lundi 2 septembre 2013

Lettre d’Hossein Ronaghi à Hassan Rouhani

 Ce sont la liberté et le progrès qui créeront la sécurité et garantiront l’indépendance du pays.

« Et ceux qui offensent les croyants et les croyantes sans qu'ils l'aient mérité, se chargent d'une calomnie et d'un péché évident. » Al Ahzab – 58

A l’honorable Docteur Hassan Rouhani, président d’Iran, mes salutations respectueuses

Je suis Seyed Hossein Ronaghi-Maleki ; j’ai 28 ans ; je suis un prisonnier politique condamné à 15 ans de prison pour mon travail pour les droits humains. J’ai passé les quatre dernières années derrière les barreaux à la prison d’Evine, section 350 ; j’ai bénéficié d’une seule liberté provisoire de quelques mois pour répondre à mon besoin de soins médicaux. Avant de vous expliquer pourquoi je vous écris cette lettre, je voudrais vous féliciter d’être devenu le président du peuple iranien et je prie Dieu de vous guider sur le dur chemin qui vous attend. Vous le savez mieux que moi, au bout de huit ans d’obscurité misérable, tous les yeux se tournent vers vous, attendant que vous répariez quelque peu les dommages et les destructions et que vous remédiez aux détentions et à la répression illégale de ce peuple. Chacun sait que ceux qui étaient aux affaires en ces années font montre d’une totale irresponsabilité. Vu l’état de ce pays, je me fais du souci pour son avenir. Je m’inquiète grandement de la corruption débridée, des violations des droits fondamentaux du peuple et du mépris total de la loi dont ont fait preuve ceux qui étaient en poste. C’est pourquoi je me suis résolu à vous écrire cette lettre dans l’espoir qu’en tant que président, vous vous efforcerez de réformer.

Honorable Docteur Rouhani,
Le ministère de la justice, destiné à défendre la constitution, traiter les plaintes et s’occuper des conflits de façon juste, s’est transformé en oppresseur du peuple. Pour étayer mes dires, un exemple : répétant certains responsables de la justice et de la sécurité, le procureur de Téhéran m’a dit que c’est l’appareil de la sécurité et du renseignement qui a le dernier mot en ce qui concerne les prisonniers politiques. Pour m’accorder une libération provisoire pour raisons médicales, le substitut du procureur m’a dit qu’on attendait les instructions du département du renseignement des gardes révolutionnaires. Ceux qui m’interrogeaient disent que le juge n’est pas décisionnaire et que c’est le renseignement qui décide. Les responsables de la justice et de la sécurité disent sûrement vrai et malheureusement le chef de la justice a tort quand il affirme que la justice est une organisation indépendante qui possède ses propres pouvoirs et peut s’exprimer. Le ministre de la justice affirme qu’il sera ferme pour éviter toute violation, tout abus ou toute tentative d’intervention dans ses affaires ; mais il est évident que les personnes en charge de la justice n’ont pas le pouvoir de faire ce qu’ils proclament. Alors, il nous faut malheureusement accepter que certaines lois fondamentales de ce pays soient entravées et que les droits fondamentaux des personnes soient ignorés ou violés par un appareil judiciaire qui prend ses décisions en se basant sur des points de vue et des objectifs personnels. Il nous faut envisager que le peuple de ce pays ne jouisse pas de sécurité légale et que la plus grande partie de la justice soit directement liée à l’atmosphère politique. C’est essentiellement à cause de ces intérêts personnels qu’il existe des prisonniers politiques en Iran et que leurs droits fondamentaux sont bafoués.

Honorable Docteur Rouhani,
L’expérience du précédent gouvernement réformateur a fait la preuve des limites du pouvoir de la présidence ; je ne me fais donc aucune illusion en pensant que vous pourrez réguler l’appareil judiciaire actuellement si chaotique ; mais vous pourrez, par la discussion avec des officiels de haut niveau, leur suggérer de changer d’attitude : au lieu d’enfermer des jeunes talentueux épris de liberté et désireux de servir leur pays pour des accusations sécuritaires forgées de toute pièce, qu’ils se concentrent sur ceux qui ont pillé le trésor et ont tenté de mener ce pays à la ruine à cause de leur imprudence et de leur incompétence. Et pourquoi harceler et arrêter les femmes de ce pays pour des « crimes » comme « être mal voilée » alors que, d’après l’ayatollah Khamenei : « Que cela nous plaise ou non, le choix est l’une des raisons de vivre. » ? Le juge coupable des crimes épouvantables de Kahrizak a été nommé à la tête d’une des plus grandes institutions du pays. Etait-ce là son châtiment légitime alors qu’on devrait le traîner en justice et non pas l’y faire échapper ?

