dimanche 9 février 2014

En prison depuis 20 ans – Interview de Mohammad Nazari par Masih Alinejad


Il ressemble à un personnage de fiction endormi depuis des siècles si ce n’est plus. « Je n’ai jamais vu un téléphone portable et tout ce que je sais d’internet, je le sais des autres… J’ai entendu le mot ‘internet ‘ pour la première fois de la bouche d’un ingénieur en prison. »

Mohammad Nazari est un prisonnier politique du bloc 14 de la prison de Redjaï Shahr de Karadj près de Téhéran. Il a passé les 20 dernières années en prison.

Il avoue qu’il a adhéré au Parti Démocratique du Kurdistan Iranien (PDKI), organisation illégale créée en 1945 lors de l’occupation soviétique du Kurdistan iranien suite à la seconde guerre mondiale. Le parti avait déclaré la république kurde qui n’a pas duré longtemps après le départ des troupes soviétiques. Les membres du PDKI ont été considérés comme terroristes et illégaux par les gouvernements iraniens successifs, de la monarchie à la république islamique.

Mais Nazari réfute toute implication dans une activité terroriste. Pendant ces 20 ans, il a écrit de nombreuses lettres aux chefs de la justice iranienne pour demander la révision de son procès. Toutes sont restées sans réponse.

Masih Alinejad, journaliste iranienne basée à Londres, a parlé à Mohammad Nazari de sa vie en prison, de ses chefs d’accusation, de sa grève de la faim et de l’époque où il s’est cousu les lèvres.

Quand avez-vous été arrêté et qui dirigeait la justice à l’époque ?
Quand j’ai été arrêté, Mr. Mohammad Yazdi dirigeait la justice. C’était le 30 mai 1944. Je venais d’avoir 23 ans ; maintenant j’ai 42 ans et en mai, j’aurai passé 20 ans en prison.

Quels étaient les chefs d’accusation ? Vous souvenez-vous de l’endroit où vous vous trouviez quand vous avez été arrêté ?
J’étais chez ma sœur à Bokan et j’ai été arrêté pour coopération avec le PDKI. Le juge était Mr. Djalili-Zadeh qui a mis en scène un procès spectacle et m’a condamné à mort sans même m’accorder l’assistance d’un avocat.

Est-ce que votre famille proche vous a rendu visite ?
Ma mère me rendait visite mais elle est décédée en 2011. Je n’ai malheureusement appris sa mort qu’un an plus tard. La dernière fois que je l’ai vue, elle se plaignait de sa tension trop élevée. A cause de son âge et de son état de santé, j’étais très inquiet pour elle ; elle a fini par mourir de complications. Ma sœur et mon frère me rendaient également visite mais quelques mois après ma grève de la faim, les fonctionnaires de la prison leur ont interdit de me rendre visite.

J’ai entendu dire que vous avez fait une grève de la faim et que vous vous étiez cousu les lèvres pour que les autorités vous écoutent. Pouvez-vous me dire pourquoi ? Que demandiez-vous ?
Durant mon incarcération, les seules personnes qui s’occupaient de mon dossier étaient ma mère et ma sœur. Quand elles faisaient appel aux autorités judiciaires, on leur disait qu’il fallait attendre une amnistie. Mais la dernière fois, on a dit à ma famille qu’on allait m’exécuter et qu’il ne leur fallait attendre ni clémence ni libération. Pour un être humain, le désespoir est le pire ; en faisant passer ce message, les autorités ont retiré à ma mère tout espoir. Ce sont eux qui ont causé sa mort. Je ne les pardonnerai jamais.
La deuxième raison était la mort de deux de mes camarades de cellule au bout de 20 et de 22 ans de prison. Cela prouvait que les autorités n’avaient aucune intention de me libérer. Alors j’ai commencé une grève de la faim le 28 août 2012 et je l’ai arrêtée le 16 octobre de la même année. J’ai aussi fait cette grève de la faim pour soutenir les condamnés à mort. Certains de mes camarades de cellule m’ont rejoint.
Après avoir pris ma décision, j’ai pris des cachets pour m’insensibiliser les lèvres pour ne pas avoir trop mal sur la suggestion d’un de mes amis. Puis je me suis cousu les lèvres. Mais le fil était en nylon très solide et ne se cassait pas facilement et quand j’éternuais ou que je baillais, les coins de mes lèvres s’ouvraient et je devais les recoudre.

Combien de jours avez-vous gardé les lèvres cousues ? Comment ont réagi les autorités ?
49 jours. Ils n’arrêtaient pas de me faire de fausses promesses.

