lundi 20 janvier 2014

Au bloc 350, l’art défie les murs – Hessam Shirazi

Si la nuit avait un plafond de ciment….
Le monde de la prison n’est pas qu’un monde de murs. C’est aussi un monde d’esprits isolés de la société derrière de hauts murs ne vivant que par les souvenirs de leurs amours et de leurs êtres chers.

Dans l’appentis du bloc, Hamid, qui préfère utiliser ce nom pour garantir sa sécurité, s’occupe à poncer une pièce de bois brut, noir et dur comme du roc. Il est seul, immergé dans un monde éloigné de celui dans lequel il vit. Il dit que cela le distrait et le calme, que cela rend plus supportable la séparation de son épouse et de sa fille adolescente.

C’est le bloc de cellules 350 du centre de détention 3 de la prison d’Evine, que la plupart appelle le « bloc des politiques ». Durant les quatre ans et demi passés, ce bloc a abrité beaucoup de militants, célèbres et inconnus ; aujourd’hui, beaucoup de prisonniers de conscience s’y trouvent encore. C’est un groupe très différent des autres détenus, même s’ils sont aussi différents les uns des autres ; ils diffèrent par la classe, les opinions politiques et vont de personnes ordinaires à des politiques radicaux, des journalistes, des poètes et des peintres.

Certains sont en prison parce que leur art était en soi une manifestation. D’autres, en prison, ont mis leur art au service de la protestation.

Un Mur comme Journal
« L’art en prison » évoque souvent des bras et des membres tatoués ou peut-être des boîtes à cigarettes gravées d’images d’amoureuses légendaires. On entend souvent dire qu’on enseigne aux prisonniers un artisanat ou une vocation en prison pour les empêcher de récidiver à leur sortie. Mais pour les prisonniers politiques ? Imaginez Hesmatollah Tabarzadi, militant démocrate emprisonné en train de scier du bois pour fabriquer des chaises ou bien Bahman Ahmadi Amoui, journaliste emprisonné, apprenant à broder pour abandonner le journaliste à sa libération…

Mais la réalité est plus déprimante que cette image. Le bloc 350 est un endroit fermé et isolé, les détenus y sont gardés à l’écart de ceux ces autres blocs et des aménagements généraux de la prison. Pour éviter que des lettre ou des déclarations politiques ne s’échappent vers le monde extérieur, les détenus n’ont pas le droit de fréquenter les ateliers ou même les installations sportives de la prison d’Evine. (Le téléphone public a été retiré il y a quelques années et il est interdit d’envoyer ou de recevoir du courrier).

Dans cet environnement contraint, lire et écrire sont les seules distractions dont bénéficient les prisonniers. Mais même si la plupart des prisonniers politiques sont des intellectuels studieux et cultivés, combien peuvent-ils écrire pour s’occuper ? Au bout de très peu de temps, cela conduit à la dépression. « En 2009, juste après mon arrestation, il n’y avait aucun aménagement dans le bloc » raconte un ancien détenu du bloc 350. « Les gars prenaient des briques en guise d’haltères pour faire du body-building. Le gardien était méchant et ne cessait de nous harceler. Un jour, il a placé 10 ou 15 d’entre nous à l’isolement. »

Après les élections de 2009 et les manifestations du Mouvement Vert, le bloc 350 était surpeuplé. Les cellules étaient tellement pleines que même sur le sol, il n’y avait pas assez de place pour dormir. Les anciens disaient « exactement comme dans les années 80. » Au fil de la détente, les détenus restant ont peu à peu appris à utiliser au mieux les jours sans fin d’incarcération. Au début 2011, Nader Karim Djouni, journaliste réformateur, a commencé un modeste journal mural ; lui et d’autres journalistes pouvaient y écrire de petits articles et même des poèmes. Dans les poètes, Ghassem Sholeh-Saadi, ancien député, professeur de droit, des journalistes, des militants politiques, des poètes et des écrivains. Mohammad Djavad Mozaffar, directeur d’édition, a mis en place une compétition de narrations dont on a parlé sur internet. Les détenus ont même organisé des groupes d’écriture de livres.

Thérapie musicale
Les projets personnels fournissaient une autre source majeure de divertissement. On a traduit beaucoup de livres au bloc 350, dont certains qui en valent vraiment la peine comme l’Atlas des Droits Humains d’Andrew Fagan traduit par Mehdi Khodaï, étudiant emprisonné, l’œuvre poétique complète de Nizar Qabbani, diplomate syrien décédé et poètes ainsi que des livres sur l’histoire iranienne.

