Je m’appelle Saïd Malekpour. J’ai été arrêté le 4 octobre 2008 près de la place Vanak (au nord de Téhéran) par des agents en civil qui n’ont pas présenté de mandat d’arrêt ou de carte professionnelle. Cette arrestation ressemblait à un rapt. Ensuite, on m’a mis les menottes, bandé les yeux et mis à l’arrière d’une berline. Un agent corpulent pesait sur moi de tout son poids : il m’avait posé le coude sur mon cou, m’obligeant à garder la tête penchée pendant tout le voyage. Ils m’ont transféré dans un endroit inconnu qu’ils appelaient le « local technique ». A notre arrivée, quelques agents m’ont sévèrement battu et m’ont maltraité verbalement alors que j’étais toujours menotté et les yeux bandés. Ils m’ont forcé à signer quelques formulaires sans que je puisse les lire. J’ai eu mal au cou pendant plusieurs jours et j’avais le visage gonflé par les coups de poing, de pied et les gifles que j’avais reçus. Le soir même, j’ai été transféré au bloc 2-A d’Evine. J’ai été placé dans une cellule individuelle qui mesurait 2m x 1.7m. Je ne pouvais quitter ma cellule qu’à heures fixes deux fois par jour pour prendre l’air, mais dès que je quittais la cellule, on me bandait les yeux. Je n’avais le droit de retirer le bandeau qu’à l’intérieur de la cellule.
J’ai passé 320 jours (du 4 octobre 2008 au 16 août 2009) à l’isolement sans livres, sans journaux, sans aucun contact avec le monde extérieur. Dans la cellule, il n’y avait qu’un Coran, une carafe d’eau, 3 couvertures et un « mohr » [les chiites prient en posant le front sur un morceau de terre appelé « mohr » en Iran]. Je suis resté au bloc 2-A avec des compagnons de cellule pendant 124 jours, jusqu’au 21 décembre 2009. Je n’ai jamais eu droit aux visites hebdomadaires de ma famille durant toute ma détention. Durant mes 444 jours de détention au bloc 2-A, je n’ai eu droit qu’à un nombre limité de visites de ma famille et toujours en présence d’un garde révolutionnaire. Il y avait toujours des agents présents durant ces visites. Je n’ai jamais eu droit aux visites hebdomadaires. Le personnel de la prison et ceux qui m’interrogeaient, écoutaient tous les appels téléphoniques que j’ai pu faire. A chaque fois que je discutais du contenu de mon dossier avec ma famille, la ligne était coupée. Pendant les 444 jours que j’ai passés au bloc 2-A, ma vie était constamment menacée et je ne me suis jamais senti en sécurité.
Le 21 décembre 2009, on m’a de nouveau transféré à l’isolement, cette fois au bloc 240 de la prison d’Evine. Je suis resté 48 jours, jusqu’au 8 février 2010, dans la solitude et isolé de force du monde extérieur. Depuis le 8 février 2010, j’ai été détenu dans des cellules communes d’Evine, d’abord au bloc 7 puis au bloc 350. Jusqu’à ce jour, j’ai passé 12 de mes 17 mois de détention à l’isolement et je n’ai pas été autorisé une seule fois à rencontrer mon avocat. Durant tout ce temps et plus spécifiquement durant les premiers mois j’ai subi différentes sortes de torture physiques et psychologiques de la part de l’équipe de « cyber contre-attaque des gardes révolutionnaires ». Certaines tortures ont eu lieu en présence de Mr. Moussavi, le magistrat en charge du dossier. Une grande part de mes aveux m’a été extorquée sous la pression, les tortures physiques et psychologiques, les menaces à mon encontre et à l’encontre de ma famille, sous les fausses promesses de libération immédiate si j’avouais frauduleusement tout ce que ceux qui m’interrogeaient me dictaient.
Je dois ajouter que mes aveux au magistrat ont été extorqués en présence de ceux qui m’interrogeaient. Pour m’empêcher d’informer le magistrat que mes aveux avaient été obtenus sous la torture, ceux qui m’interrogeaient m’avaient menacé d’exercer à mon encontre, des tortures encore pires. Quelquefois, ils me menaçaient d’arrêter mon épouse et de la torturer devant mes yeux. Durant les premiers mois de mon incarcération, on m’interrogeait à des heures diverses, le jour comme la nuit. Les interrogatoires s’accompagnaient de tabassages sévères. Les interrogatoires avaient lieu soit dans le « local technique » à l’extérieur de la prison soit dans le bureau des interrogatoires du bloc 2-A.
La plupart du temps, j’étais torturé par un groupe. J’étais menotté, j’avais les yeux bandés et plusieurs individus armés de câbles, de matraques et de leurs poings me frappaient. De temps en temps, ils me fouettaient la tête et le cou. Ces mauvais traitements avaient pour but de me contraindre à écrire ce que l’on me dictait et à me forcer à jouer un rôle qu’ils avaient défini dans leurs scénarios devant une caméra. Quelquefois, ils utilisaient des chocs électriques très douloureux qui me paralysaient pour un temps. Une fois, en octobre 2008, on m’a déshabillé alors que j’avais les yeux bandés et on m’a menacé de me violer avec une bouteille d’eau.
