et grâce au système pyramidal, l’information atteint ceux qui doivent l’entendre. L’opinion de Mr. D est totalement soumise au guide suprême. On nous l’a dit lors des réunions. Les commandants de la Sepah (garde révolutionnaire) assistaient à cette réunion privée dont je vous ai parlé en compagnie des commandants des unités bassidj de différents secteurs. Il était impératif d’avoir la vision du guide, et on a annoncé que sa vision c’était l’élection d’Ahmadinejad.

La fraude électorale

Pour nous les responsables des urnes, l’ordre était : Agha (Khamenei) désire la victoire d’Ahmadinejad. Nous sommes là pour nous substituer aux illettrés et à ceux qui ne peuvent voter seuls, et nous votons ainsi (pour Ahmadinejad) quelque ait été leur intention de vote. Certains votent blanc. Lors du dépouillement, les votes blancs ne seront pas annoncés comme nuls. Ce (les illettrés) sont généralement des hommes et des femmes âgés – ce sont de vrais croyants appartenant à la communauté de la mosquée et des affaires religieuses dans les régions où le taux d’alphabétisation est faible comme les villages ou les quartiers des grandes villes.

Le vote jeune supprimé

Notre problème, c’était les jeunes et les étudiants de l’université, les autres, on y était préparé. Bon, ils (les étudiants) n’étaient pas là pour le dépouillement. Quand ils sont partis, comment dire, j’ai très honte maintenant, mais ils sont venus aux urnes et ils sont partis. A la clôture du scrutin, il ne restait que nous. Nous étions honnêtes puisque nous suivions les ordres. A la clôture du scrutin, les urnes furent ouvertes, mais pas toutes. Quelques unes furent ouvertes et les votes comptés et nous reçûmes alors l’ordre d’envoyer les urnes au poste central.

Arrêter les protestations

On attendait une réaction, en conséquence toutes les forces bassidj ont été averties avant les élections d’être mobilisées le lendemain des élections. Ils nous ont dit de venir de bonne heure pour des groupes de prière. Il y a eu la prière, suivie par un court discours confirmant la victoire de Mr. Ahmadinejad et l’en félicitant. On a offert des gâteaux et des sucreries et on a organisé les forces en deux équipes. Certains districts avaient été détectés à l’avance comme secteurs à problème – on les appelait les points rouges et la présence des forces de sécurité y était essentielle. C’était annoncé, les équipes étaient choisies et déployées à l’avance. Nous nous étions mis en route de très bonne heure, avant que quiconque ne puisse bouger. Tout le monde était en position et armé. Les ordres étaient d’empêcher tout rassemblement.
Répression violente
On devait réprimer fermement tout signe de protestation et, si quelque chose se passait, attaquer. Attaquer les gens ne voulait rien dire. Je vous l’ai dit, quiconque pensait différemment de l’Ayatollah Khamenei et hors du Velâyat-é-Faqih était considéré comme un étranger. Il n’y avait donc pas de place pour s’y opposer, son opinion et sa protestation ne signifiait rien. C’était simple. Nous n’avions pas à penser ni aux votants ni aux manifestants. A nos yeux, il ne s’agissait pas d’une contestation d’un problème mais de l’Ayatollah Khamenei lui-même. Et nous ne pouvions tout simplement pas comprendre qu’on veuille le mettre en question. C’est notre guide.

Le contrôle de la ville

Ce jour-là, dans ce district, il y avait des matraques et des câbles qui s’enroulaient et se déroulaient facilement. S’ils saisissent le bras de quelqu’un et que vous tiriez, vous pouvez faire de sérieux dégâts. Des pulvérisateurs comme les bombes au poivre ; certains avaient des menottes, oui nous étions préparés. Tout s’est passé comme prévu parce que tout avait été bien pensé. Les véhicules sont arrivés à l’heure, le petit-déjeuner, les prières, tout à l’heure. La ville était sous notre contrôle.

