lundi 15 novembre 2010

La mère de Madjid Dori: « Où trouver refuge contre tant de cruauté ? »

Mercredi 10 novembre 2010 – Dans une interview avec Kalameh, la mère de Madjid Dori parle de la situation de son fils depuis qu’il a été exilé à la prison de Behbahan pour y purger le reste de ses 6 ans de prison : « Tout ce que mon fils demandait, s’était son droit à l’éducation. On a commencé par lui refuser ce droit puis on l’a suspendu et banni de l’université. Quand il a tenté d’informer les gens sur son sort, on l’a arrêté. Maintenant, ils prétendent que le Conseil de Défense du Droit à l’Education dont il est membre a été formé sur ordres des « Monaféghin »*, comme si nos enfants n’étaient pas assez intelligents pour décider seuls de leur propre destin. »

Il y a quelques semaines, Madjid Dori a été exilé à la prison de Behbahan, à des kilomètres du lieu de résidence de sa famille pour y purger le reste de ses 6 ans de prison. Il est avec les prisonniers de droit commun et la situation sanitaire laisse plus qu’à désirer. Malheureusement cette fois, ce n’est pas seulement Madjid qui est puni, mais sa mère et son père le sont aussi, obligés qu’ils sont de faire des kilomètres pour passer quelques minutes avec leur fils. En raison de cet éloignement, la famille de Madjid a du penser à la possibilité de déménager soit à Behbahan soit dans une ville proche pour se rapprocher de son fils.

Contenu de l’interview de Kalameh avec la mère de Madjid Dori :

Madame Dori, quelles sont les dernières nouvelles de Madjid ?

Comme vous le savez, après 16 mois à la prison d’Evine, Madjid a été transféré à celle de Behbahan alors qu’il n’a pas eu droit à un seul jour de liberté provisoire. Sa situation n’est certainement pas bonne. Il souffre de migraines et d’anémie. Nous avons appris qu’il avait eu des côtes fracturées en prison ; il ne nous en avait pas parlé pour ne pas nous inquiéter. Comme si tout cela ne suffisait pas, on l’a envoyé en exil dans une prison éloignée. En dépit des circonstances malheureuses, Madjid essaie toujours de garder bon moral et il ne se plaint jamais. Vous pouvez imaginer ce que ce doit être pour que mon fils répète sans arrêt : « La situation est tragique ici ! »

Comment supporte-t-il la prison de Behbahan jusqu’à présent ?

Les contacts téléphoniques avec la prison de Behbahan sont limités et nous n’arrivons pas vraiment à savoir comment va Madjid. Il semblait content de la conduite des autorités de la prison à son égard. A son arrivée, il n’y avait plus d’eau et mon pauvre fils qui avait voyagé des kilomètres depuis Téhéran, entravé, n’a même pas pu se laver la figure et les mains. N’oublions pas que les détenus de la prison de Behbahan ont été condamnés pour trafic de drogue, meurtre et relations illicites. C’est parce que les détenus ne sont pas séparés suivant les crimes qu’ils ont commis que nous sommes très inquiets pour lui.

Il y a du trafic de drogue dans cette prison et nous n’avons aucune garantie que notre enfant ne soit pas atteint. Je pense quelquefois qu’on a envoyé Madjid là-bas exprès pour lui faire du mal et réduire au silence les voix de ceux qui cherchent la liberté.

Est-ce que l’on vous a informé de l’exil de votre fils à la prison de Behbahan à l’avance ? Avez-vous pu le rencontrer avant son départ ?

Non, ils ne nous ont jamais contactés. Ils n’ont même pas permis à Madjid de nous appeler avant son départ pour Behbahan. On l’a gardé dans le bureau du procureur pendant 10 heures et on l’a envoyé directement à Behbahan. C’est quand il est arrivé à la prison de Behbahan qu’on lui a permis de passer son premier appel téléphonique très court pour nous informer qu’il était transféré. C’était la veille du jour des visites à la prison d’Evine. Ils m’ont même privé de 15 minutes de visite derrière une vitre. Est-ce leur définition de la justice ? Est-il juste à leurs yeux d’emmener notre fils sans nous en informer, sans nous permettre de lui rendre visite avant son départ pour un endroit si éloigné que nous ne pouvons pas aller le voir ?

