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samedi 7 juin 2014

L’avocate des droits humains libérée continue le combat – Simon Tisdall – 01 juin 2014

L’arrestation et l’emprisonnement de Nasrine Sotoudeh avait causé la réprobation internationale. Elle parle ici de son épreuve.


Nasrine Sotoudeh et son fils, Nima, après sa libération l’année dernière - Behrouz Mehri/AFP/Getty Images

Nima, le fils de sept ans de Nasrine Sotoudeh veut sortir jouer. Sa mère, l’avocate iranienne des droits humains dont l’arrestation arbitraire avait suscité une campagne internationale pour la libérer, parle depuis des siècles. Nima s’ennuie.

A la porte de leur appartement, au nord-ouest de Téhéran, Nasrine prend Nima dans ses bras. Le garçon se tient sur la pointe des pieds pour embrasser sa mère. Ils restent embrassés pendant plus d’une minute, comme s’ils ne supportaient pas d’être séparés.

Si c’est le cas, ce n’est guère étonnant. Nima n’avait que trois ans quand les hommes du ministère du renseignement sont venus en silence chercher sa mère en 2009. Personne ne savait si elle reviendrait un jour. Sa condamnation initiale était de 11 ans de prison. Elle était détenue à l’isolement, interdite de visites et de téléphone. Sa santé se détériorait, elle perdait du poids. Des rumeurs couraient sur sa disparition. Et puis, Nasrine Sotoudeh a été libérée à l’improviste, sans explication ni excuses en septembre dernier.

Parlant franchement au Guardian malgré les risques de représailles que cette interview pourrait déclencher de la part des autorités, Nasrine Sotoudeh a expliqué que c’était Nima qui était indirectement responsable de sa première grève de la faim qui avait attiré l’attention internationale sur sa situation difficile.

« Avant l’élection de 2009, j’ai été menacée à de nombreuses reprises pour le travail que je faisais en tant qu’avocate des droits humains, mais je n’ai pas eu de problème sérieux. Mais après, les choses ont changé. J’étais à une réunion de l’association professionnelle des avocates quand soudain, la porte a été brutalement ouverte et des policiers du renseignement sont entrés. Ils m’ont montré un mandat d’arrêt émanant du tribunal et m’ont dit de me présenter devant la cour dans trois jours. J’y suis allée et j’ai été arrêtée. En même temps, cinq hommes ont perquisitionné mon domicile. Ils ont emmené certains de mes effets personnels. Je tenais un journal sur Nima depuis sa naissance, et ce journal, ils l’ont emmené. Une fois en prison, je leur ai demandé de me rendre le journal et d’autres affaires personnelles. Pendant deux semaines, je n’ai même pas pu appeler mon mari au téléphone. Alors j’ai fait une grève de la faim de trois jours, j’ai eu droit au téléphone et mes affaires ont été rapportées chez moi. »

C’était une victoire, petite mais importante ; l’incarcération de Sotoudeh ne faisait que commencer. Apres des interrogatoires longs et souvent effrayants, elle a été accusée d’ « actes contre la sécurité nationale » et « propagande à l’encontre du régime ».

Sotoudeh a été condamnée à 11 ans de prison, 20 ans d’interdiction d’exercer une profession juridique et à l’interdiction de quitter le territoire. Le verdict a été réduit en appel à six ans de prison et 10 ans d’interdiction d’exercer une profession juridique.

En mai 2010, neuf mois après son arrestation, Nasrine a écrit à Nima depuis la célèbre prison Evine de Téhéran ; elle était alors détenue à la section 209, réservée aux prisonniers politiques et sous la supervision du ministère du renseignement. Elle a écrit sur des mouchoirs en papier (le seul papier dont elle disposait) pour tenter d’expliquer l’inexplicable et combler le gouffre de peur et d’incompréhension qui se creusait entre elle et son fils, d’après ses craintes.

« Bonjour Nima, mon bien-aimé, t’écrire une lettre est tellement difficile mon cher Nima. Comment te dire où je suis alors que tu es tellement innocent et trop jeune pour comprendre la réelle signification de mots comme prison, arrestations, verdict, jugement, injustice, censure, oppression qui sont les contraires de libération, liberté, justice, égalité ? Comment t’expliquer que rentrer à la maison ne dépend pas de moi, que je ne suis pas libre de me précipiter vers toi, alors que je sais que tu as dit à ton père de me demander d’arrêter de travailler pour que je rentre à la maison ? Comment t’expliquer que ces six derniers mois on ne m’a pas permis de te voir ne serait-ce qu’une heure ?