Des échauffourées sans précédent

Ayant été de service au bureau de vote le soir précédent, je faisais partie de l’équipe d’après-midi. Je suis rentré me reposer à la maison et je suis revenu l’après-midi. A mon retour, je n’en croyais pas mes yeux. Je ne l’aurais jamais cru. C’était incroyable. Les accrochages étaient sérieux. C’était sans précédent. J’avais déjà vu des attaques avant, mais comme ça, jamais. Les gens ne reculaient pas on n’arrivait pas à les contenir, on avait de réels problèmes. Je l’ai dit, j’avais des problèmes avec tout ce qui avait été révélé et j’étais perdu. Je ne voulais pas trop m’impliquer. Mais je devais être présent. Je n’avais pas le droit de dire je ne veux pas être présent. Ma présence physique était nécessaire. Les accrochages étaient très intenses. Les forces (bassidj) étaient bien impliquées et les gens ne cédaient ni ne reculaient en aucune façon. On les dispersait, ils se rassemblaient et revenaient. Ils nous résistaient. Je n’étais pas d’un grade si bas qu’il m’oblige à m’impliquer directement. J’aurais pu mais je pouvais aussi choisir. Les gens qui, comme moi, dirigeaient, observaient et faisaient des rapports pouvaient se contenter de faire acte de présence. Je suis resté silencieux aux côtés de mes collègues. En vous parlant maintenant, tout me revient. C’est très difficile. Je ne peux pas encore tout pénétrer. Pourquoi est-ce que ça s’est déroulé comme ça ?

Permission de tirer

Le premier jour a été très dur pour nous. Ce soir-là quand nous sommes tous rentrés à la base, les commandants ont fait leurs rapports sur les différents districts de la ville. On nous a dit qu’il y aurait d’autres ordres pour les jours suivants. L’ordre est arrivé d’attaquer tout le monde sans retenue ni pitié, sans prendre l’âge en considération, quiconque n’était pas d’accord. On nous a expliqué qu’il n’y avait aucune différence entre un enfant et un adulte, un homme et une femme. Une attaque adéquate, sans sommation et sans aucune discussion. Ca me paraissait étrange, tout était surréaliste, ce n’était pas normal. Nous avions la permission de tirer, nous devions tous être armés, nous devions soutenir la police et les forces de sécurité. Le jour d’après, il me semble que les gens étaient aussi prêts que nous. Ils étaient plus nombreux, nous étions préparés, eux aussi.

Regarder mourir les gens

Le deuxième jour, je ne sais pas comment dire, c’est tellement douloureux pour moi, c’est dur d’en parler, le souvenir en est horrible… les blessés et ceux qui mouraient. C’est vraiment difficile de rester à regarder les gens mourir. Je devais rester là, je n’avais pas le choix. Non (je n’ai tué personne), j’ai juste accompagné les autres. J’essayais de ne pas m’impliquer du tout. Ils avaient préparé un hôpital pour les blessés et les morts. C’était un hôpital bassidj. C’était très dur. Si tuer était un problème, on expliquait que c’était pour la cause et que c’était une bonne action. J’ai vu une seule personne tuée dans la rue, mais à l’hôpital, il y en avait beaucoup beaucoup plus que dans les rues de tous les coins de la ville. Parce qu’on avait donné l’ordre, la permission avait été accordée. C’était intolérable.

Des choses indicibles

C’est à partir de là que les choses ont empiré. Nous étions tous novices. On suivait les ordres et les commandements. Les accrochages étaient de forme et de genre différents. Comment dire, certaines choses sont indicibles. Je ne peux pas pénétrer mentalement et idéologiquement ce qui s’est passé. Lors des accrochages, tous les blessés étaient arrêtés. Si on ne pouvait pas les attraper, on prenait quelqu’un d’autre. Ils arrêtaient tous ceux qu’ils pouvaient. Peu importe qui, blessé ou non. Si c’était des militants, c’était encore mieux, de jeunes enfants, de jeunes adultes. Le traitement qu’on leur réservait, le mode d’attaque et la durée de l’attaque, tout ça m’a choqué.

Les ordres d’arrestations

Les ordres étaient d’arrêter autant de jeunes de 12 à 18 ans que possible et de les emmener. C’était le groupe qui posait le plus de problèmes et l’idée était de ne pas les laisser se rassembler. Beaucoup ont été arrêtés. De nouveau, beaucoup d’endroits avaient été préparés pour les recevoir et les garder. Le soir, j’y étais, j’y avais suivi mon frère. Je ne l’avait pas vu depuis plusieurs jours ayant tous les deux été retenus par tous ces évènements. J’ai beaucoup de respect pour lui et je l’aime tendrement. Depuis notre enfance, nous avons toujours tout fait ensemble. Nous sommes comme des jumeaux. Il m’avait dit, je serai là ce soir, viens et nous rentrerons à la maison ensemble.