Quelle est la situation générale et sanitaire dans cette prison ?

La situation est très difficile. Imaginez la situation sanitaire quand l’eau est coupée 7 à 8 heures par jour. Sans accès à l’eau, il n’y a pas d’hygiène. Mon fils n’a même pas un lit pour dormir. Il y a deux à trois cents détenus et une seule ligne téléphonique. Ils ont le droit de téléphoner un jour sur deux et pas plus de deux à trois minutes. La situation sanitaire nous inquiète au plus haut point ainsi que la présence de drogue qui est non seulement présente mais encore utilisée librement. 

Quelles sont les règles pour les visites à la prison de Behbahan ? Vivant aussi loin, à quelle fréquence voulez-vous aller voir votre fils ?

Les visites ont lieu le mercredi. Quand Madjid était à Evine, aller le voir nous prenait une journée entière. Maintenant qu’il est à 1.000 km, il nous faut au moins trois jours à chaque fois. Son père et moi irons voir notre enfant, notre chair, notre sang, même s’il se trouve à l’autre bout de la terre. Mais il y a ses frères et sa sœur. N’ont-ils pas le droit de voir leur frère ? Ces messieurs nous ont compliqué la tâche pour voir notre fils. Si c’est mon fils qui a commis une erreur, même s’il n’existe aucune preuve de cette erreur, pourquoi nous punir et nous déplacer, nous ? Il nous est actuellement impossible d’aller le voir toutes les semaines. Je dois ajouter que les gens de Behbahan ont été adorables avec lui. Plusieurs d’entre eux se sont rassemblés devant les portes de la prison pour lui rendre visite. Ils disaient que Madjid était leur invité et qu’ils voulaient s’assurer qu’on s’occupait bien de lui.

Est-il vrai que vous envisagiez de déménager à Ahvaz pour vous rapprocher de votre fils ?

Oui. Son père et moi n’avons pas la force de faire un si long voyage toutes les semaines. Nous ne sommes plus très jeunes et ne pouvons nous permettre de prendre l’avion. Les 16 mois que Madjid a passés en prison nous ont brisés. Chaque semaine, nous attendions impatiemment la visite et maintenant nous n’avons même plus ça. Notre seul recours et de trouver un petit logement dans nos moyens à Ahvaz pour pouvoir voir Madjid régulièrement. Nous ne pouvons pas abandonner notre enfant dans une nouvelle ville sans visites.

Avez-vous contacté le bureau du procureur ou d’autres autorités judiciaires depuis l’exil de Madjid à Behbahan ? Que disent-ils de sa dernière condamnation ?

Nous avons approché à de nombreuses reprises tant le bureau du procureur que toutes les autorités judiciaires que nous avons pu trouver, tant avant qu’après l’exil de Madjid à la prison de Behbahan. Le procureur en personne a demandé à Madjid d’écrire une lettre dénonçant toute relation avec la sédition et Madjid a écrit cette lettre en présence du procureur. Nous avons envoyé des lettres de recommandation de toutes les personnalités auxquelles nous avons pensé affirmant que Madjid n’était lié à aucun groupe. Avant d’envoyer Madjid en exil, ils ont pris ces lettres, mais ça n’a servi à rien. Maintenant, nous n’avons même plus le droit d’entrer dans leurs bureaux. Ils disent que le verdict a été énoncé et qu’ils ne peuvent rien faire pour nous. En dehors de Dieu, nous n’avons personne vers qui nous tourner. Nous ne savons où trouver refuge contre tant de cruauté. Ils ont envoyé notre enfant en exil et refusent même de nous écouter.

Madjid fait partie des prisonniers qui n’ont jamais bénéficié d’une libération provisoire. Qu’en est-il de ses droits à une libération provisoire maintenant qu’il a été exilé ? Que disent ses avocats à ce sujet ?