Ne savent-ils pas que se mêler de la vie et des affaires privées est contraire à l’Islam et aux enseignements du Coran ? D’après la Sourate Yunus, verset 99 : «  Si ton Seigneur l'avait voulu, tous ceux qui sont sur la terre auraient cru. Est-ce à toi de contraindre les gens à devenir croyants ? » et au verset 108 : « Dis : "Ô gens! Certes la vérité vous est venue de votre Seigneur. Donc, quiconque est dans le bon chemin ne l'est que pour lui-même; et quiconque s'égare, ne s'égare qu'à son propre détriment. Je ne suis nullement un protecteur pour vous. » Ces versets affirment que l’acceptation de la foi est une décision personnelle qui ne peut être décrétée par la force. Et en plus, attenter aux droits des autres est un péché grave.

Honorable Docteur Rouhani,
Beaucoup d’entre nous, emprisonnés pour crime de compassion et d’amour de notre pays se demandent pourquoi on ne tient pas pour responsable l’ancien chef d’état, ex-favori de l’ayatollah Khamenei, des mensonges dits au peuple, des ravages et de l’instabilité causés à l’Iran, d’avoir été la cause des conditions de vie très difficiles et délicates au peuple iranien. Et cependant, les dirigeants ne se soucient pas de Mir-Hossein Moussavi, Mehdi Karroubi et Zahra Rahnavard ainsi que de centaines de prisonniers politiques qui se sont élevés contre la dictature, qui ont défendu les droits et le vote du peuple, et qui, en conséquence sont ceux qui sont ainsi maltraités. Comment se fait-il que le parlement, qui tient la barre et est le foyer du peuple, ne joue aujourd’hui aucun rôle dans la rédaction et la sauvegarde des lois de ce pays ? Le chef de la police ne devrait-il pas rendre des comptes sur l’attitude violente de fonctionnaires scélérats dans la plupart des centres de détention du renseignement ; ils enfreignent la loi en se livrant à des atrocités médiévales à l’encontre des accusés comme les fouetter, les donner des chocs électriques, les pendre du plafond, les battre et les insulter vulgairement ? La mort de Sattar Beheshti au centre de détention du FATA en est le résultat patent.

Le ministère de la justice ne saurait être indépendant si la direction de ce pays abrite des criminels. Dans le même temps, il est impossible aux tribunaux révolutionnaires de soutenir les lois de ce pays. Votre Excellence a une longue expérience de postes au plus haut niveau du gouvernement et vous connaissez évidemment la situation inextricable du pays. Qui a donné tant de pouvoir aux organisations militaires, du renseignement et de la sécurité qu’ils ont pu prendre cette terre dans leurs serres et donner un tel spectacle ?

Honorable Hodjatoleslam Docteur Rouhani,
Malheureusement l’Iran d’aujourd’hui se conforme à ce que feu l’ayatollah Naïni avait décrit il y a des siècles : « La tyrannie et le despotisme se parent du voile de la religion et la tyrannie la plus insupportable est celle imposée par un état religieux. » Il ne nous faut pas non plus oublier les mots de feu l’Ayatollah Taleghani mettant en garde contre le retour du despotisme qui a fait écho à la théorie de NaIni : « La tyrannie peut émaner de la théocratie. Dans une théocratie, une branche est responsable de la simplification de l’enseignement de la religion. Mais au nom de la religion, on peut créer des contenus inappropriés pour obliger ceux qui ne connaissent pas suffisamment les fondamentaux de la religion et les enseignements du Prophète à obéir. Au nom de la religion, on peut garder le peuple dans les brumes de l’ignorance ce qui le fera souffrir. Ceux qui utilisent la religion pour asseoir leur pouvoir sont dangereux et s’en débarrasser est très difficile. » Qu’est-ce que la religion que nous suivons, qui dicte nos actes et nos actions ? Si cette religion est l’Islam et son livre sacré le Coran, alors nous nous opposons à la répression, aux conduites de ces dernières années et à la soustraction de milliards du Trésor national. Nous condamnons l’exploitation, les abus et l’oppression du peuple par le gouvernement.