Les hurlements

On avait préparé des containers. On avait arrêté des adolescents et on leur demandait leur âge pour les trier. Ceux qui avaient plus de 18 ans allaient dans un container, ceux qui en avaient moins dans les autres. Le plus grand nombre avait moins de 18 ans. Trois ou quatre containers ont été remplis de 25 personnes chacun.
J’ai vu tout ça, je suis passé devant pour me rendre dans le bâtiment principal pour voir mon frère. Je l’ai salué lui ainsi que des amis. On a alors entendu du bruit en provenance de la cour. Nous avons pensé que les adolescents faisaient du grabuge, nous y sommes allés mais il n’y avait personne d’autre que les forces (bassidj). Le bruit venait des containers. Des hurlements, des supplications et des pleurs. Nous n’avons pas compris ce qui se passait. Ils suppliaient: “Nous sommes désolés, s’il vous plaît, nous regrettons ce que nous avons fait. » Ou des cris ou des pleurs. Nous étions embarrassés. Nous ne pouvions pas croire qu’ils agiraient ainsi, violer.

Violence sexuelle

C’est un fardeau tellement lourd, j’ai mal à la tête. Mais vous êtes une femme. Je suis sûr que vous comprenez. Vous pouvez m’accorder un peu de temps ? C’est comme si la scène se déroulait de nouveau devant moi. Les visages, les cris m’accompagnent à chaque instant. On ne peut ni oublier ni s’en séparer. Ils suppliaient, ils criaient, ils demandaient de l’aide, mais mon frère est plus gradé que moi, nous sommes allés voir ce qui se passait. Deux hommes de la Sepah se sont présentés à notre approche. Nous avons demandé la raison de ce bruit. Ils ont dit : « rien, c’est Fath ol Moin (l’aide à la victoire) ». Nous avons dit : « que voulez-vous dire, que faites-vous ? Qui est à l’intérieur ? ». C’était des bassidj de province que nous ne connaissions pas. Nous avons demandé : « Que ce passe-t-il, pourquoi pleurent-ils ? » Nous continuions et la confrontation s’est envenimée ; ils ont dit : « vous n’avez pas le droit de rentrer ici. » Mon frère a dit : « que voulez-vous dire ? Je suis l’un des chefs ici. Vous ne pouvez pas me dire que je n’ai pas le droit. » Et c’était vraiment le cas, mais ils ne nous ont pas laissé entrer. Nous étions tous responsables et nous nous sommes affrontés. Au bout de quelques minutes, un véhicule est entré dans la cour. Quelqu’un avait dû prévenir les autres que nous tentions de les empêcher de faire ce qu’ils avaient prévu, le Fath ol Moin. Ils sont venus pour empêcher la détérioration de la situation. Ils ont dit que notre supérieur nous convoquait. Ils ont dit : « Allez-y. Il veut vous parler. » Quand nous sommes arrivés, il était visiblement furieux et très frustré. Ils ont dit : « Allez-y Hadji veut vous parler ». Mon frère était furieux et très frustré. Il était très en colère. Quand nous sommes arrivés il a dit : « Qu’est-ce que c’est que ça ? L’agression sexuelle est un crime grave. Qui a donné l’ordre ? Qui a autorisé ça ? » Hadji a répondu calmement en souriant: “C’est Fath ol Moin. C’est une bonne action. Il n’y a rien de mal là-dedans. Pourquoi vous plaindre?” Quand Hadji a prononcé ces mots, il pensait que cela calmerait mon frère de le savoir. Mais ce fut le contraire, il s’est énervé davantage. Il a élevé la voix : « Comment cela, ce n’est pas un crime ? Comment cela ce n’est pas un crime reconnu ? C’est une bonne action? » Hadji a vu qu’il avait perdu le contrôle et a dit : « C’est quoi le sujet important ? Il ne s’est rien passé. Quel est le problème ? » Mon frère a dit: “Comment ça c’est quoi le sujet important ? Qu’y a-t-il de plus dégoûtant, de plus répugnant que ça ? Avec des enfants, ce sont des enfants, ils n’ont rien fait. Ils sont de notre ville. » Hadji a vu qu’il ne pouvait plus le contrôler, qu’il voulait retourner à la base pour arrêter ce qui se passait. Il a dit : « Tu peux rester ici pour l’instant. Demain, il y aura une réunion où nous en discuterons pour déterminer la nature du problème. » J’ai insisté pour rester avec lui. Mais Hadji a dit : « Tu vas te reposer, nous le raccompagnerons à la maison. Tu y vas, le chauffeur va te conduire et t’y attendre. On t’appellera ». Ils m’ont lâché à la maison et mon frère est resté. Je n’aurais jamais pensé que ces sujets pouvaient être autant souillés.