Mon cher Nima, durant ces six derniers mois, j’ai pleuré sans pouvoir me contrôler à deux occasions, la première, lors du décès de mon père, quand on ne m’a pas interdit de faire mon deuil et d’assister aux funérailles, la deuxième quand tu m’as demandé de rentrer à la maison et que je n’ai pas pu rentrer avec toi. Je suis retournée dans ma cellule et j’ai sangloté sans contrôle. »

Il y a eu d’autres moments difficiles, beaucoup même pour dire la vérité, bien que Nasrine Sotoudeh soit une femme modeste et effacée, répugnant à dramatiser ses expériences. Pour beaucoup d’Iraniens, et surtout de jeunes Iraniennes, c’est une héroïne nationale, bien qu’on ne la loue qu’en privé et à voix basse. Elle a gagné le prix Sakharov 2012 du parlement européen et beaucoup d’autres récompenses, mais elle dit se sentir étonnée à chaque fois qu’on lui dit qu’elle est célèbre. 

A 50 ans, mince et de taille moyenne, les cheveux châtains coupés court, le sourire éclatant, Narine Sotoudeh semble heureuse chez elle. Mais des cernes sous les yeux et une certaine nervosité trahissent une réalité différente, plus sombre. Elle avoue que sa vue a baissé en prison, mais se dit en bonne santé par ailleurs. Vu tout ce qui lui est arrivé d’horrible, elle semble remarquablement optimiste.

« J’ai commencé à travailler comme avocate après avoir eu mon diplôme, ce qui m’a pris huit ans. Je me suis tout de suite occupée de dossiers de droits humains. Je me suis spécialisée dans le droit des enfants. J’étais très sensible à la peine de mort, surtout pour les mineurs, et c’est toujours un problème en Iran. Je m’intéressais aux droits des femmes, des militants politiques, des journalistes et des minorités religieuses. J’ai travaillé pendant dix ans sur ces dossiers.  »

En plus de sa clientèle privée, Nasrine a travaillé avec ou aide à la fondation de plusieurs ONGs dont le Centre de Défense des Droits Humains, fondé par la lauréate 2003 du prix Nobel de la Paix Shirine Ebadi, et le Comité pour le Droit des Enfants. Le Centre des Droits Humains a été fermé par le gouvernement en 2008.

Avant son arrestation, elle avait représenté Issa Saharkhiz, journaliste réformateur, Heshmat Tabarzadi, militant politique d’opposition et Parvine Ardalan, fondatrice de la campagne Un Million de Signatures pour des droits égaux pour les femmes et lauréate du prix Olof Palme 2008

« J’étais aussi impliquée dans le dossier d’Arash Rahmanipour, arrêté avant l’élection ; on a prétendu qu’il avait été arrêté après, durant les manifestations, c’était un mensonge. Ils étaient très en colère contre moi. On n’aime pas que je défende des dossiers comme celui-là. On m’a demandé à plusieurs reprises de quitter mon travail. On n’aimait pas non plus ce que je disais lors des interviews avec des médias nationaux et internationaux. Lors de mon arrestation, on m’a dit avoir fait un CD de toutes mes interviews. J’ai répondu que je n’avais rien fait de mal. »

Les interrogatoires et le procès ont eu lieu devant un tribunal d’exception à huis clos à la prison d’Evine. « C’était le pire endroit. Les interrogatoires étaient menés par des représentants du ministère du renseignement. Ils étaient vraiment durs, méchants et effrayants. J’ai demandé ma mise en liberté. Leur réponse ? Ils m’ont ajouté un chef d’accusation, adhésion au Centre des Défenseurs des Droits Humains, passible d’une peine de cinq ans. 