Honorable Docteur Rouhani,
Moi, Iranien accusé d’être un factieux et un fauteur de troubles, j’ai vu comment les forces Bassidj ont tiré sur la foule depuis leurs casernements puis ont fait porter le chapeau de ces atrocités au peuple innocent. Evidemment, je ne pense pas avoir mérité de m’entendre dire par les fonctionnaires du ministère du renseignement qui m’interrogeaient que ma mort serait tout bénéfice pour la république islamique. Si j’ai élevé la voix, c’était un cri contre l’injustice, les abus et les attaques des dirigeants. Si j’ai écrit, je n’ai écrit que ma douleur, j’ai écrit sur les intrusions dans nos vies privées, j’ai écrit sur la violation de nos droits et les insultes proférées contre nos opinions. Si je me suis tenu aux côtés des étudiants, des travailleurs, des femmes et du peuple d’Iran, c’est parce que, comme eux, je suis mécontent de la situation du pays qui nous fait souffrir.

Honorable Docteur Rouhani,
Je vous demande la permission de souligner une réalité dont j’ai été témoin ou plutôt dans laquelle j’ai été impliqué en tant qu’exemple de la lutte politique et du désarroi sécuritaire du pays. L’année dernière, durant les évènements pénibles qui ont suivi le tremblement de terre en Azerbaïdjan, je me suis rendu sur place accompagné d’un groupe de volontaires, pour aider nos compatriotes affligés. Pour quelle raison avons-nous été attaqués et arrêtés sans mandat légal ? On nous a présenté des accusations forgées de toutes pièces comme « mise en danger de la santé publique par la distribution de pain moisi et de conserves alimentaires avariées », « mépris pour le tribunal et résistance aux ordres des fonctionnaires », « rassemblement et collusion dans l’intention d’attaquer la sécurité nationale en diffusant des informations à des médias étrangers », « création de mensonges sur différentes organisations », « diffusion de nouvelles d’arrestation imminente avant d’être arrêté », « préparation et distribution de questionnaires dans le but de nuire à la république islamique », « possession de clips audio et vidéo dans le camp insultants pour l’imam Khomeiny », « destruction et incendie de denrées illégales avant l’arrivée de la police » et « possession d’antennes satellites illégales ». Voici quelques exemples des accusations concoctées par le ministère du renseignement de Tabriz avec l’aide du substitut du procureur de Tabriz. Une autre accusation forgée à notre encontre était « propagande bahaïe » parce que plusieurs compatriotes bahaïs étaient parmi notre groupe de volontaires. Et toutes ces accusations ont été portées à notre encontre alors qu’en fait notre groupe de volontaires s’était rendu au camp de Sarand en Azerbaïdjan pour aider nos compatriotes frappés par un tremblement de terre dans l’idée de servir au mieux les intérêts de notre nation. Mais cela n’a rien de neuf. De nos jours, chaque être humain épris de liberté qui agit dans l’intérêt de sa nation et de son peuple doit affronter le même triste sort : fausses accusations et dossiers basés sur des choses comme «  insultes contre le régime », « actions contraires à la sécurité nationale » et des centaines d’autres accusations sans fondement. J’ai dit à plusieurs reprises qu’il nous faut craindre le futur si nous persistons dans cette voie, car la crise actuelle atteindra un point de non-retour. L’Imam Ali a déclaré qu’agir sans logique et en violant la loi conduit invariablement au chaos de l’âme et à la confusion des convictions religieuses.

Honorable Docteur Rouhani,
Nous savons que des temps difficiles vous attendent. Vous savez, mieux que personne, les obstacles qui s’opposent à la nation et les difficultés à répondre aux demandes du peuple. En tant que prisonnier politique, je sais qu’il n’est pas utile de vous mettre plus de pression en vous rappelant sans cesse la brutalité de ces dernières années et en nourrissant les déceptions. Vous avez réuni le peuple avec le slogan de prudence, modération et espoir. Votre expérience, vos connaissances prépareront sûrement la sortie de la crise. Le tyran comprendra que c’est la liberté et le progrès qui garantissent la sécurité et créent l’indépendance.

Ah, si la liberté pouvait chanter un hymne,
Etroit
Comme une gorge d’oiseau
Il ne resterait pas de mur brisé
Il faudrait beaucoup d’années
Pour apprendre
Que chaque ruine est causée par une absence
Que la croissance est favorisée par la présence humaine

Ahmad Shamlou

Avec l’espoir de voir votre triomphe et vos succès
Seyed Hossein Ronaghi-Maleki
Prison d’Evine – Bloc 350

Source : http://hra-news.org/685/1389-01-27-05-27-21/16319-1.html

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