Je continue à revoir des scènes de l’Ashoura. Je n’y étais pas, mais je ressens ce que ça a dû être. Nous étions dans un coin et ils disaient ce qu’ils voulaient et faisaient ce qui leur plaisait devant nos propres yeux. Ils détruisaient tout. J’ai senti que nous n’avions personnes vers qui nous tourner, nous étions seuls. J’avais l’impression que la poussière se soulevait. On ne voyait rien que la plaine en feu, la fumée et le sang. Quand notre neveu de quatre ou cinq ans est arrivé à l’improviste, entrant par la porte ouverte, dès qu’il a vu l’état de notre maison, il a couru vers votre père et moi, les yeux pleins de larmes. Il se jeta sur mes genoux et dit : « Tata, qu’est-ce qu’ils font ? Que veulent-ils ? Tata, qu’est-ce qui se passe ? » Je me souvenais des souffrance de Zeynab. Je voulais pleurer mais je ne voulais pas qu’ils me voient pleurer. J’ai fait tout ce que j’ai pu pour ne pas pleurer. La scène est toujours présente dans mon esprit. Je vois ces scènes plusieurs fois par jour, sentant à chaque fois l’étouffement provoqué par l’écrasement de ma poitrine. Je ne peux pas dormir. La boule présente sans arrêt dans ma gorge ne m’aide pas. Je ne sais pas pourquoi je ne peux pas oublier…
Ce sont les mots de ma mère, une mère malade, encore sous le choc et incapable de manger bien que plusieurs jours se soient écoulés depuis l’attaque de leur maison. Sans même s’en rendre compte, elle reste assise dans un coin et pleure pendant des heures, ce qui attriste les autres membres de la famille. Ma mère dit qu’elle ne se sent pas elle-même et ne veut plus parler. Elle dit qu’elle me raconte cela dans l’espoir que cela l’aide à se calmer in peu. Elle ne veut pas m’inquiéter mais elle est extrêmement anxieuse, elle ne va pas bien. Ma mère dit que mon père la critique parce qu’elle a pleuré et tremblé quand ils sont arrivés et qu’elle avait perdu son self control en leur présence. Mais était-ce même possible ? J’aurais voulu que ma mère se soit laissé aller à pleurer pour éveiller la conscience de ceux qui ont commis de tels actes. Peut-être que si elle avait pleuré, cela aurait minimisé sa peine et qu’il lui aurait été plus facile de supporter toute cette injustice.
Mon père lui non plus n’a plus ni sommeil ni repos de l’esprit depuis ce jour. Il tente de se calmer et de calmer les autres membres de la famille. Il essaie même de l’encourager. Il est plus silencieux que d’habitude et il garde pour lui toutes ses douleurs récentes. Je crains qu’il ne soit de nouveau hospitalisé dans les jours qui viennent. Mes deux parents sont devenus anxieux ces dernières années et tout ce stress leur a causé toute sorte de maladies physiques. De la même façon qu’ils ont appris à m’élever contre l’injustice et à ne faire preuve ni de peur ni de faiblesse, ils ont supporté le stress de cette journée, tout en sachant pertinemment que leur santé en souffrirait. Ils sont restés fermes de peur que les attaquants engagés dans une campagne de terreur contre une mère et un père malade ne réussissent à les terroriser et à promouvoir leurs buts. Mes parents ne font pas de politique. A l’apogée de mes années d’études, il est souvent arrivé que nous soyons en désaccord, de la même façon, ils étaient avec moi quand j’ai subi l’injustice et les exactions et ils m’ont soutenu après mon arrestation en 2008, ils sont maintenant à mes côtés. Leur seul désir actuellement est de s’assurer que je sois toujours ferme et fort. Aujourd’hui, ils ne s’inquiètent que de moi et moi, mon seul souci c’est eux. Que pensent ces despotes haineux ? Après toutes ces arrestations, ces inculpations, ces menaces, ces mois d’isolement, l’exil, après ce dossier forgé de toutes pièces contre moi, ils ont maintenant l’audace de déplacer la pression pour la faire peser sur ceux que j’aime.
Mercredi 5 janvier, aux environs de8h30 du matin, plusieurs personnes ont fait irruption dans la demeure de mon père à Shiraz. Leur conduite était agressive. Ils faisaient fi de tout respect pour l’humanité et ont mis notre maison à sac. Ils ont confisqué tous les papiers, documents, tracts, livres, ordinateurs, CDs, etc… Ils ont brisé les serrures des placards, cherché sous les tapis et les canapés, jetant étagères et tiroirs sur le sol et s’assurant que rien ne restait à sa place. Ils ont pris tout ce qu’ils ont trouvé, y compris les documents dont un de mes frères a besoin pour préparer son examen d’entrée à l’université. Ils ont même confisqué tous les documents de recherches et de projets scolaires de mon autre frère qui s’apprête à terminer un semestre à l’université. Inutile de dire qu’ils sont tous deux en plein désarroi.
