dimanche 18 septembre 2011

Lettre de Shabnam Madadzadeh à Ahmad Shahid, Rapporteur spécial de l'ONU sur la situation des droits de l'homme en Iran


Au nom de Dieu,

Pour la première fois, j’adresse cette lettre en tant qu’une jeune étudiante emprisonnée à Monsieur Ahmad Shahid, le Rapporteur spécial des Nations Unies sur la situation des droits de l'homme en Iran.

Shabnam Madadzadeh

Monsieur Ahmad Shahid,

On évoque votre prochain voyage en Iran. Un pays de l'Orient, dans une région dénommée le Moyen-Orient. Une région vers laquelle tous les regards se sont tournés depuis ces dernières années et qui à tout moment s’attend à un nouvel évènement. Mais mon propos ne concerne ni le Moyen-Orient, ni les regards qui s’y sont tournés. Je vous écris au sujet d’un pays de l’Asie du Sud-Ouest et qui s’apparente à un chat sur la carte du monde. Un pays dont vous avez la responsabilité d’évaluer sa situation des droits de l’homme dans le cadre de la récente résolution des Nations Unies. Oui, je m’adresse à vous depuis l’Iran, depuis son cœur qui est la prison d’Evin. Aujourd’hui, il est en effet question dans les journaux et les informations de votre voyage et de votre mission pour la préparation de votre rapport.

Je me demande pour quelle raison, dans un pays où son dirigeant, Monsieur Ahmadinejad, a affirmé à maintes reprises lors des conférences de presse qu’en Iran "il y a la liberté absolue", que l’Iran "est le pays le plus démocratique de la région", quels secrets devraient exister pour justifier que l’on s’oppose aussi vigoureusement à la visite du Rapporteur Spécial des Nations Unies sur la situation des droits de l'homme?! Dans un pays tellement libre (!) que la réponse à toute critique et toute contestation n’est qu’intimidation et menace, où la défense de toute opinion, religion ou croyance différente de celle de ses dirigeants conduit à la détention et à la torture. Un pays en effet libre où l’on confronte des avocats qui ne font que défendre des prisonniers innocents dans des procès mascarades, menottés et condamnés à de lourdes peines de prison, à qui l’on retire le droit d’exercer leur métier. Un vrai "berceau de liberté" où l’intimidation et la peur sont mises en scène lors des exécutions, des corps pendus à des grues sur les places publiques. Il n’y a en effet rien à cacher dans ce pays libre.

Monsieur Ahmad Shahid, que vous soyez conscient ou pas de ces situations, elles constituent la réalité de notre vie. Nous sommes enfermés comme prisonniers de conscience dans un pays où ses dirigeants se disent tous les jours révoltés par l’injustice à l’égard des peuples d’autres pays, parfois très lointains, des dirigeants qui ne cessent de transmettre des messages de soutien à ces peuples, de critiquer les dictateurs d’autres pays tout en leur conseillant d’écouter la voix de leurs peuples. Car ce sont en effet ces peuples qui déterminent le cours de l’Histoire, qui critiquent la répression à l’encontre des étudiants et qui défendent la liberté d’expression et de parole. Dans ces conditions, je leur demande : "Alors moi, qui suis-je ?". Moi qui suis actuellement en prison pour mes croyances, pour mon opinion, ainsi que mes codétenues, des femmes toutes aussi innocentes, d’opinions très différentes, où sommes-nous précisément sur ce puzzle?!! "Pourquoi n’entendez-vous pas NOTRE voix ?!!"

Après beaucoup d’effort pour te faire entendre par tes dirigeants, tu arrives à cette conclusion que leur état d’esprit est « la mort est bien, mais pour le voisin ». C’est dans ces conditions que lorsqu’ils n’entendent pas ta voix, tu veux crier contre l’injustice à ton encontre et tes droits bafoués. Tu cries pour que l’on entende ta voix, même au-delà des frontières. Tu cries pour interpeller les consciences éveillées et les sensibiliser à tes douleurs et souffrances. Ces mots que je vous adresse aujourd’hui sont aussi un cri, sorti d’une montagne de douleur et de souffrance.

Je m’adresse à vous en tant qu’une fille iranienne de 24 ans, étudiante en informatique à l’Institut universitaire de formation des maîtres, en prison depuis le 1er Esfand 1387 (19 Février 2009), en compagnie de mon frère, pour le crime d’avoir réclamé la justice et la liberté, d’avoir défendu l’humanisme et la dignité de l’homme. Une fille qui a vécu l’expérience des prisons du Ministère des Renseignements, de la section 209 et de la section générale de la prison d’Evin, la prison de Rajai-Shahr et la prison de Gharchak à Varamine lors de ces deux ans et demi d’emprisonnement. Je m’adresse à vous en tant qu’une étudiante iranienne. 