Les jours de fêtes et lors d’autres occasions, les prisonniers se donnaient en concert et jouaient des mélodies qu’ils avaient eux-mêmes arrangées. Le bloc politique a vu beaucoup de bons musiciens, certains y sont encore, comme le rappeur Amir-Ehsan Tehrani, condamné à un an de prison pour avoir publié deux chansons dont le thème était les droits humains. Avec un autre détenu, Houman Moussavi, il a composé une chanson ; ils l’ont chantée le soir de leur libération à leurs fans rassemblés devant les portes de la prison. Massoud Pedram, docteur en sciences politiques, a écrit et chanté des chansons dont deux dédiées à Hoda Saber, journaliste décédé au bloc 350 suite à une grève de la faim et aux passages à tabac brutaux qu’il a dû endurer.

L’année dernière, un groupe d’acteurs a décidé d’organiser un spectacle tous les vendredis après-midi pour leurs codétenus pour tenter de diluer le poison de la triste nostalgie qui descend lorsque le soleil se couche sur le week-end iranien. Ils l’ont appelé « la Tour de Fleurs » et Ramin Partchami, un acteur qui avec Djafar Panahi, metteur en scène réputé, faisait partie des célébrités les plus notoires du cinéma du Mouvement Vert, y participait. « La Tour des Fleurs » était l’une des vraies distractions dont les prisonniers politiques pouvaient jouir. Mais, aux dernières nouvelles, le nouveau responsable l’a fait interdire vers le milieu de l’été.

Ecoutez ce morceau de musique traditionnelle enregistré au bloc 350, diffusé pour la première fois par Iranwire : https://soundcloud.com/iranwire-iran/lsmwp58agu7n

La noix de coco subversive


« Quand je travaillais sur des plaques de bois, surtout en écoutant de la musique à la radio, je rentrais en quelque sorte en transe. J’étais dans un état terrible et je ne comprenais pas pourquoi j’étais encore vivant… Mais lorsque j’ai montré mon travail à ma famille durant les visites, j’ai remarqué que leurs yeux brillaient ce qui m’a poussé à travailler davantage. »

Hamid est l’un des artistes graveurs les plus célèbres du bloc 350. Il est libre depuis longtemps mais sa voix tremble encore quand il parle de son incarcération. Adolescent, il a travaillé le bois pendant quelque temps, dit-il, mais les œuvres qu’il a créées à Evine sont complètement différentes : une œuvre est une plaque gravée pour sa famille, l’autre une poupée de chiffon. Elles sont faites du bois dur des noix de coco, la seule espèce de bois qui entre dans le bloc de temps en temps avec d’autres fruits.

« Nous avons créé toutes sortes de motifs » dit Hamid. « Nous avons emprunté certains dessins aux magazines et aux journaux, ou bien on les trouvait nous-mêmes. Houshang Rezaï (maintenant transféré dans une autre prison et condamné à mort) a gravé le visage de Mir-Hossein Moussavi sur une plaque en noix de coco et c’était une très belle œuvre. On a fait sortir la plaque et apparemment, un site Web en a posté l’image. Après cela, on n’a plus autorisé les noix de coco dans le bloc pendant un certain temps. Le gardien disait : « Vous allez encore graver les visages de Moussavi et de Karroubi et c’est nous qui allons prendre ! »
« Travailler les noix de coco est extrêmement difficile » dit un autre ancien prisonnier. « Une fois que c’était fini, je ne sentais plus la fatigue. Au début, j’ai voulu confectionner des cadeaux pour mon épouse et mes enfants, mais petit à petit, c’est devenu un divertissement. Bien sûr, j’ai confectionné des cadeaux pour les épouses et les enfants des autres détenus du bloc pour qu’ils puissent leur faire plaisir. » Il s’arrête puis poursuit : « A chaque fois que je vois une de mes œuvres gardées par ma famille ou par la famille d’un autre prisonnier et qu’elles me remercient encore pour ce cadeau, je suis fier de moi parce que j’ai pu amener un sourire à nos familles en souffrance, aussi tenu que ce sourire ait il été. »

