Par JEAN-PIERRE PERRIN
19 Novembre 2009
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Le «suicide» du jeune médecin du camp témoigne de la volonté du régime iranien d'empêcher toute enquête sur ce centre de détention illégal, fermé fin juillet.
C'était le médecin de ce qui fut probablement le pire cul-de-basse-fosse de tout l'Iran, une prison longtemps tenue secrète, plus proche d'un camp de la mort que d'un centre de détention, dans la banlieue sud de Téhéran. Ramin Pool Andarjani, 26 ans, savait sans doute tout ce qu'il s'y passait : les tortures, les tabassages, les viols, les conditions infernales de détention, la mort dans des cellules infectes. Il n'était d'ailleurs pas volontaire pour y servir : il y avait été affecté au titre du service militaire. Selon les versions officielles, le jeune homme vient de se «suicider» ou de mourir d'un arrêt cardiaque dans son lit. Ce n'est pas l'avis de ses parents qui assurent qu'il a été assassiné. Seule une autopsie pourrait trancher, mais les autorités l'ont refusée. La mort du médecin apparaît comme un triste épilogue à l'histoire de Kahrizak. Si ce lieu n'est pas aussi connu que la sinistre prison d'Evin, c'est parce qu'on y enfermait les voyous, les trafiquants, les prostituées, les maquereaux, tous ceux qui transgressaient l'ordre social islamique, et non des politiques. On a commencé à évoquer Kahrizak que lorsque le régime y a jeté les manifestants qui dénonçaient la réélection de Mahmoud Ahmadinejad à la présidence de la République.
apaisement
C'est le Guide suprême, l'ayatollah Ali Khamenei, qui a lui-même ordonné la fermeture du camp de Kahrizak, le 28 juillet, reconnaissant que des abus y avaient été commis. A cette époque, sa décision avait été saluée comme un geste d'apaisement à l'égard des opposants réformateurs. En réalité, le leader iranien venait d'être informé de ce qu'il s'y passait par son photographe personnel, raflé par erreur lors d'une manifestation par les bassidji (miliciens islamiques) et envoyé à Kahrizak. Il y avait été sévèrement battu à chacune de ses crises d'épilepsie - dues à une blessure contractée lors de la guerre Irak-Iran dans les années 80. Libéré à la suite de la visite d'un député qui l'a reconnu, le photographe a témoigné des tortures et des viols commis sur les prisonniers. A l'époque du chah, Kahrizak était un immense dépôt d'armes et de munitions. La révolution islamique l'a transformé en prison clandestine pour ceux que le régime appelle les arazel-e obash,les «bandes de racailles», nombreux dans cette partie déshéritée de la capitale et que l'on jetait dans des conteneurs en guise de cellules. Selon une source proche d'un ancien haut responsable des services secrets iraniens, l'aviateur israélien Ron Arad, dont l'appareil avait été abattu en 1986 au-dessus du Liban et que les autorités de Tel-Aviv recherchent depuis, a aussi été détenu à Kahrizak. «En moyenne, les détenus étaient battus trois fois par jour et pour tout repas avaient droit à un morceau de pain», indique un jeune opposant, qui a collecté des informations sur la prison secrète. «Une fois, les détenus ont entendu Ahmad Radan [le chef de la police de Téhéran, ndlr] crier aux geôliers : "Tapez-les jusqu'à la mort. C'est le Guide qui l'ordonne."»
ordures
chercheur iranien, sous anonymat, ajoute : «La règle, c'était que le prisonnier crève dans sa cellule. Kahrizak était une zone de non-droit absolu même au regard des normes pénitentiaires du régime. Ainsi, les gardiens étaient recrutés parmi les kapos les plus violents. Pour les policiers, tout est permis dès lors qu'il s'agit de punir ceux qu'ils appellent les perturbateurs de la tranquillité sociale.» Si Kahrizak est demeuré longtemps ignoré des associations de défense des droits civiques, c'est parce que ces dernières craignaient que défendre les droits communs ne donne au régime des armes contre elles. Le châtiment impitoyable des criminels, notamment les pendaisons publiques, n'est pas impopulaire en Iran, en particulier dans la classe moyenne. «Le régime l'a bien compris. Exemple : en mai-juin 2008, on a sorti 19 "criminels" de Kahrizak que l'on a exécutés devant les caméras de télévision. C'était sans précédent en Iran», indique le même chercheur. Avec la contestation de l'été, des dizaines de de manifestants sont enfermés à Kahrizak. Ceux-ci se retrouvent alors mêlés aux droits communs. «J'imagine que dans la tête des chefs de la répression, on se disait que c'était la meilleure façon de dresser les soussouls [fils à papa] des beaux quartiers», souligne le chercheur. Des centaines de jeunes gens découvrent un Iran qu'ils ne soupçonnaient pas. On enferme jusqu'à 76 personnes dans des conteneurs sans trou d'aisance et que l'on nourrit avec les ordures des casernes voisines. «Plus de 200 personnes ont fini à l'hôpital», poursuit-il. Le journaliste Babak Dad, qui vit clandestinement à Téhéran, a écrit sur son blog un récit effroyable des viols subis par les détenus. C'est dans ses conditions que va mourir Mohsen Rolamini, fils d'un scientifique de renom proche du régime. Pour la police, il est mort d'une «infection virale». Pour son père Abdul-Hossein, il a été assassiné. L'affaire a secoué le régime. Un homme savait la vérité : le médecin «suicidé» de Kahrizak.
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