dimanche 3 février 2013

Survivre au viol dans les prisons iraniennes – Témoignage de Maryam Sabri


Nom Maryam Sabri
Lieu de Naissance Téhéran, Iran
Date de naissance 1988
Profession Commerçante
Interviewer Iran Human Rights Documentation Center (IHRDC)
Date de l’interview 3 décembre 2009
Interviewer                              IHRDC Staff

Témoignage approuvé par Maryam Sabri le 9 novembre 2010

Préambule
Je m’appelle Maryam Sabri. J’ai vingt et un ans et je travaillais dans une compagnie maritime avant de quitter l’Iran.

J’ai été admise à l’université d’art de Téhéran en 2006 et je suis devenue membre du conseil politique de l’université. Je n’étais affiliée à aucun parti politique particulier et je n’avais pas d’activités politiques à l’université. J’ai participé à des programmes et à des manifestations non politiques sur le campus. Néanmoins, le bureau de protection de l’université et l’unité de renseignement de l’université ont décidé de m’exclure temporairement en 2007 et plus tard m’ont confirmé par écrit que je n’avais plus le droit d’assister aux cours. J’ai donc été expulsée définitivement de l’université un an après y avoir été admise.

J’ai commencé à militer politiquement durant l’élection présidentielle de 2009. Après avoir participé aux manifestations, j’ai été arrêtée par des agents en civil et transférée dans un centre de détention que j’ignore où j’ai été maltraitée et violée à plusieurs reprises.

L’élection
Au début, j’hésitais à voter pour l’élection présidentielle de 2009. J’étais même en faveur du boycott de l’élection. Je croyais que voter signifiait que l’on était satisfait du système, mais quand Khatami est entré en jeu, a présenté Moussavi et à demander de le soutenir, j’ai changé d’avis. 
J’ai retrouvé l’espoir et pensé que, si Moussavi était élu, la société s’ouvrirait comme lors de l’époque réformiste de Khatami. J’ai donc rejoint la campagne de Moussavi à Téhéran et j’ai milité pour lui. Je sortais tous les soirs où Moussavi participait à un débat. La passion et l’enthousiasme du peuple étaient pleins de promesses. On scandait : « Ahmadi, bye bye » parce qu’on était sûr qu’Ahmadinejad perdrait l’élection.
Mais nos espoirs ont été anéantis. La république islamique s’est jouée de nous. Nous avions voté mais le régime avait décidé à l’avance du gagnant. Le vote n’était qu’un jeu que le régime jouait avec nous. Nous sommes descendus dans la rue pour déclarer que nous avions été dépouillés de nos votes et pour montrer notre mécontentement du résultat de l’élection. Nous demandions aux supporters de Moussavi et de Karroubi de sortir manifester pour prouver que nous étions plus nombreux que le nombre que le régime attribuait aux votes pour Moussavi et Karroubi.