Je suis restée à l’isolement jusqu'au bout. Aucune communication. Il y avait cinq cellules dans le couloir, mais uniquement le silence et l’isolement. Le pire moment, c’est lorsqu’un jour je me suis retrouvée enfermée seule avec un homme qui m’interrogeait. Ce n’est pas une situation normale, d’être seule avec un enquêteur. Je me souviens qu’il n’y avait qu’une petite fenêtre. J’ai hurlé. Alors, le sous-directeur de la prison est arrivé en compagnie d’une femme. Il a donné l’ordre qu’elle soit présente tout au long des interrogatoires. Si vous me le demandez, je vous dirais que je n’ai pas été maltraitée physiquement, mais j’ai fait l’objet de beaucoup de menaces psychologiques. Celui qui m’interrogeait m’a dit : « je ne vais pas te libérer, je vais te faire donner une peine de 10 ans. » En fait, j’ai pris 11 ans. Il se conduisait comme s’il avait le pouvoir d’obtenir des juges ce qu’il voulait. Et ils obéissaient. »

Plus tard, Nasrine Sotoudeh a raconté que le responsable de ceux qui l’interrogeaient lui a suggéré de donner des interviews favorables au régime aux medias pour diminuer sa « faute ». Je lui ai ri au nez et lui ai demandé ‘Est-ce que vous pensez de moi ?’ 

Cette suggestion, criante de désespoir, a peut-être été soufflée par la campagne internationale pour libérer Sotoudeh, par sa nomination par Amnesty International en tant que prisonnière de conscience, ainsi que les déclarations d’inquiétude sur la façon dont elle était traitée par les gouvernements américain et autres.

Human Rights Watch, la Commission Internationale des Juristes, la Fédération Internationale des Droits Humains et le Parlement Européen sont tous intervenus en sa faveur, ainsi que certains medias occidentaux et la Société Juridique d’Angleterre et du Pays de Galles qui a appelé à sa libération en janvier 2011.

Quelques mois plus tard, cette même personne est revenue : « Il m’a dit : ‘OK, ne donne plus d’interviews. Contente-toi de tes réunions avec les avocats et informe-nous’. Je lui ai encore ri au nez. Il est revenu à de nombreuses reprises en me menaçant : ‘Je vais te casser. Je vais te faire mordre la poussière et tu y resteras pour toujours.’ »

Nasrine Sotoudeh dit que la séparation d’avec ses enfants, Nima et sa fille Mehraveh, 11 ans à l’époque de son arrestation, a peut-être été l’épreuve la plus difficile à supporter. Mais ses enfants, aussi jeunes qu’ils aient été, ont fait montre d’un grand courage.

En octobre 2012, elle a commencé une nouvelle grève de la faim qui a duré 49 jours pour protester contre sa situation en prison, y compris contre les restrictions appliquées aux visites de sa famille et contre l’interdiction de sortie du territoire de son époux Reza Khandan et de Mehraveh.

A cette époque, lors d’une rare visite de Mehraveh, derrière une vitre, Nasrine Soutoudeh a dit que les autorités de la prison distribuaient ce qu’on appelait une feuille de pardon, qui permettaient aux prisonniers de demander une libération provisoire en échange de l’aveu de leur culpabilité.

« Ce jour-là, ma fille était très soucieuse, alors on l’a laissée s’approcher de moi. Je l’ai serrée dans mes bras. Je sentais qu’elle était très inquiète pour moi. Je lui ai expliqué qu’on distribuait la feuille de pardon. Je lui ai dit : ‘Je peux en prendre une’. Mais ma fille m’a répondu : ‘N’y pense même pas.’ »

C’est l’époque où Reza Khandan a exprimé ses craintes pour la vie de son épouse, disant qu’elle souffrait de vertiges, d’une détérioration de la vue, d’hypotension et qu’elle avait perdu beaucoup de poids. On a fini par accéder à ses demandes, l’interdiction de sortie du territoire a été levée et elle a mis fin à sa grève de la faim.

A-t-elle jamais pensé à abandonner ou à se soumettre ? Elle répond que oui, qu’elle a eu plus que sa part de moments noirs.

« Nous sommes tous des êtres humains. Quelquefois on se sent faible et des pensées démoniaques nous viennent de Satan. Mais je peux vous dire qu’en ce qui concerne les interviews en leur faveur ou la coopération avec eux, je n’ai jamais eu le moindre doute.»

Nasrine Soutoudeh nous dit que sa libération sans condition en septembre de l’année dernière a été une surprise. Elle a coïncidé avec l’arrivée au pouvoir d’un nouveau président iranien, à la ligne moins dure, le centriste Hassan Rouhani et avec le voyage de haut-niveau qu’il effectuait pour l’assemblée générale de l’ONU à New York. Elle a dit que 20 autres prisonniers politiques avaient aussi été libérés, sans explication.