Avant de l’envoyer en exil, le procureur en personne m’a promis d’accorder à Madjid une liberté provisoire. Non seulement il ne lui a pas accordée mais il l’a envoyé en exil sans nous en informer. Nous avons envoyé trois lettres de requête de libération provisoire au procureur. Les trois fois, ils ont prétendu qu’elles s’étaient perdues. Comment trois lettres peuvent-elles se perdre dans l’institution judiciaire de notre nation ? Son avocat avait bon espoir d’obtenir sa libération provisoire en raison du terrible état de santé de Madjid et de la prison qui est en dessous des normes maintenant qu’il a été exilé à Behbahan. Malheureusement, et grâce au procureur de Téhéran, une lettre a été ajoutée au dossier de Madjid indiquant qu’il est interdit de libération provisoire, de visite ou de transfert. J’ignore si ce dernier acte du procureur est légal, mais ce que je sais c’est qu’ils font tout ce qu’ils peuvent pour faire du mal à mon enfant et pour le maltraiter. En dépit de son terrible état physique, ils ont envoyé mon fils dans un endroit sans service médical, sans lui permettre de quitter temporairement la prison pour recevoir les traitements médicaux dont il a besoin. Si ce n’est pas une injustice, je ne sais pas ce que c’est.

Comment vont les autres membres de la famille de Madjid depuis son exil ? Comment l’exil a-t-il affecté vos vies ?

Nos vies sont devenues des drames le jour de l’arrestation de Madjid. Nous n’avons pas eu un instant de paix depuis lors. Nous nous attendions à quelque chose de mauvais, ou à une sorte de mauvaise nouvelle. Maintenant qu’il a été envoyé en exil, nous n’aurons plus jamais l’esprit en paix. Nous ne savons que faire. A la nouvelle de son exil, j’ai du être hospitalisée quelques jours. En fait, notre famille est brisée. Les frères de Madjid essaient de faire tout ce qu’ils peuvent pour l’aider. Sa sœur et moi en sommes réduites à pleurer toute la journée. Nous ne pouvons rien faire que regarder notre enfant dépérir.

Votre fils est l’un des nombreux étudiants privés du droit à l’éducation et pourtant il a eu l’une des peines les plus lourdes. Pourquoi pensez-vous que Madjid, un étudiant étoilé**, a été traité si durement ?

Tout ce que mon fils demandait, c’était son droit à l’éducation. Ils ont commencé par le lui refuser, puis l’ont suspendu et banni de l’université. Quand il a tenté d’informer les gens sur son sort, ils l’ont arrêté. Maintenant, ils prétendent que le Conseil de Défense du Droit à l’Education dont il est membre a été formé sur ordres des « Monaféghin »*, comme si nos enfants n’étaient pas assez intelligents pour décider seuls de leur propre destin. A mon avis, ce type de conduite envers Madjid et d’autres étudiants a été pensée pour réduire au silence les autres étudiants qui manifestent contre leurs agissements illégaux.

En conclusion que voudriez-vous dire aux autorités judiciaires ? Que voudriez-vous leur demander ?

Voilà 16 mois que notre enfant innocent est incarcéré. Voilà 16 mois que nous crions haut et fort que notre fils n’est en rien lié avec quelque groupe que ce soit, mais ils refusent de nous écouter. Madjid lui-même a écrit plusieurs lettres dénonçant tout lien avec quelque groupe que ce soit, mais ça n’a servi à rien. On ne l’a même pas laissé se défendre au tribunal sous prétexte qu’ils avaient la preuve de son innocence et cependant, on l’a maintenant exilé vers une lointaine prison. Je demande uniquement que mon enfant soit libéré. Je veux seulement le revoir, entendre sa voix et embrasser son beau visage.


* Monafeghin: terme forgé par la république islamique d’Iran pour désigner les Modjaheddines Khalgh (OMK), un grand groupe d'exilés s’opposant au régime iranien. Depuis le soulèvement post-électoral de 2009, de nombreux Iraniens détenus illégalement se sont vus accusés sans fondement de Moharebeh [guerre contre Dieu] pour avoir eu des contact avec des groupes d’opposition au régime iranien et dans la plupart des cas, il est fait référence à l’OMK. L’accusation de Moharebeh peut entraîner un verdict de peine de mort ou de longue peine de prison.

**Etudiants étoilés : Le système de décerner des étoiles à l’encontre d’étudiants a été développé par le ministère iranien de l’enseignement supérieur. Les étudiants passant en conseil de discipline sont ainsi pénalisés. Quand un étudiant a un certain nombre d’étoiles, il est interdit d’éducation. Ce système est surtout utilisé contre les étudiants militants.


Source: Kaleme:  http://www.kaleme.com/1389/08/19/klm-37893


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