Comment les autres prisonniers ont-ils réagi ? Qu’ont-ils dit en vous voyant ?
Ils m’ont toujours soutenu, pendant ma grève de la faim et tout le reste. Je leur reste pour toujours redevable. Ils m’ont donné du courage.

Comment passez-vous vos journées pendant ces 20 ans ?
Tous les jours se ressemblent, il y a peu de différences, on lit ou on regarde la télévision.

Existe-t-il quelque chose en prison qui puisse vous réjouir ?
Pour quelqu’un qui a passé tant d’années en prison, rien ne vaut la libération des autres prisonniers. La libération de mes codétenus me réjouit. Quand j’ai appris la mort de celui qui m’avait interrogé, Mohammad Minaï, j’ai été très heureux.

Qu’avez-vous connu de pire en prison ?
Le pire, c’est lorsque j’ai appris que plusieurs de mes camarades de cellule avaient été exécutés et le jour où j’ai appris la mort de ma mère. Lors de mes longues années en prison, j’ai appris l’exécution de peut-être plus de 50 personnes. Je garderai pour toujours leur souvenir en moi.

Comment se sent un condamné à mort ?
L’exécution est le plus grand honneur pour un prisonnier politique, mais dans le même temps, personne ne peut prétendre ne pas avoir peur de la mort. Pendant cinq ans, j’ai été condamné à mort, jusqu’en 1997. Chaque semaine j’ai été témoin de l’exécution de mes amis. Chaque semaine je pensais que c’était mon tour. C’était une vraie torture.

Comment ressentez-vous le système d’annonce public de la prison ? Vous attendez-vous à entendre votre nom et l’annonce de votre libération ?
Vu qu’au cours des ans j’ai entendu tant de mensonges des autorités concernant mon amnistie et ma libération, même si j’entendais l’annonce de ma libération aux haut-parleurs, je pourrais tout aussi bien ne pas y croire. C’est pourquoi, comme disent les prisonniers, je ne me rend pas prisonnier du haut-parleur.

Qui ou qu’est-ce qui vous manque le plus de l’extérieur de la prison ?
Quand j’étais à l’extérieur, je n’avais rien à perdre, alors, maintenant, rien ne me manque. Ma mère me rendait heureux dans le passé mais maintenant qu’elle est décédée, personne ne me manque. Ma famille m’a rejeté à cause de ce dont j’étais accusé.

Combien de printemps avez-vous passé en prison ? Quelle est la pire saison en prison ?
Le printemps 2014 sera le vingtième. Mais, pour un condamné à une longue peine, aucune saison n’est bonne. Je n’étais pas libre durant ces printemps pour voir les plantes pousser, les feuilles sortir et les fleurs s’épanouir. Puisque je ne vous pas la beauté de la nature, toutes les saisons sont mauvaises.

Comment conserver l’espoir en prison ? Pensez-vous que les gens à l’extérieur puissent aider ?
Ce qui vient à bout de mon horreur de l’affreuse situation de la vie en prison et me garde l’espoir, c’est ma haine et mon aversion des dirigeants du gouvernement. Je n’ai jamais cru à ma libération, mais que, condamné à perpétuité, je mourrais derrière les barreaux. Mais cette pensée même me fait mal. J’ai toujours été reconnaissant à ma mère pour sa gentillesse et je le resterai. Quand elle me rendait visite, elle me disait que beaucoup de ses voisins me souhaitaient succès et liberté, même s’il ne m’avaient jamais vu. Entendre ces mots me rendait heureux.

Quel est votre plus grand espoir ?
J’ai toujours voulu trouver une voie pour servir mon peuple, c’était ma seule raison d’adhérer au PDKI. Maintenant, mon seul désir est que le gouvernement iranien respecte tous les peuples, les chrétiens, les juifs, les zoroastriens ou les bahaïs, un gouvernement qui reconnaisse leurs droits et qui rendrait l’Iran et les Iraniens fiers.

Avez-vous voté en prison ?
Je suis né dans une famille révolutionnaire, une famille de martyrs, alors, avant d’être incarcéré, j’ai voté à toutes les élections, c’était comme un devoir religieux. Mais après mon incarcération, je n’ai pas voté, même si, j’aurais pu le faire ici.

Que voulez-vous dire à ceux qui liront vos mots sur internet ou entendront votre voix ?
Malheureusement, avec tous les sites et les médias du monde, certains journalistes et certains sites ne font de la propagande que d’un seul parti ou d’un seul groupe. Je leur demande d’élargir leurs vues et d’écouter la voix de quelqu’un comme moi qui est resté en prison pendant 20 ans, personne ne l’a jamais entendu.

Source : http://iranwire.com/en/projects/4804

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