Ce jour-là, mes parents étaient seuls à la maison. Les agents du ministère du renseignement sachant pertinemment que mes parents ne font pas de politique cherchaient mon frère aîné qui est plus informé. Ils ont pris contact par téléphone et ont convoqué mon frère aîné qu ministère du renseignement (plus connu sous le nom de n°100) à Shiraz. Ils lui ont expliqué que s’il n’arrivait pas très vite, nos parents seraient eux aussi arrêtés. Mon frère est arrivé au ministère du renseignement peu après 11h00 et les agents du ministère ont finalement quitté notre maison. Mon frère a été interrogé pendant cinq à six bonnes heures. Ils lui ont demandé pourquoi mon père avait rencontré Monsieur Karroubi et Monsieur Nourizad. Ils voulaient savoir pourquoi mes amis étudiants venaient à la maison, pourquoi madame Mohtashamipour était à la maison il y a deux semaines. Ils demandaient pourquoi mes parents avaient parlé à Messieurs Moussavi et Karroubi, et à Mesdames Rahnavard et Ebadi quand ils nous ont parlé au téléphone à la maison. Ils ont demandé pourquoi des messages de soutien et d’encouragement nous parvenaient sans arrêt de l’étranger. Ils voulaient savoir pourquoi des lettres et des cartes postales nous étaient adressées par des Iraniens et des non-Iraniens. Ils ont demandé pourquoi des déclarations de prisonniers politiques continuaient d’être publiées et voulaient savoir qui les écrivaient. Ils voulaient connaître tous les contacts de ma famille et les miens. En bref, ils nous menaçaient autant que possible et exigeaient que mon frère n’ait plus aucun contact avec quiconque et qu’il arrête de commenter ma situation en prison. A la fin, ils lui ont fait signer une déclaration qui disait qu’il acceptait tout ce qui précède. Je ne sais si tout cela était fait pour intimider ma famille afin qu’elle cesse tout contact avec le monde extérieur et arrête d’accorder des interviews ou bien s’ils voulaient me signifier clairement ce qu’ils m’avaient déjà dit à de nombreuses reprises : ils peuvent me faire du mal s’ils le veulent. Je sais pertinemment que je n’accepterai jamais de me taire, j’ignorerai leurs exigences, ce qui conduira à encore plus de châtiments, l’histoire est loin d’être finie.
Je n’écris pas cette lettre pour ajouter de la douleur et de la souffrance aux récits douloureux que j’ai déjà faits depuis des années, mais pour exprimer une demande claire et précise à mes amis. Je ne le demande pas parce que je désire renforcer la conduite de ceux qui croient qu’ils peuvent gouverner par la violence, l’intimidation et la peur, mais plutôt pour protéger la santé et le bien-être de ma famille en leur apportant un peu de paix et de répit pour un temps au moins. Je demande donc, pour l’instant, à mes amis, étudiants, journalistes et même aux militants politiques et sociaux et aux dirigeants du mouvement vert en Iran de ne plus contacter ma famille et de travailler de concert pour qu’aucune interview ne soit accordée. Même si les conséquences de ce silence sont amères et difficiles à supporter, il donnera à ma famille une relative paix de l’esprit ce qui me suffira. Comme toujours, je voudrais remercier mes amis, surtout les étudiants convoqués en conseil de discipline de l’université pour une courte visite à ma famille. Je comprends qu’ils risquent l’interdiction de poursuivre leurs études et j’en suis éternellement reconnaissant. Je demande à chacun de faire attention et de respecter cette demande.
Je comprends qu’une telle déclaration, une telle demande est en contradiction avec mon caractère et mes déclarations précédentes; néanmoins, la situation actuelle ne me laisse pas d’autre choix. C’est sans doute une histoie d’attaques fascistes, de brutalité, de conduite inhumaine et immorale de la part d’un gouvernement qui continue de répéter que sa conduite est basée sur des enseignements moraux et divins. Bien que toute cette amertume et ces difficultés soit la faute du gouvernement en place, en m’en rendant responsable, je ne veux pas créer des conditions défavorables pour ma famille et les forcer à supporter des jours encore plus amers et difficiles. Je demande donc à tous mes amis de comprendre la situation dans laquelle nous nous trouvons, étant bien entendu que cette demande ne les empêche pas de prendre des mesures raisonnables. Je réalise qu’il nous faut critiquer des demandes extrêmes, égoïstes, indulgentes, immorales, inhumaines et mesquines mais je ne pense pas que la mienne en fasse partie. Si des mesures appropriées avaient été prises quand j’ai parlé à plusieurs reprises des pressions extrêmes exercées à l’encontre de ma famille, si nous avions agi avant l’attaque contre la résidence de ma famille, avant que mes parents malades n’aient été menacés, avant que mon frère ne soit illégalement convoqué, si seulement des mesures appropriées avaient été prises avant leurs ruses révoltantes, avant qu’ils ne nous menacent si nous ne nous taisions pas, si seulement, au lieu de nous combattre les uns les autres nous nous étions concentrés sur des campagnes efficaces, sur des rassemblements de soutien aux prisonniers et à leurs familles, si seulement….
En conclusion, je voudrais répéter que ma famille n’a pas peur de faire face à des difficulté. C’est ma demande, pas la leur. Je sais que des jours encore plus difficiles nous attendent et que nous ferons ce voyage que nous avons commencé ensemble jusqu’au bout. Ma famille, après ma seconde libération en juin 2008 m’a permis de continuer à militer. Je suis absolument certain que le soutien le plus important lors de ce voyage viendra encore de nos familles.
Si la douleur des personnes tuées et arrêtées n’avait pas torturé ma mère, si ma mère n’avait pas pleuré de douleur pour le peuple de son pays, alors, peut-être, comme certains de nos amis, j’aurais pu penser que j’en étais quitte avec mon pays et je n’aurais pas trouvé de justifications à la poursuite de mon militantisme ou à participer à des manifestations. Aujourd’hui, il y a une chose dont je suis sûr : cette mère et ce père qui m’ont toujours soutenu tout au long de ma vie continueront à le faire dans l’avenir. La seule chose que je sois à même de faire actuellement, c’est exprimer cette demande pour leur bien-être et, ce faisant, espérer que mes amis prenne ma demande en considération.
Madjid Tavakoli / Prison de Radjaï Shahr Prison
Janvier 2011
Source: http://www.daneshjoonews.com/optinion/30-articls/5174-1389-10-17-22-59-34.html
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