Les manifestations
J’ai participé à toutes les manifestations jusqu’à mon arrestation le 30 juillet 2009. Je ne me souviens plus des dates mais je me souviens des jours où ont eu lieu les manifestations auxquelles j’ai participé.
Le lundi (15 juin 2009) nous devions commencer la manifestation place Enghelab et marcher jusqu’à la place Azadi, mais les plans ont changé et nous sommes partis de la place Imam Hossein pour aller place Azadi. Le mardi et le mercredi (16 et 17 juin) nous nous sommes rassemblés devant la radio-télévision rue Vali-Asr et place Haft-é-Tir. Le jeudi après-midi nous nous sommes rassemblés place Haft-é-Tir. Le mardi, il y a eu deux manifestations, l’une place Haft-é-Tir et l’autre à Tadjrish. Les manifestants ont défilé de Tadjrish jusqu’à la place Rah-é-Ahan à l’autre bout de la rue Vali-Asr. Le lundi suivant la manifestation était rue Karegar.
Nos manifestations avaient un seul but : exprimer notre protestation contre l’annonce des résultats officiels de l’élection et dénoncer publiquement les tricheries du gouvernement. La plupart des manifestations étaient pacifiques. Nous ne voulions pas affronter les forces de sécurité surtout les agents en civil. Nous scandions des slogans mais nous n’avions pas recours à la violence. Mais parfois, les agents en civil nous incitaient à la violence. Par exemple, les manifestations du mardi et du mercredi devant la radio-télévision répondaient à celle des supporters d’Ahmadinejad de la veille. Nous sommes descendus dans la rue pour montrer notre force, notre popularité et notre nombre, plus important que celui des supporters du gouvernement.
A cette époque, il n’était pas très facile d’informer les gens sur les manifestations. Les téléphones portables ne fonctionnaient pas. Nous nous appelions depuis des téléphones fixes et nous utilisions les réseaux sociaux comme Facebook, Yahoo 360 et les blogs qui n’étaient pas encore bloqués. Il y avait beaucoup de blogs tenus par des militants que nous utilisions pour informer les autres. Notre slogan était « Nous sommes les médias et nous serons forts si nous unissons nos voix. »
Je manifestais habituellement avec quatre ou cinq amis. Deux étaient des camarades de classe de Téhéran. Ils sont actuellement en fuite. Les deux autres ont été arrêtés le même jour que moi et je ne sais rien de ce qu’ils sont devenus.
Les forces de sécurité qui affrontaient les manifestants appartenaient aux forces spéciales de la police de Téhéran, les bassidj et les gardiens de la révolution (IRGC). Elles utilisaient toutes la violence contre les civils et frappaient les manifestants sans pitié. Elles frappaient tout le monde, les garçons, les filles, les jeunes et les vieux. Toutes étaient également brutales.
Il y avait en plus les agents en civil qui affrontaient les manifestants. Il était difficile de savoir s’ils appartenaient à l’IRGC ou à la bassidj. Ils étaient plus agressifs et frappaient les manifestants impitoyablement. Les bassidj de Téhéran ont une apparence bien à eux. Ils portent tous la barbe ou sont mal rasés, les cols de leurs vêtements sont des cols Mao boutonnés jusqu’en haut, des pantalons et des chemises trop larges. Même si les bassidjs ne portent pas d’uniforme, la façon dont ils s’habillent les rend reconnaissables entre tous.
Fedayan-é-Rahbar (les forces spéciales du guide suprême) s’occupaient aussi de la répression des manifestations. Nous reconnaissions les bassidj des Fedayan-é-Rahbar. Il s’agit en fait d’une filiale de la bassidj très dévouée au guide suprême et prête à mourir pour lui. Ils considèrent le guide suprême comme incontestable. Si on l’insulte, c’est comme si on insultait un de leurs proches. Il leur est même plus cher que leurs proches.