« Malheureusement, ce processus a pris fin depuis » nous dit Nasrine Sotoudeh, notant que jusqu'à 800 prisonniers politiques restent détenus. « Je me sens mal par rapport aux autres prisonnières que j’ai laissées derrière moi. Nous avons vécu ensemble pendant trois ans, certaines venaient de minorités ethniques, il y avait aussi des bahaïes, des chrétiennes, des militantes politiques des Vertes, des femmes de gauche, des communistes, mais aussi des journalistes et des écrivaines. Je les connais. J’ai été libérée sans l’avoir demandé. Nous espérions qu’elles aussi seraient libérées, mais ce n’est pas ce qui s’est passé… Mais j’espère toujours que le gouvernement le fera. A une époque, nous étions 30 prisonnières, maintenant, elles ne sont plus que 14. La bonne nouvelle est qu’ils n’en ont pas rajouté et que le total continue à baisser. »

De retour chez elle, son ardoise judiciaire apparemment effacée et malgré ou peut-être à cause de son épreuve de trois ans, Nasrine Sotoudeh a repris son travail d’avocate des droits humains. Elle s’occupe actuellement de deux dossiers de délinquants mineurs accusés de meurtre, et elle envisage d’en prendre un troisième, politique cette fois. Elle a aussi réactivé son Association Professionnelle des Avocates et le Comité des Droits des Enfants, et a lancé une campagne avec sept autres personnes pour l’abolition graduelle de la peine capitale en Iran.

« Ceux qui font campagne pour les droits humains devraient se concentrer sur deux choses : d’abord la réduction de la peine capitale dont l’occurrence a augmenté sous le nouveau gouvernement, et deuxièmement, presser Monsieur Rouhani de réagir aux actions contraires aux droits humains en Iran, comme l’attaque contre les prisonniers d’Evine il y a trois semaines. Si Monsieur Rouhani ne peut réagir correctement à de telles crises, il ne va pas tarder de perdre son soutien dans la société.»

A-t-elle peur que son retour sur le champ de bataille des droits humains puisse avoir de nouvelles conséquences négatives pour elle-même et sa famille ? Nasrine Sotoudeh ne se dit pas concernée. « Depuis ma libération, on ne m’a pas inquiétée, on ne m’a pas contactée. »

Tout de même, ce n’est peut-être pas une coïncidence si son appartement a été cambriolé il y a quatre mois, peu de temps après sa libération. Et son époux a récemment reçu une menace anonyme de lui lancer de l’acide au visage.

Nasrine sourit ; Nima est rentré, maintenant la discussion est terminée. Il veut jouer un air au piano pour sa mère et son invité. Il joue, nous écoutons. Et nous espérons que tout ira pour le mieux.

Source : http://www.theguardian.com/world/2014/jun/01/iran-rights-lawyer-nasrin-sotoudeh?CMP=twt_gu

samedi 16 mars 2013

FeministSchool: Discours de Shirine Bahramirad : Les Femmes que nous sommes


FeministSchool: Discours de Shirine Bahramirad à l’exposition d’Amnesty International intitulée « Gardons le Cœur de l’Iran en vie » le 8 mars 2013, Miesbach:

Ce soir, je voudrais vous expliquer que les problèmes des femmes en Iran ne sont pas aussi tranchés qu’ils le semblent, comment nous nous arrangeons pour conserver une partie de nos droits et comment le gouvernement conserve son emprise sur nous.

Mais je vais commencer par une anecdote.

En Iran, les droits de sortie du territoire, de travailler, d’étudier, de divorcer et de garde des enfants n’appartiennent qu’aux hommes. Beaucoup de femmes l’ignorent jusqu’à ce qu’elles rencontrent un problème et elles ignorent alors qu’il existe des solutions légales pour résoudre leur problème. Grâce au travail des groupes féministes, mon mari et moi avons appris que nous pouvions ajouter des clauses à notre contrat de mariage pour éviter cela, mais nous en ignorions la terminologie exacte. Nous avons donc contacté deux militantes féministes de premier plan Noushine Ahmadi Khorassani, qui est par la suite devenue l’une de mes amies les plus chères et Shadi Sadr. Elles nous ont envoyé des textes avec la terminologie adéquate. Ce n’était cependant pas suffisant ; il existe également des conditions : que tout soit écrit et signé dans un bureau d’enregistrement pour être opposable devant un tribunal, parce que ces droits ne sont pas considérés comme naturels et l’époux doit les transférer à son épouse durant une période déterminée (pour nous, 50 ans). Le notaire et l’employé du service de l’état civil ont tenté d’empêcher Bavand de le faire. Ce fut la première influence du militantisme féministe dans ma vie et depuis lors, j’ai milité.