Douleur et honte

La douleur et la honte devant le peuple et devant Dieu. J’ai perdu mon monde et ma religion. Je pensais suivre le même chemin que mes oncles et nos martyrs. Mon intérêt et mon enthousiasme étaient d’être honnête pour atteindre au martyr. Nous nous considérions comme supérieurs et séparés des autres. Nous croyions réellement que ce que nous faisions était correct, que nous servions le peuple, que nous servions Dieu et que notre mission exclusive était de servir Dieu. Mais maintenant, j’ai honte vis-à-vis du peuple même de dire que je me suis trompé, et j’ai honte vis-à-vis de ma religion. J’ai commis des crimes sciemment et sans le savoir. Je reste avec ma conscience qui me punit de ce que j’ai fait. J’espère que Dieu et le peuple me pardonneront.

lundi 7 décembre 2009

Les événements de la journée du 7 Décembre 2009 (16 Azar 1388)



Le peuple iranien s’apprête à vivre une nouvelle journée historique en ce 7 décembre 2009. En 1953, moins de 4 mois après le terrible coup d’Etat anglo-américain qui destitua le gouvernement démocratiquement élu de Mohammad MOSSADEGH le 19 Août, 3 étudiants trouvaient la mort lors des manifestations organisées contre le régime du Shah.



Cette date qui est depuis devenue la journée de l’étudiant a symbolisé la résistance héroïque des mouvements étudiants iraniens face aux forces de l’oppression et de la terreur sous le Shah et depuis 1979, sous le régime islamique des mollahs. Cette année, elle prend une connotation particulièrement importante vue l’implication majeure des étudiants iraniens dans les contestations qui ont éclaté depuis les élections truquées du 12 Juin 2009.



Nous allons suivre les événements de cette nouvelle journée cruciale. Un grand merci à tous ceux qui prennent des risques importants pour nous permettre de témoigner de l'horreur vécue par tout un peuple (Twitter, Live Blogs, Sites d'information étudiants, Sites Droits de l'Homme, etc.).



Photos de la journée du 16 Azar
http://www.mardomak.info/photos/text/16azar_photo/

Vidéos
http://www.mardomak.info/videos/text/47366/


1:00 – heure locale (22:30 heure de Paris)
  • Au moins un blessé par balle réelle sur la Place Ghods.
  • Les Basijis et les miliciens habillés en civil ont frappé de très nombreux manifestants. Plusieurs personnes ont été arrêtées. Le nombre total pas encore connu.
  • Majod Tavakoli, un leader étudiant a été arrêté à l'Université Polytechnique.
  • Plusieurs villes moyennes et grandes ont participé aux manifestations.
  • Des appels à manifester par les organisations étudiantes pour demain mardi 12:30 et mercredi.
  • Album photo - Time Magazine ici
  • Très bon compte rendu du New York Times ici
  • Compte rendu du Washington Post ici
  • Des barricades à Téhéran, des images incroyables





  • Communiqué important d'Amnistie Internationale condamnant l'usage de la force à l'encontre des étudiants lors des manifestations pacifiques de ce jour: lien ici
  • Les responsables des gardiens de la Révolution avaient annoncé que les étudiants seraient accueillis avec des fleurs!! Honte à eux.

  • Il y a eu plus de manifestants arrêtés que lors des manifestations du 4 Nov, d'après certains témoins (non confirmé).
  • Les femmes ont été une nouvelle fois à la pointe des contestations. Cette photo montre le courage d'une femme qui ose repousser un Basiji.