On avait l’impression que les forces de sécurité coordonnaient leurs actions. Je pense que nous n’avons pas osé leur demander de s’identifier. Ils nous étaient très hostiles et ne répondaient à aucune de nos questions. Ils étaient venus pour nous battre, pas pour nous aider. Par exemple, je les ai vus battre un jeune-homme rue Haft-é-Tir. Il leur demandait sans arrêt pourquoi ils le battaient mais ils continuaient à le battre sans dire un mot.
A mesure que les manifestations continuaient lors de la première semaine, les forces de sécurité déployées dans les rues augmentaient en nombre. J’ai vu les NAJA amener plus de forces de sécurité en bus et en camionnettes à Téhéran. Par exemple, j’ai vu un NAJA débarquer deux minibus pleins place Vanak.
Habituellement, avant de nous attaquer à la matraque, électrique ou pas, les forces de sécurité utilisaient des gaz lacrymogènes ou des sprays au poivre. Ils nous battaient, nous poursuivaient et nous arrêtaient. Quelquefois nous répondions, nous les frappions et ils s’échappaient. Cela ressemblait au jeu du chat et de la souris. Les agents en civil poursuivaient les manifestants jusque dans les domiciles et les y frappaient. Par exemple, j’étais un soir à Saadatabat, place Kadj avec une poignée d’autres jeunes un samedi soir. Les bassidjs nous ont vu et nous ont poursuivis. Nous avons couru nous cacher. Ils ont extrait quelques jeunes d’appartements et les ont arrêtés. Ils ont aussi arrêté les propriétaires des appartements où ils s’étaient cachés.
Quelquefois les forces de sécurité attaquaient les manifestants pacifiques pour les énerver et les transformer en foule en colère. Par exemple, un lundi, place Azadi, nous défilions de la place Imam Hossein à la place Azadi en scandant des slogans. Nous sommes restés place Azadi puis avons décidé de retourner place Imam Hossein. Au retour, il n’y avait pas de slogans, nous défilions en silence en portant des portraits. Les bassidjs sont arrivés, ont commencé à nous insulter et à nous attaquer. Ils avançaient et nous provoquaient. Rue Azadi, près de la place Enghelab un de leurs groupes s’est mêlé à la foule et a insulté l’épouse d’un des manifestants et a commencé à se bagarrer. C’était des Bassidj en civil et ils portaient une matraque à la ceinture.
Une autre fois, j’ai vu les forces de sécurité en groupe battre des manifestants et des membres de la police secrète qui utilisaient des couteaux et des rasoirs parmi la foule. Je crois que c’était le jeudi place Vanak. Nous étions rue Vali-Asr et nous nous dirigions vers la voie Park. Les forces de sécurité et les bassidjs nous ont attaqués place Vanak et ont battu tous ceux qui se trouvaient sur leur chemin. L’un d’eux avait un couteau. Je l’ai vu le sortir de sa ceinture et courir vers les manifestants. J’ai eu très peur pour ma vie et je me suis enfuie. Je ne me suis pas arrêtée pour voir ce qu’il faisait de son couteau.
J’ai aussi vu les forces de sécurité tirer sur la foule place Azadi un lundi. Un jeune en est mort. Il avait reçu une balle à l’arrière de la tête. On avait tiré depuis le toit d’un bâtiment de la bassidj. La victime se trouvait juste en face du bâtiment de la bassidj rue Azadi.
J’ai aussi entendu des tirs un jeudi rue Vali-Asr. Les manifestants se rassemblaient habituellement rue Vali-Asr ou place Haft-é-Tir le jeudi. Je me trouvais plus haut dans la rue quand les tirs ont commencé vers la fin du cortège environ deux ou trois rues plus au sud de l’endroit où je me trouvais. Tout le monde a commencé à courir. Nous essayions de trouver un trou pour nous y cacher. Plus tard, j’ai entendu dire que deux personnes avaient été blessées ce jour-là. Je pense que les agents en civil ont tiré directement sur les manifestants alors que les forces en uniforme tiraient en l’air ou utilisaient des chevrotines. J’ai eu la moitié de la jambe meurtrie et j’ai eu mal longtemps.