A l’occasion de la journée internationale pour l’élimination de la violence contre les femmes (25 novembre 2010), Noushine a suggéré que nous confectionnions des marque-pages et je devais en illustrer certains. Noushine voulait des photos de différentes personnes, des jeunes et des vieux, des hommes et des femmes, des religieux et des laïcs, des conservateurs et des modernistes, qui devraient tous écrire une phrase dans la paume de leurs mains pour protester contre ces violences. Elle voulait démontrer qu’en dépit d’attitudes différentes, tous pouvaient soutenir cette cause. Et les photographes devaient tirer le portrait de gens ordinaires, pas de célébrités ou de personnes de premier plan.

J’ai une grande famille qui se rassemble tous les 15 jours dans la maison de ma grand-mère. Nous sommes environ 40 : nous sommes proches en esprit mais de caractères très différents. Ce soir-là, tandis que nous bavardions, j’ai compris que c’était une bonne occasion de prendre des photos. J’ai expliqué ce que je voulais faire à mes cousins, mes oncles et tantes et mes parents en demandant leur permission. Mes parents et deux de mes cousins plus âgés se sont portés volontaires. L’une de mes tantes voulait qu’on prenne son jeune fils en photo et il a commencé à croire en ce qu’il défendait auparavant. Je les ai conduit un par un dans un coin de la maison où mon mari écrivait une phrase dans la paume de leurs mains et je les ai pris en photo pour montrer leurs paumes au monde. Tous nous entouraient en nous disant : « Tiens-toi comme ça, tiens ta main comme ceci, met ton foulard, retire ton foulard, etc » et la soirée a continué. On peut encore voir certaines de ces photos ici.

Une des photos que l’on retrouve sur les sites féministes et sur la couverture d’un livre appartient à Sara qui a 33 ans maintenant. Son père est un fondamentaliste qui la réveillait pour les prières du matin. Il ne lui a pas permis d’étudier à l’université pendant un an parce que l’université se trouvait dans une autre ville. Elle voulait que sa photo paraisse sur les marque-pages pour s’opposer à son père. Maintenant, elle travaille et je suis sûre qu’elle ne récite plus ses prières et qu’elle lit des livres et des articles féministes.

Une des autres photos est celle de ma mère ; elle a toujours été très pratiquante. Avant la révolution, elle a été expulsée de l’école plusieurs mois car elle refusait de retirer son foulard à l’école. Son père ne lui a pas permis, ni à mon autre tante, d’étudier à l’université car ce n’était pas convenable pour des filles. Elle m’a eu ainsi que mes deux sœurs avant ses 30 ans. Elle est entrée à l’université la même année que moi. Elle dirige actuellement un foyer pour enfants où elle prend soin de 15 garçons ; elle en a adopté deux.

Une autre de ces mains appartient à Ali, 24 ans, qui vient d’épouser sa petite-amie, ce qui ne serait pas arrivé dans cette famille vingt ans plus tôt. La mariée a dit en plaisantant que le marque-pages serait pendu au mur pour qu’il le voie le reste de sa vie.

Comme vous le voyez, les choses ont changé et continuent de changer mais cela n’a pas été simple. La famille, les institutions gouvernementales et les militants ont joué un rôle dans ces changements. Voici une anecdote que je vais tenter de vous relater.

Environ deux ans après la révolution iranienne de 1979, la guerre Iran-Irak avait commencé. Le gouvernement de la république islamique avait déjà rendu le hijab obligatoire pour les femmes. La révolution culturelle avait commencé, « nettoyant » les universités de ses étudiants et professeurs occidentalisés. L’université a été et est encore à l’origine de la plupart des oppositions politiques. Les universités ont été complètement fermées pendant deux ans. Ensuite, les étudiants ont dû passer au travers des mailles d’un comité de sélection établi dans toutes les universités. Bien sûr, les femmes n’étaient pas vraiment bienvenues. Elles pouvaient ne pas passer le filtre du comité par exemple parce qu’elles étaient « mal voilées ». Beaucoup de cursus, considérés comme non convenables, leurs étaient interdits. Les garçons et les filles n’avaient pas le droit de se parler et leurs échanges se limitaient à l’échange de notes prises pendant les cours dans les couloirs. Et pourtant, le nombre de femmes à l’université a beaucoup augmenté sous le nouveau régime et elles ont vite été plus nombreuses que les hommes.

