Le militant des droits humains Kouhyar Goudarzi écrit sur son statut de demandeur d’asile en Turquie et sur la bureaucratie du haut-commissariat aux réfugiés de l’ONU
J’ai pris la décision l’hiver dernier de quitter l’Iran. Depuis lors, je n’ai rien écrit et je ne me suis pas plaint de ma situation. Voilà quelques années que j’ai appris à ne pas me plaindre et à accepter les hauts et les bas de ma vie avec humour. C’est cette attitude qui m’a sans doute aidé le plus pendant mes années d’incarcération. Mais il faut, de temps en temps, s’exprimer et parler de ses souffrances. J’ai pris ma décision et j’ai remis mon sort entre les mains des passeurs, du froid glacé et de la neige d’Azerbaïdjan et j’ai traversé la frontière. Après être resté huit jours otage des passeurs, dans la bergerie d’un village, avoir marché dans la glace et la neige, après que mes effets personnels aient été volés, porteur de faux papiers, j’ai fini par atteindre Ankara et le bureau des réfugiés où je me suis inscrit après avoir rempli un formulaire. Je n’avais ni passeport ni papiers officiels et c’était là mon plus gros problème.
Maintenant, une année est presque passée et je suis toujours en Turquie ; non seulement je n’ai pas reçu d’acceptation du Haut-Commissariat aux Réfugiés pour me rendre dans un pays tiers, mais je n’ai même pas été interviewé pour entamer le processus de ma demande d’asile. Voici ma situation actuelle : il y a environ quatre mois, je me suis rendu à un rendez-vous pris auparavant avec le Haut-Commissariat de l’ONU en Turquie, administration bourrée de bureaucratie et procédures compliquées. J’ai mis sept heures pour m’y rendre et quand je suis arrivé, on ne m’a pas laissé rentrer. A l’époque, j’ai pensé que le fait de ne pas avoir de papiers en règle avait causé l’annulation du rendez-vous, mais, d’après le bureau du Haut-Commissariat, c’est le fait que mon dossier médical n’ait pas été complet qui aurait causé l’annulation. C’est ce que m’avait recommandé de faire un avocat (conseiller psychiatrique) après avoir entendu un résumé des arrestations et des tortures que j’avais subies avant de m’enregistrer comme demandeur d’asile. A l’époque, je ne pouvais même pas imaginer que cela constituerait un obstacle alors j’avais accepté.
Les soins psychiatriques une fois par mois, les frais de transport aller et retour à ma charge m’auraient pris beaucoup de temps et auraient duré plusieurs années. Le bureau du Haut-Commissariat a annulé mon rendez-vous il y a quatre mois en prétextant que j’avais mis fin à mes soins psychiatriques. Ce qui veut dit que le médecin qui devait traiter et guérir mon stress émotionnel provenant de ce que j’avais souffert en prison est devenu pour moi une source de stress et de problèmes.
Le Haut-Commissariat ne fait pas une exception pour moi dans son fonctionnement bureaucratique, elle traite de même les milliers d’autres réfugiés iraniens en Turquie.
Les allégations fallacieuses sont un autre problème. Par exemple, une personne prétendait devant le bureau du Haut-Commissariat de l’ONU avoir été emprisonnée à l’isolement alors qu’en fait, elle n’avait même jamais entendu le nom d’Evine et qu’il n’y aurait eu aucune raison valable à sa prétendue incarcération si ce n’est qu’elle militait politiquement. Malgré tout ce flou, son dossier a été approuvé par le bureau des réfugiés de l’ONU en environ deux mois, tout simplement, quelque douloureux que cela soit.
En 2010, lors de l’anniversaire de l’élection présidentielle de 2009, la Secrétaire d’Etat de l’époque, Hillary Clinton, a mentionné dans un discours, le nom de sept militants des droits humains, dont le mien, et a demandé leur libération. Et pourtant, les autorités américaines qui ont même un dossier universitaire à mon nom au titre des étudiants surdoués, n’ont pas bougé le petit doigt pour m’aider dans ma demande d’asile. Et beaucoup de mes amis influents qui, à l’époque de mon incarcération, n’oubliaient pas d’utiliser mon image et mon nom, sont maintenant tellement occupés par leur routine quotidienne qu’ils n’ont même plus le temps pour une petite conversation.
J’aurais pu quitter l’Iran il y a plusieurs années. Lorsqu’on étudie à l’université Sharif, quitter l’Iran est chose facile. J’aurais aussi pu partir après mes arrestations précédentes. Mais lorsque ce qui vous arrive résulte d’un choix personnel, la situation est plus facile à accepter.
Au sixième mois de ma cinquième arrestation, pour passer le temps dans ma cellule, j’ai calculé que si je devais vivre 50 ans, j’aurais passé 1% de ma vie en prison. Ce pourcentage a finalement atteint 4% lors de ma dernière arrestation.
Les épreuves que j’ai endurées ces derniers mois, quelques dures qu’elles aient pu être, je les ai acceptées et supportées car c’était le prix à payer pour les choix que j’avais faits. Mais il est dur d’avoir quitté ma patrie pour pouvoir poursuivre mes études, droit qui m’était refusé dans mon pays, maintenant que je suis en attente, d’entendre de temps en temps que je n’ai fait tout ça que pour obtenir le statut de réfugié.
Je n’écris pas pour me plaindre de ma situation. Le plus grand avantage de la prison et de l’isolement c’est que l’on comprend que rien ne vaut le temps et que même dans la pire des situations, la vie ne doit pas être inutile. Durant le temps que j’ai passé ici, j’ai obtenu un diplôme en étudiant sur internet et dans quelques mois je vais passer mon examen du TOEFL. J’écris parce que dernièrement des amis iraniens m’ont demandé comment était la vie aux Etats-Unis et dans quel état je vivais. Apparemment, la plupart pensent que je vis aux USA. Je voulais aussi rapporter le système bureaucratique du Haut-Commissariat aux Réfugiés des Nations-Unies et ses procédures sans fin.
Kouhyar Goudarzi
3 janvier 2014
Source : https://www.facebook.com/kouhyar.g/posts/10151890664303354
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