Arrestation
Le jeudi, 40ème jour de la mort de Neda, je scandais des slogans à Behesht-é-Zahra : « Notre Neda n’est pas morte, c’est le gouvernement qui est mort » « Dictateur, démissionne » « Honte à toi Ahmadi, laisse le peuple tranquille ». Nous portions des fleurs et scandions : « Militaire, mon frère ! Ne tue pas ton frère » Nous donnions les fleurs aux gardes. Nous jetions des pétales dans leur direction. Les gardes n’agissaient pas contre les manifestants. Ils se contentaient d’observer.
Mais, vers 17h00 ou 17h15, certains ont crié « courrez ». Quand je me suis retournée, j’ai vu des masses de bassidjs et de Sepahs derrière nous. Ils étaient environ cent. J’ai commencé à courir dans le cimetière et en courant, j’ai été frappée à plusieurs reprises. Je suis tombée. Quand je me suis relevée, j’étais entourée d’agents en civil. Ils ont commencé à me frapper avec des matraques et à me donner des coups de pied. Puis ils m’ont emmenée. Ils étaient cinq et tous étaient des hommes.
On m’a transporté dans une camionnette blanche qui ne portait aucun signe distinctif. Ils m’ont bandé les yeux et menottée assez vite dans la camionnette. J’entendais le bruit des pas de ceux qui arrivaient tandis que j’étais assise dans la camionnette. Au bout de quelques minutes, la camionnette s’est mise en marche. Ils m’ont posé quelques questions comme mon nom et ont écrit mes réponses dans la camionnette. Beaucoup d’autres personnes ont été arrêtées dont une fille que je ne connaissais pas, j’ignore où elle se trouve maintenant et une de mes amies dont j’ai dit dans la camionnette que je ne la connaissais pas. Nous étions environ cinq personnes arrêtées dans la camionnette dans laquelle je me trouvais et il y avait beaucoup d’autres véhicules pleins de personnes arrêtées. J’ai moi-même compté 7 ou 8 véhicules pleins de manifestants. La seule raison de notre arrestation était d’avoir participé  à la manifestation. Le gouvernement nous traita d’émeutiers.
Je ne sais pas où on m’a emmenée. Il s’est passé beaucoup de temps entre mon arrestation et ma descente du véhicule. Je suppose que je suis descendue de voiture dans une cour qui n’était pas très grande car après quelques pas, j’ai atteint les escaliers. Je les ai descendus jusqu’à un sous-sol. Au bout de quelques pas, on ouvrit une porte métallique. Je me trouvais dans une petite pièce carrée. Je ne pouvais pas m’allonger sur le sol, je ne pouvais que m’asseoir par terre pour étirer mes jambes sur le sol carrelé. Il n’y avait pas de fenêtre, il faisait complètement noir et je ne voyais rien. C’était très sale et ça sentait très mauvais.
On ne m’a pas écrouée à cet endroit. Je ne voyais pas les gardes car on nous bandait les yeux pour nous emmener aux toilettes ou aux interrogatoires. Quand je n’avais pas les yeux bandés, les gardes portaient un masque qui ne laissait voir que leur bouche et leurs yeux.
Je suppose que tous les prisonniers étaient détenus dans des cellules d’isolement. Le silence était absolu quand on m’emmenait de ma cellule aux toilettes qui étaient horribles, si je glissais, je tombais dans le trou des toilettes. Cela ressemblait à des toilettes dans un village éloigné où on aurait creusé un trou sur une pente escarpée avec une forme de triangle sur le dessus. J’avais le droit d’aller aux toilettes 4 à 5 fois par jour.
Je suis restée là pendant 14 jours et j’ai entendu beaucoup de cris, de pleurs et de malédictions. Un jour et demi après mon arrestation je crois, on m’a emmenée pour m’interroger. Les personnes qui m’ont interrogée étaient différentes mais aucune ne m’a dit de quoi j’étais accusée. Je n’ai vu aucun de ceux qui m’interrogeaient sauf le dernier qui m’a débandé les yeux et s’est montré à moi. Il était grand avec des yeux clairs, une peau claire, des cheveux clairs et le nez brisé. Il avait un aspect détestable, un aspect que je n’oublierai jamais jusqu’à ma mort.
Lors de l’interrogatoire, on m’a demandé qui était mon chef, de qui venait les ordres que je recevais, comment je coordonnais mes activités, où j’allais, où je rencontrais mes amis et d’autres questions du même genre. Le premier interrogatoire a duré environ deux heures et demi.
Les deuxième et troisième interrogatoires se sont déroulés comme le premier. Ce n’était pas les mêmes personnes qui m’interrogeaient, mais ils me posaient les mêmes questions. A la fin du troisième interrogatoire, celui qui m’interrogeait s’est mis très en colère et m’a menacé de graves conséquences. Il m’a dit : « Tu cherches les ennuis. S’il t’arrive quelque chose, tu seras la seule responsable. Tu ne pourras t’en prendre qu’à toi. Tu ouvriras peut-être la bouche la prochaine fois. Si tu ne coopères pas avec nous, nous changerons d’attitude à ton égard. » Ce sont les menaces proférées à mon endroit par la troisième personne à m’avoir interrogée. Ensuite, on me renvoya dans ma cellule. Je n’avais pas compris la signification des menaces.