13:30 – heure locale (11:00 heure de Paris)
  • Des tirs en l'air vers l'enceinte de l'Université Amir-Kabir. Tirs de gaz lacrymogènes, pas de blessés.
  • Des heurts auraient été signalés sur la Place Enghelab
  • C'est Khamenei qui semble être la cible privilégiée des manifestants. Ahmadinejad semble bien secondaire.
  • Les organisations étudiantes unifiées de 6 Universités majeures de Téhéran appellent la population à les rejoindre à 15h pour un rassemblement majeur.
  • Il se peut que cette manifestation dépasse en ampleur celles du mois de Juin. On rappelle que le point culminant est annoncé à 15h heure locale, dans 90 mi
  • nutes.
  • Solgan: "République Iranienne - République Iranienne": tout est dit. "Iranienne" et non pas "Islamique".
  • Des témoins confirment que les Basijis sont dépassés vers l'Université Amir-Kabir qui serait tombée aux mains des manifestants.
  • Des miliciens auraient arrêtés au moins 7-8 manifestants sur l'avenue Vali-e Asr.
  • Aux portes de l'Université de Téhéran, des heurts ont éclatés.
  • RFI Farsi: des heurts entre manifestants et forces de l'ordre sur la Place Ferdowsi
  • Les heurts se multiplient d'après certains témoins. Localisation et ampleur non confirmées pour l'instant.
  • Reuters: La police iranienne arrête 2 femmes manifestant devant l'Université de Téhéran
  • Tabriz, Arak, Kerman, Shiraz, Rasht: il n'y a pas que Téhéran qui proteste. C'est tout un pays qui se soulève.
  • La couverture médiatique internationale semble satisfaisante. Un lobbying intense sur Internet a payé. Sans oublier la masse de manifestants qui sont effectivement au rendez-vous. CNN, CBS, Guardian, Al Jazeera, Le Figaro, etc.
  • Une source (Twitter/MikVerbrugge) indique que le Gouverneur de Téhéran aurait demandé la mobilisation la division Sarollah des Gardiens de la Révolution. C’est une division d’élite des Gardiens dont la direction et les missions ont toujours été très politiques et ultra sécuritaires. Si confirmé, cela signifierait que le régime sort les grands moyens pour accroître la répression et monte un cran de plus dans l’escalade.
  • Sur l’avenue Abureyhan, une jeune femme a littéralement pris la tête des manifestants. Les portes des maisons sont ouvertes et les habitants distribuent eau et nourriture.
  • Des étudiants à l’Université Khaje-Nassir ont refoulé les Basijis de leur campus. Cela confirme que les forces de l’ordre seraient dépassées par l’ampleur et la multiplicité des foyers de manifestation
  • Des étudiants réunis à présent avec les manifestants venus de l’extérieur du campus, quittent l’Université Polytechnique (Amir-Kabir) pour se diriger vers l’avenue Vali-e Asr en scandant des slogans.
  • Un grand nombre de Basijis auraient pénétré dans l’enceinte de l’Université de Téhéran


13:00 – heure locale (10:30 heure de Paris)
  • Les étudiants et les manifestants regroupés, ont pris possession de l'Université d'Amir-Kabir, Les Basijis semblent dépassés!
  • Solgan inédit encore: "Comme si Gaza et Liban ne suffisaient pas, Ils sont allés après Yémen" ("Ghaze o Lobnan Kaman, Raftan soraagh-e Yaman")
  • Les étudiants de l'Université Beheshti (bien plus au Nord de Téhéran) se rassemblent devant le bureau du représentant de Khamenei et chantent des slogans.
  • Les étudiants de l'Université Amir-Kabir (environ 2000) auraient dégagé la porte d'entrée donnant sur l'avenue Vali-e Asr. Des manifestants se joindraient à eux à l'intérieur de l'Université. Les forces de l'ordre en nombre insuffisant?
  • Les rues voisines de la Place de Ferdowsi sont à présent pleines de manifestants se dirigeant vers la Place Imam Hossein
  • Les miliciens habillés en civil ont fermé l'entrée de l'Université d'Amir Kabir
  • Énorme et inédit: Slogan "Que Khamenei sache qu'il sera bientôt renversé" ("Khamenei Bedouné - Bezoudi Sarnegouné)
  • Il y a déjà énormément de monde dans les rues et les points chauds alors qu'il n'est que 12:30. Les miliciens frappent quand ils le peuvent mais le nombre de manifestants grandit.
  • Des manifestants affluent vers l'Université Amir-Kabir. Est-ce que les étudiants pourront sortir et les rejoindre malgré l'encerclement des forces de l'ordre. L'occasion de remercier l'excellent site d'information, en Persan, de cette université qui est à la pointe de ce mouvement de libération: http://www.autnews.es/