Un de ces jours-là, j’avais le visage gonflé à force d’avoir été frappé à coups de pied et de poing, d’avoir eu le visage et la tête flagellé par les câbles. J’ai perdu conscience plusieurs fois et à chaque fois on me réveillait en m’aspergeant le visage. Cette nuit-là, on me rentra en cellule. A la fin de la nuit, j’ai compris que je saignais de l’oreille. J’ai frappé à la porte de ma cellule mais personne n’est venu. Le lendemain, j’avais le corps à moitié paralysé et je ne pouvais plus bouger ; on m’a emmené au dispensaire d’Evine. En voyant mon état, le médecin a souligné qu’il fallait m’hospitaliser. Mais on m’a reconduit en cellule où je suis resté seul jusqu’à 9 heures le lendemain. Trois gardes ont fini par m’emmener à l’hôpital Baghiatollah. En route vers l’hôpital, les gardes m’ont dit que je n’avais pas le droit de donner mon vrai nom et m’ont ordonné d’utiliser le pseudonyme de Mohammad Saïdi. Ils m’ont menacé de me torturer sévèrement si je n’obéissais pas.
Avant l’examen médical, l’un des gardes rencontra le médecin dans la salle des urgences ; je n’y suis rentré que quelques minutes plus tard. Sans aucun examen, radio ou test, le médecin déclara que c’était un problème de stress. Il rédigea son rapport médical et me prescrit quelques pilules. Quand je lui demandai d’au moins me nettoyer l’oreille, le médecin répondit que cela n’était pas nécessaire. On me ramena au centre de détention avec le caillot de sang dans l’oreille. Pendant 20 jours, la partie gauche de mon corps est restée paralysée, je ne contrôlais presque plus mon bras gauche et les muscles de mes jambes. J’avais également du mal à marcher.
Le 24 janvier 2009, après avoir été sévèrement battu, l’un de ceux qui m’interrogeaient à menacer de m’arracher une dent avec des pinces. J’avais une dent cassée et la mâchoire déplacée après avoir reçu des coups de pied dans la figure. Mais les tortures physiques n’étaient rien comparées aux tortures psychologiques. J’ai supporté longtemps l’isolement (plus d’une heure au total) sans appels téléphoniques, sans visiter mes proches, sous la menace constante de l’arrestation et de la torture de mon épouse et de ma famille et, si je ne coopérais pas, sous la menace d’être tué. On me donnait également des nouvelles erronées de l’arrestation de mon épouse. Ma santé mentale était sévèrement menacée. Je n’avais accès à aucun livre, à aucun journal dans mes cellules individuelles et, de temps en temps, je ne parlais à personne pendant des jours.
Les privations et la pression psychologique sur ma famille et moi étaient telles qu’à la mort de mon père le 16 mars 2009 et bien que les autorités étaient parfaitement au courant de son décès, ils ne me l’ont pas dit pendant 40 jours. C’est lors d’un entretien téléphonique (surveillé) de cinq minutes avec ma famille que j’ai appris le décès de mon père.
Massoud, un de ceux qui m’interrogeaient, éclata de rire et se moqua de moi quand il me vit pleurer la mort de mon père. Malgré mes supplications, on ne m’a pas autorisé à assister à la cérémonie en mémoire de mon père. En plus des tortures psychologiques, l’équipe de ceux qui m’interrogeaient au sein des gardes révolutionnaires ont, contrairement à la loi et aux principes religieux, retiré des fonds avec ma carte de crédit. Ils possèdent également mon compte Paypal ; je ne sais pas ce qu’ils en ont fait.
Un autre exemple de torture psychologique : me forcer de jouer le rôle dicté par les gardes révolutionnaires devant une caméra. L’équipe qui m’interrogeait m’avait promis que ces films ne seraient jamais diffusés à la télévision, qu’ils ne seraient montrés qu’aux autorités du régime pour augmenter le budget du projet « Gerdab ». Mis j’ai découvert ultérieurement que ces films avaient été diffusés à plusieurs reprises par la télévision d’état le septième jour après les funérailles de mon père, ce qui a causé une grande douleur à ma famille. Certains des aveux extorqués étaient si ridicules et de si grande portée qu’ils étaient tout bonnement impossibles.
Par exemple, on m’a demandé d’avouer faussement avoir acheté un logiciel au Royaume-Uni puis de le poster sur mon site web pour le vendre. J’ai été contraint d’ajouter que, si quelqu’un visitait mon site web, le logiciel s’installerait sur son ordinateur à son insu et qu’il prendrait le contrôle de sa Webcam, mais si elle est éteinte. Je leur ai bien dit que ce qu’ils suggéraient était impossible d’un point de vue technologique mais ils m’ont répondu que je n’avais pas à m’inquiéter de ces choses.
On m’a promis, en présence du magistrat chargé du dossier, que si je participais à leurs faux aveux télévisés, je serais mis en liberté conditionnelle ou sous caution jusqu’à mon procès. On m’a aussi promis que je bénéficierai de la bienveillance du procureur. On m’a promis que je serai condamné au maximum à deux ans de prison. On m’a fait toutes ces promesses à plusieurs reprises et pourtant, à la fin des sessions d’enregistrement, ils n’en ont honoré aucune.
D’après tout ce qui précède, j’ai été sujet à différentes sortes de tortures psychologiques et physiques en violation avec les sections 1-9, 14-17 et l’article 1 du « décret d’interdiction de la torture » voté par le parlement en 2004. Suivant l’article 4 du décret, les aveux que j’ai faits ne sont pas recevables et j’ai fait la majorité des ces aveux pour alléger les pressions exercées sur ma famille et mes amis.
Au bout de 17 mois de détention « provisoire » je suis encore dans le flou. Je n’ai jamais été autorisé à rencontrer mon avocat. En raison de l’épaisseur de mon dossier et de la nature des accusations à mon encontre, j’ai besoin d’un expert en informatique agréé par la justice qui puisse être en contact avec mon avocat. J’ai également besoin d’un endroit équipé techniquement (avec accès à Internet) pour préparer ma défense. Je demande donc que ma demande de libération sous caution soit acceptée et que l’on me fournisse ce que j’ai demandé ci-dessus.
Saïd Malekpour
13 mars 2010
Source : http://www.rahana.org/en/?p=1965
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