Alors que les gens de mon âge dans d’autres pays sont normalement soutenus et guidés par leurs gouvernements sur le chemin de l’épanouissement et du progrès social et scientifique, je suis ici en train de me battre dans cette prison pour le strict minimum de droit humain, pour le droit de penser, le droit d’exprimer mes opinions et même le droit de respirer. Dans un pays vaste et riche, ma seule part des droits civiques est cette cage de prison où je suis contrôlée en permanence par des caméras de surveillance et de la haute technologie pour compter même mes respirations et où mon seul lien avec le monde extérieur est un entretien hebdomadaire de 20 minutes, depuis une cabine, derrière des vitres sales et avec un téléphone. Ma part est ce petit coin étroit d’une cage, sans la possibilité de sortir et de respirer de l’air frais. Lorsque les dirigeants de ce pays prétendent promouvoir les valeurs scientifiques et technologiques, on se demande pourquoi ils emprisonnent ces étudiants, sans considérer les centaines d’étudiants interdits de poursuivre leurs études [par mesure disciplinaire], pour la seule raison d'avoir exprimé leurs opinions. Le plus douloureux est le fait que ces comportements ne se résument pas aux étudiants, mais frappent bien toutes les couches de la société, docteurs, ingénieurs, avocats, ouvriers, professeurs, jeunes, vieux, hommes et femmes.        

Monsieur Ahmad Shahid, lorsque je feuillète le livre de déclaration universelle des Droits de l’Homme, j’ai le cœur plein de regrets et je ne me donnerai même pas la peine de vérifier leur application dans mon pays. Nous sommes en effet au stade où nous devons même nous battre pour prouver que nous sommes des êtres humains et nous rappeler que quelques soient nos croyances et nos opinions, nous devons en permanence subir de telles conditions et payer un tel prix juste pour être considérés comme des êtres humains. Je pourrai peut-être apporter des exemples pour démontrer que les principes exprimés dans chacun des articles de la déclaration universelle des Droits de l’Homme sont bafoués sans exception dans mon pays. Mon frère et moi étions interrogés dans la section 209 de la prison d’Evin, non pas pour notre propre opinion, mais celle des autres membres de notre famille! Dans cette même section 209, j’ai vu des femmes Bahaïs qui étaient arrêtées pour leur croyance. J’ai rencontré des journalistes qui étaient en prison pour avoir témoigné de la situation actuelle. J’ai vécu le procès injuste qui a condamné mon frère et moi à 5 ans de prison avec une peine d’éloignement dans une prison redoutable. J’ai vécu l’exil dans cette prison considérée comme l’une des pires de l’Iran. 

Oui Monsieur Shahid, notre histoire de souffrance est bien longue et je ne peux que vous en raconter qu’une petite partie. J’ai vécu en prison au milieu de droguées, d’assassins, de contrebandiers et de prostituées qui étaient toutes des victimes du pouvoir injuste et totalitaire de ce pays et ceci depuis l’âge de 21 ans. J’ai vécu les pires des conditions. Les conditions effroyables de détention dans la prison de Rajai-Shahr, où l’on disposait de deux simples lavabos et de deux douches pour 200 prisonnières, pour juste vous donner un aperçu de notre situation dramatique. J’ai vu tant de souffrances et de blessures profondes infligées à ce peuple meurtri. J’ai côtoyé ce peuple, j’ai partagé ses souffrances, j’ai pleuré sa solitude et son manque de protection. Ce serait vraiment bien que vous puissiez voir ces réalités de près, que vous voyiez vous-même que dans la prison de Gharchak, ce ne sont pas juste les droits élémentaires des prisonniers qui sont bafoués, mais aussi leurs droits humains. Il faut que vous voyiez par vous-même que ces pauvres femmes sans protection sont entassées dans un endroit qui est très loin des standards habituels d’une prison. Après avoir été exilée à la prison de Rajai-Shahr, transférée à la prison de Gharchak, je me trouve à nouveau actuellement à la prison d’Evin. Je passe mes journées noires de détention ici en compagnie de 32 codétenues innocentes, sans aucun moyen de communication, sous très haute surveillance et dans un endroit qui, de l’aveu même des responsables de cette prison, n’est même pas appelé une "section".

Monsieur Shahid, j’ignore ce qu’ils vont me faire après l’écriture de cette lettre. A Rajai-Shahr, pour avoir informé ma famille de ma situation critique, j’ai été interdite de visite et de téléphone pour une durée de 4 mois à partir du 14 Octobre 2010. Mon frère, Farzad Madadzadeh et trois de ses amis, Saleh Kohandel, Behrouz Javid-Tehrani et Pirouz Mansouri ont été transférés de Rajai-Shahr à la section 240 (sécurité) de la prison d’Evin depuis deux mois. Nous n’avons absolument aucune nouvelle d’eux. Nous avons vécu toutes ces expériences douloureuses au prix de notre jeunesse sacrifiée. A l’heure où vous êtes missionné de voir ces injustices de près, il est à espérer que vous consacrerez votre temps précieux à voir et à alerter le monde entier grâce à votre intelligence et votre conscience éveillée.

Monsieur Shahid, il y a tant de choses à dire, mais ceci a été un court aperçu de nos douleurs et souffrances sans fin. Votre mission a créé une lueur d’espoir dans nos cœurs de prisonniers et ceux du peuple meurtri d’Iran de voir votre rapport et votre témoignage auprès des nations signataires de la charte internationale des droits de l'homme améliorer la situation actuelle en Iran. Cette peur existe aussi de voir cette opportunité noyée, comme tant d’autres, dans des jeux politiques. Tous les regards sont à présent tournés vers vous. Ne laissez pas que cela se produise. 

Shabnam Madadzadeh
Prison d’Evin
Août 2011 (Shahrivar 1390)

Source (Persan): DaneshjooNews

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