12:30 – heure locale (10:00 heure de Paris)
  • Des Basijis à vélo, battraient avec leurs matraques les manifestants à l'intersection des avenues Vali-e Asr et Enghelab
  • Les étudiants de l'Université des Arts ont également commencer leur manifestation.
  • Les Basijis scandent également des slogans afin de provoquer les étudiants encerclés.
  • Le lien de astreetjournalist.com est ici (Live Blog +++)
  • Toutes les Universités majeures à Téhéran sont totalement mobilisées et véritablement mènent cette journée d'action. Les étudiants démontrent une nouvelle fois leur rôle clé de leadership de ce mouvement et surtout leur énorme courage face aux monstres de l'appareil répressif de la République Islamique.
  • Premiers messages de Shiraz où les manifestations semblent avoir démarré également.
  • Les rassemblements devraient gagner en puissance d'ici 15h heure locale.
  • Le réseau des téléphones mobiles coupé autour de l'Université de Téhéran.
  • Les étudiants de l'Université Sharif (le "MIT" iranien) commencent à scander des slogans "Mort aux Dictateurs", "Étudiants préfèrent mourir que d'accepter ce gouvernement".
  • L'Université Amir-Kabir serait encerclées par les miliciens habillés en civil.
  • Les forces de l'ordre stationnées sur l'avenue (ou la Place) Vali-a Asr en grand nombre.
  • Une foule immense se regroupe et s'oriente progressivement vers l'Université de Téhéran.
  • Près de 2000 étudiants seraient regroupés dans l'enceinte de l'Université de Téhéran.
  • Les sources CNN commencent à couvrir l'événement.


12:00 – heure locale (9:30 heure de Paris)
  • L'article important et relativement précoce du New York Times ici. "Plusieurs milliers de forces anti-émeutes munies de gaz lacrymogènes, de matraques et d'armes lourdes sont déployées autour de l'Université de Téhéran" ...
  • Les forces de l'ordre bloquent les accès à l'enceinte de l'Université de Téhéran, l'épicentre des manifestations du 16 Azar. Ils ne veulent pas laisser les étudiant sortir des campus et se joindre à d'autres manifestants.
  • La manifestation a également démarré à l'Université Amir-Kabir.
  • Les manifestants sont agressés sur la Place de la Révolution (Enghelab). Les Basijis les attaquent.
  • L'un des blogs les plus en vue, http://www.astreetjournalist.com/ pour suivre les événements minute par minute.
  • Les forces de l'ordre commencent à frapper les manifestants.
  • De violents affrontements ont été signalés sur plusieurs campus universitaires.
  • Les étudiants ont donné rdv à 15h, heure locale, pour le point culminant des rassemblements qui devraient converger à l'Université de Téhéran.
  • Plusieurs mères de martyrs, membres de l’association « Mère en Deuil » ont été arrêtées le samedi 5 Décembre. Ces mères défilent courageusement tous les samedis dans un parc du centre ville (Park-e Laleh) depuis la mort de leurs enfants. Le régime n’a apparemment pas supporté ce puissant symbole de résistance à 2 jours des manifestations du 16 Azar. Article du New York Times à ce sujet.
  • Le climat a été particulièrement tendu ces derniers jours à Téhéran. Les cris d’Allah-o Akbar (« Dieu est grand ») ont été particulièrement importants hier soir.
  • Il fait froid à Téhéran. Il y aura du vent et de la pluie. Il faudra bien plus pour faire rester chez eux les manifestants. Cette journée a été tant attendue depuis la manifestation du 4 Novembre (13 Aban).