Cet art a été transmis à de nouveaux prisonniers talentueux et beaucoup sont devenus des maîtres, y compris ce même Houshang Rezaï. Les outils sont entrés en contrebande et sont très difficiles à acquérir. « Il est très difficile de se procurer des outils » dit Saman, qui, comme d’autres anciens détenus ne peut pas nous permettre d’utiliser son vrai nom. « Il nous est aussi difficile d’obtenir des matériaux. Par exemple, durant les 22 mois que j’ai passé au bloc 350, nous n’avons eu que deux fois des noix de coco. Vers la fin, il nous manquait du papier de verre et des noix de coco, nos œuvres ont beaucoup rétréci, ce qui les a rendues plus délicates et élégantes. Une fois finies, elles étaient agréables à regarder. »

« Quand l’un d’entre nous était libéré, les autres héritaient de ses outils, de ses grattoirs usés ou de ses dossiers. Nos outils étaient très primitifs. Par exemple, un grattoir était réalisé avec un clou et le tube d’un stylo à bille. Le clou m’a si souvent percé la main que le sang coulait et que mon pouce gauche est devenu plus gros que le droit ! Mais cela en valait la peine, j’ai confectionné des souvenirs pour beaucoup de mes camarades ainsi que pour tous mes membres de ma famille. »

« Il était très difficile de trouver de la colle liquide » soupire Hamid. « Il y a quelque temps, dans un magasin, j’ai vu une vitrine de colles liquides. Je me suis précipité pour en acheter quelques tubes ; c’est alors que je me suis rappelé que je n’étais plus prisonnier ! Ces derniers jours, j’ai pensé à installer un petit atelier dans ma chambre pour y travailler le bois à l’occasion en souvenir de ma détention. J’ai disposé les choses que j’ai confectionnées à Evine devant le miroir de ma chambre, ainsi, je continue de vivre avec. »

Les poupées emprisonnées


Gholam-Reza Khsoravi est l’un des détenus les plus aimés du bloc, non seulement pour ses manières charmantes mais aussi à cause des souvenirs qu’il fabrique. Les chapeaux de Monsieur Khosravi ! Il est condamné à mort mais garde le moral et fabrique des chapeaux simples et élégants à partir de vieux jeans ornés de sa signature et d’un petit poème de sa main.



Les bracelets en noyaux de date (ou d’olives s’il y en a) sont l’un des autres artisanats de Monsieur Khosravi. Avec deux autres, ils ont confectionné des ornements les plus compliqués en taillant les noyaux.

Mais une autre histoire intéressante est celle des poupées de la prison, des poupées de chiffon, aux habits rayés, les yeux bandés et menottées de vert. L’un des experts en est Houman Moussavi qui vit désormais en Norvège. Né dans l’ancienne ville de Shiraz, son père a été exécuté avant sa naissance. Moussavi a été arrêté durant les évènements de 2009 et a passé près de trois ans à Evine. Il a donc eu assez de temps pour apprendre à travailler les tissus. Il a confectionné de nombreux bracelets colorés, des bagues, des bandeaux et des poupées que la plupart des anciens prisonniers politiques gardent en souvenir.

« Ce sont les anciens qui m’ont appris cet art. En prison, j’ai beaucoup lu et tenté d’écrire mais les journées n’en finissaient pas. Alors, fabriquer des poupées et des bracelets pour mes codétenus m’occupait. Ainsi, je donnais des souvenirs à mes amis et je restais en bonne santé. Maintenant que j’ai été libéré, je ne sais pas qui fabrique des souvenirs pour les familles de mes camarades prisonniers. »

Dans le bloc des femmes, les artistes ne manquaient pas. Motahereh Bahrami, épouse de Mohsen Daneshpour-Moghadam, un autre prisonnier d’Evine, confectionne des poupées de chiffon. Mahsa Amr-Abadi confectionne les œuvres les plus impressionnantes pour son époux Massoud Bastani. Mahsa a appris le tournage et la gravure sur bois dans le bloc des femmes et a créé des œuvres exquises en gravant des poèmes d’Ahmad Shamlou, un des poètes les plus célèbre du vingtième siècle.



Le peintre Madjid Sadeghinejad a créé un logo pour le bloc 350 et a esquissé le portrait des prisonniers politiques mais la publication de certains de ses dessins sur des sites d’information a poussé les autorités à limiter ses activités. 




Shahram Eliassi, militant kurde, fabrique des objets avec des perles. Une de ses cravates est devenue célèbre quand Ghassem Sholeh-Saadi, ancien député, l’a portée lors de sa candidature à l’élection présidentielle (les autorités l’ont, par la suite, renvoyé au bloc 350)  La cravate est ornée de perles, porte le nom de « bloc 350 » ainsi que le drapeau tricolore de l’Iran et une balance, symbole de la loi et de la justice.


Source: http://iranwire.com/en/projects/4352

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