La ségrégation des sexes et les restrictions imposées aux femmes s’appliquaient également dans les écoles et dans la rue. La police de moralité était partout et arrêtait les femmes dont les cheveux n’étaient pas correctement couverts. Les réunions de famille se tenaient avec précaution pour que les gardes révolutionnaires ne les découvrent pas, hommes et femmes y étant mélangés.

A cette époque, les groupes féministes n’agissaient pas publiquement. Le nouveau gouvernement islamique avait exécuté tant de membres des partis politiques qui avaient joué un rôle dans la révolution que personne n’osait tenir de rassemblement public. Les groupes de femmes étaient surtout des cercles privés. Leur activité la plus remarquable était la tenue d’une commémoration annuelle le 8 mars au domicile d’une des membres. Il y avait aussi des réunions mensuelles qui consistaient en projection de films, lecture de livres ou en discussions sur les idées féministes. Les oratrices les plus connues en étaient Shirine Ebadi, Mansoureh Ettehadieh et Mehranguiz Kar.

Après une période de reconstruction sous la présidence de Rafsandjaini, Khatami entra en fonction en 1997. C’était le candidat du parti réformateur, et, bien qu’étant clerc, il ouvrit le pays au militantisme. Les militants du droit des femmes ont finalement pu défendre leurs demandes de façon plus explicite. On trouva des espaces publics pour débattre des réglementations. Le nombre d’associations, de journaux et d’éditions féminines augmenta. A l’université, les études sur les femmes et la différentiation des sexes firent leur apparition et la toute première commémoration publique et légale de la journée internationale de la femme a été organisée le 8 mars 2000, ce qui eut pour effet la création du centre culturel féminin. Ce centre devint célèbre pour son approche innovante : manifestation et éducation concomitantes, ce qui par la suite servit de modèle à la campagne Un Million de Signatures.

Le centre a commencé par demander publiquement au gouvernement de ratifier sans condition la Convention sur l’Elimination de toute forme de Discriminations contre les Femmes, exprimée dans leur première lettre d’information appelée la Lettre de la Femme. Ce fut la première lettre ouverte signée par des militants du droit des femmes. Le centre culturel des femmes a commencé à recueillir les signatures de tous, militants ou non et à organiser des ateliers d’éducation.

Le gouvernement de Khatami a envoyé, en vain, la Convention à un parlement dominé par les conservateurs. Il y eut des manifestations organisées par les forces conservatrices et les jeunes clercs de Qom, le Vatican iranien, qui s’opposaient à la Convention.

Les militants du droit des femmes ont continué à faire feu de tout bois pour rejoindre la Convention. Le 8 mars 2003, le centre a organisé une manifestation au parc Laleh de Téhéran, parmi les orateurs, Shirine Ebadi, Noushine Khorassani et Shadi Sadr, pour protester contre le rejet de la Convention par le parlement. Lorsque Shirine Ebadi a gagné le prix Nobel plus tard cette année-là, le projet de ratification a gagné davantage de soutien.

Malgré tous ses efforts, Khatami n’a pas réussi à faire voter la ratification de la Convention par le parlement. Le sujet refit surface en 2009 lorsque la Coalition des Forces Féminines fut formée. C’était juste avant l’élection présidentielle de 2009 lorsque le contrôle culturel très serré s’est relâché temporairement. Les militants du droit des femmes ont saisi l’opportunité pour promouvoir leur point de vue. Noushine Ahmadi Khorassani a inauguré le Mouvement de la Convergence en demandant à divers groupes féministes de soutenir les candidats qui acceptaient d’incorporer les demandes des femmes dans leurs programmes politiques. La ratification de la Convention était l’une des principales demandes. Avec l’assignation à domicile des candidats favorables au mouvement, l’espace de liberté s’est de nouveau refermé.