Violée à plusieurs reprises
Le quatrième interrogatoire a commencé comme les autres. On m’a posé les mêmes questions. Puis on m’a dit : « Apparemment, tu ne veux pas parler ? » Quand il a vu que je ne répondais pas, il a ajouté : « Tu ne veux pas coopérer ? » Je suis restée silencieuse. Il a dit : « D’accord, tu voulais ton vote ? Je suis là pour te le rendre. Je vais te le rendre maintenant et tu verras bien ce qu’il valait ». Je l’ai senti m’attraper aux épaules. Il ne m’avait jamais attrapé si fort en me battant. Il me souleva de la chaise et me déshabilla de force. Je criais et je pleurais, je le suppliais, je jurais sur tout ce à quoi je croyais. II a ri et m’a dit : « Je n’ai pas de Dieu ou de prophète. Ne t’en occupe pas. Je pleurais en disant : « S’il vous plait, pour l’amour de Dieu, je ferai tout ce que vous voudrez, tout ce que vous direz. » Il a répondu : « Non, tu n’as pas coopéré au début et maintenant je veux te rendre ton vote. Pourquoi es-tu ennuyée ? Pourquoi pleures-tu ? Ça ne sert à rien de pleurer. Tu as manqué de réflexion et tu as demandé ton vote et maintenant je vais manquer de réflexion et te rendre ton vote. Ne pleure pas. »
Puis, ce qui n’aurait jamais dû arriver arriva. Il me viola. Après je n’étais qu’à demi-consciente quand on me ramena en cellule. Ils agissaient comme si rien ne s’était passé. Ils me jetèrent dans ma cellule. Je ne sais pas combien de temps a passé. Chaque instant me semblait durer des années.
Le cinquième interrogatoire a été mené par un homme différent. On me posa des questions auxquelles j’avais déjà répondu. Puis il me dit : « Apparemment, tu ne veux pas ouvrir la bouche. D’accord. On va se conduire avec toi de la manière que tu comprends. » Il commença de nouveau à me déshabiller. Je hurlais et il riait. Puis il dit : « Même si tu meurs à force de crier ici, personne ne t’entendra. » Puis il me viola pour la deuxième fois. On me renvoya. J’allais aux toilettes avant de rentrer en cellule.
Cela se reproduisit durant le sixième interrogatoire. La seule différence ce fut que cette fois je n’ai pas pleuré, pas hurlé et pas supplié. Celui qui m’interrogeait riait en disant : « Pourquoi ne me supplies-tu pas? Supplie-moi, des fois que je ressente de la pitié et que je te laisse partir. Pleure, pleure pour que je te laisse partir. Je vais peut-être avoir pitié de toi. » Mais c’était comme si je savais déjà ce qui allait se passer et cela ne m’importais plus. Je n’ai pas pleuré, je n’ai pas supplié parce que j’étais sûre de ce qui allait se passer. On me renvoya en cellule.
La fois suivante, quand on m’emmena pour m’interroger, on me posa les mêmes questions puis on me viola. Celui qui m’interrogeait retira le bandeau de mes yeux et je vis son visage. Il s’assit face à moi et commença à parler. Il demanda : « Veux-tu qu’on te laisse partir ? Veux-tu rester vivante ? Veux-tu revoir le monde extérieur ? » Je pleurais et lui répondit : « Oui. Je ferai tout ce que vous direz mais laissez-moi partir. Tuez-moi ou laissez-moi partir. Ne me faites plus de mal comme ça. » Il rit et dit: « Non, on ne va pas te tuer tout de suite. On va te laisser partir mais il y a une condition, il faudra que tu ailles où on te dit d’aller et que tu fasses ce qu’on te dira de faire. Et il ne faudra pas parler à âme qui vive de ce qui s’est passé ici. Si tu en parles, on te tue, tu ne resteras pas vivante. Nous te suivrons constamment et on ne te laissera pas nous échapper. Si tu agis mal, tu ne resteras pas vivante. Comme beaucoup d’autres qui sont morts sans que personne ne le sache, toi aussi tu mourras. » J’ai pleuré et j’ai dit : « Bon, d’accord, laissez-moi partir. » Alors il me menaça de nouveau : « Tu as une dette envers moi. Si tu sors, tu feras tout ce qu’on te dit. »
Il me dit encore qu’on m’emmènerait au tribunal et qu’il fallait que je m’y prépare. Il ajouta que, si j’étais gentille, le tribunal me relaxerait et que si je n’étais pas gentille, je n’arriverai jamais jusqu’au tribunal.
On me relâcha à condition que je coopère avec eux. Je finis par dire : « Je ferai ce que vous voudrez, laissez-moi juste le temps de me remettre ». Il rit et me dit : « Mais tu vas bien. Tu ressens peut-être des douleurs, dans les os, des luxations. Mais rien de cela n’est important. Tu es toujours vivante. » J’ai dit « D’accord ». Je devais collaborer avec eux, participer aux manifestations, prendre des photos et filmer, me débrouiller pour connaître les participants, savoir combien ils étaient. C’était leur plan mais je n’ai jamais participé aux manifestations après cela et je n’ai pas coopéré avec eux.
On me ramena en cellule. Il se passa quelques temps. Puis ils arrivèrent, je gravis les escaliers que j’ai dû descendre. J’ai atteint la cour et j’ai senti l’air frais. On me mit dans une voiture et on me relâcha au parc Tchitgar. C’était le crépuscule, il faisait sombre. J’ai découvert que nous étions le 14 août 2009.