L’ère Ahmadinejad aura été l’une des plus sombres pour les militants du droit des femmes depuis la révolution. La séparation des sexes à l’université a refait surface et s’est accéléré sous la pression du gouvernement. Dans certaines universités les filles et les garçons ont cours à des jours différents et beaucoup de professeurs laïcs ont été poussés vers la retraite.

Dans un geste soi-disant progressiste, Ahmadinejad a nommé, pour la première fois depuis la révolution, une femme, le Docteur Vahid Dastjerdi à la tête du ministère de la santé et de l’enseignement médical. Il est assez amusant de constater que son attitude envers la santé et le bien-être de la femme a été la plus sexiste jamais constatée. Elle a proposé la séparation des sexes à l’hôpital, s’est opposée à la Convention et est revenue sur la politique de contrôle des naissances menée depuis la guerre.

Le gouvernement d’Ahmadinejad a essayé de faire voter la loi de protection sur la famille. Cette soi-disant « réforme », surtout la section qui traite de la polygamie, a suscité une grande opposition des militants du droit des femmes. Ce projet suggérait que le mari n’avait pas besoin de la permission de la première épouse pour se remarier, il lui suffisait de prouver au tribunal qu’il en avait les capacités financières. Cette section du projet a été retirée sous les vives critiques des militants, des juristes et des journalistes.

Un autre projet de loi traitait de l’émission de passeport pour les femmes. Jusque-là, les femmes célibataires pouvoir obtenir un passeport et se rendre à l’étranger alors que les femmes mariées, quel que soit leur âge, avaient besoin de l’autorisation de leur mari pour déposer une demande. Le projet de loi initial tentait d’interdire aux célibataires de moins de 40 ans d’obtenir un passeport sans la permission officielle de leur tuteur, père, grand-père paternel, oncle ou juge religieux. Les militants du droit des femmes et de la société civile n’ont pas mis longtemps à s’y opposer. Le projet a donc été révisé et la limite d’âge a été retirée : aucune femme de plus de 18 ans n’avait le droit de quitter le pays sans l’autorisation de son tuteur, ce qui fut également critiqué et le projet a finalement été rejeté par le parlement.

Pour conclure, retour à la réunion familiale chez ma grand-mère. Il est maintenant clair, je l’espère que des filles comme Sara ne sont pas des exceptions. Les pères les plus conservateurs peuvent de nos jours permettre à leurs filles d’étudier dans une université lointaine parce que l’éducation est culturellement très importante pour les parents, et se faisant, la jeune-fille se met hors de portée du contrôle familial. Les grandes villes comme Téhéran permettent à des filles comme Sara, qui a fini par poursuivre ses études, de voir d’autres femmes jouir de leurs droits, ce qui les aide à échapper à la vie que leurs pères avaient prévue pour elles ! Ces changements sont possibles grâce à une combinaison de facteurs. La lutte féministe pour le changement des lois, pour l’éducation et pour présenter leurs demandes encore et encore y joue un grand rôle.

Ma mère croit encore en son hijab. Pour elle, il ne s’agit pas d’une loi du gouvernement. C’est sa religion et sa propre décision. Par définition, elle n’est pas féministe. Mais elle nous a appris à faire ce que nous pensions être bien. On ne nous a jamais forcé à porter le hijab ni à pratiquer la religion. Elle nous a toujours poussées à être indépendantes, à étudier et à travailler pour que nous ne dépendions pas de nos maris. L’éducation supérieure n’était pas une option, c’était une obligation. En entrant à l’université alors que nous étions déjà adolescentes, elle nous a prouvé qu’on pouvait avoir une maison pleine d’enfants et continuer ses études en même temps. Elle s’occupe à présent de 15 garçons, porte toujours le voile et récite toutes ses prières.

Ce que je veux dire c’est que ma mère et Sara n’étaient pas les seules à réussir à briser les barrières et à atteindre leurs buts dans un pays où la répression des femmes est soutenue par la loi. Il y a des millions de femmes qui, malgré toutes les restrictions qu’on leur impose, ont vécu leurs rêves sans avoir à rejeter catégoriquement un style de vie traditionnel ou à trahir leur religion. Il y en a d’autres qui sont aussi laïques que vous. Tout cela est possible grâce aux efforts des militants des droits des femmes comme celles dont vous voyez aujourd’hui les affiches.

Source : http://www.iranianfeministschool.info/english/spip.php?article497