Après la libération
Après ma libération, ils m’appelèrent trois ou quatre fois sur mes portables. J’avais deux cartes SIM. Je pensais qu’ils n’en connaissaient qu’une. On me dit : « On va t’appeler et t’ordonner où tu dois aller et ce que tu dois faire. » Je demandais où et il ajouta : « Cela ne te regarde pas. On te le dira quand il faudra que tu le saches. » Puis il m’intima l’ordre de ne pas couper mon portable, d’être joignable et de répondre aux appels. Il ajouta : « On te dira où tu dois te rendre pour nous rencontrer. Nous avons quelque chose pour toi. »
J’avais très peur. J’ai éteint mon téléphone et jeté ma carte SIM. J’ai ensuite reçu un appel à minuit. Je ne pensais pas que c’étaient eux qui appelaient. On me dit : « Tu as pensé pouvoir nous échapper ? » J’ai répondu que mon portable avait des problèmes. Il a commencé à m’injurier : « Pourquoi as-tu éteint ton portable ? Pourquoi ne répond-tu pas ? Où diable étais-tu ? Pourquoi n’es-tu pas rentrée à la maison ? Tu croyais qu’on plaisantait avec toi ? » J’ai raccroché et jeté ma carte SIM.
Deux jours plus tard, je quittais l’Iran pour la Turquie. Je me suis rendu au bureau de l’ONU où j’ai rempli un dossier.
J’ignore qui était responsable de mon arrestation. Après ma libération, j’ai eu une interview télévisée ce qui a poussé le gouvernement à admettre dans un article que c’était l’IRGC qui m’avait arrêtée.
Après ma fuite, on a arrêté mon frère et mon père. Mon père a été détenu trois jours. Il a été cité à comparaître devant le tribunal révolutionnaire. Je ne sais pas ce qui lui est arrivé. Cela fait maintenant cinq ans que je n’ai pas eu de contact avec mon père, que je ne lui ai pas parlé. Mon cousin, avec lequel j’étais en contact par email, m’a mise au courant de ce qui était arrivé après mon départ. Il m’a dit que mon père et mon frère subissaient des pressions pour me demander de revenir au pays et de faire des aveux télévisés pour dire que j’avais menti et que je n’avais pas été violée en prison.

Source : http://www.iranhrdc.org/english/english/publications/reports/3401-surviving-rape-in-iran-s-prisons.html?p=24#.UQGuP7-7W2B

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