samedi 18 février 2012

Nous faisions attention. Pour Mehraveh, Kiana, Nima, Ali *, et …../Mansoureh Shojaee Jeudi 16 février 2012


 Feminist School 

C’était un soir de novembre en 2011, j’ai appelé Mehraveh pour son anniversaire. Je voulais lui demander si elle avait réussi à parler à sa mère en tête à tête  des choses que les petites filles qui deviennent adolescentes meurent d’envie d’évoquer, mais en fait, je lui ai dit que, si elle avait besoin de vitamines, elle me le dise. A plusieurs reprises, au cours de notre courte conversation, j’ai senti la nécessité de lui dire que, lors d’une nuit de solitude et ressentant l’étrangeté du franchissement d’une frontière, au seuil de la ménopause, j’avais pensé à elle et à ce qu’elle ressentait, elle qui entrait dans la féminité ; mais je n’ai prononcé que des mots inappropriés et je l’ai questionnée sur son passé. Ses réponses n’étaient pas encore assez féminines.

C’était une nuit du début de l’été 2010, je m’étais rendue à l’hôpital Iran-Mehr pour rendre  visite à mon amie Nargues Mohammadi. Elle gisait à demi consciente sur son lit. Il me semblait qu’elle voulait parler. Je me suis approchée, je me suis penchée pour mieux l’entendre. Elle pouvait à peine parler. « J’ai donné naissance à Kiana par césarienne, j’ai le  ventre couturé de points de sutures mais quand je l’ai tenue dans mes bras, la chaleur de son petit corps à versé un baume apaisant sur mes blessures. Quand j’ai été opérée puis quand je suis sortie de l’hôpital avec tant de points de sutures sur mon petit ventre, je n’avais pas pu rester avec elle et apaiser ses blessures. Cette nuit-là, j’avais été arrêtée. J’ai du laisser seule ma petite fille et partir pour la prison… » Avant de s’évanouir complètement, elle a répétée plusieurs fois : « Je n’ai pas fait attention. » Je voulais lui dire qu’elle n’avait pas été inconsidérée, il y a beaucoup de « Khoullies (1) dans nos histoires, mais j’ai dit quelque chose de différent ; j’ai essayé de la calmer et de l’apaiser et lui disant mon amour et mon admiration pour elle. Mes mots affectueux n’ont pas suffi à calmer son âme blessée et perturbée, mais ont fait couler mes propres larmes !
Une vue de loin de deux tableaux, enfant et mère et mère et enfant.

Tableau # 1

Une adolescente et son besoin de sécurité apaisé par la poitrine de sa mère, pleine d’amour et de compassion.

Dans ce tableau on voit l’image de beaucoup d’enfants semblables à Mehraveh qui sont seuls, empêchés d’avoir l’amour maternel dont ils ont besoin.

Du point de vue idéologique, cette séparation n’est pas attristante. On peut même la considérer comme honorable. La plupart du temps, des tantes, des oncles et d’autres membres de la famille remplissent le vide créé par l’absence et essaient de compenser par plus de soin et d’attention. Mais ce sont les droits de l’enfant qui sont violés, son droit à une sûreté et une sécurité inconditionnelle procuré par la présence de sa mère. Mais qu’est-ce qui pourra remplacer les causeries féminines des mères à leurs jeunes filles à la veille de devenir des femmes ?

Quelques sincères et aimantes ces attentions puissent être, elles ne seront pas d’un grand secours. La famille et les amis expriment leur amour, ils prennent soin de Mehraveh ; mais elle a peut-être besoin de quelque chose de plus, quelque chose comme de la discipline et des conseils aussi. En fait, trop d’amour et de compassion peut également causer la confusion.

Je ne semble pas très bien dans ce tableau. Déjà diminuée par l’éloignement de ma propre famille et de mon cercle d’amis, j’ai vite posé à Mehraveh des questions diverses. Elle a répondu à toutes de façon si sage et même tempérée que j’en ai été embarrassée.

Mais ce qui est le plus ennuyeux est le jugement porté sur ses mères emprisonnées. «  Une mère qui était toujours dans une cage de verre » disait Guita, une des enfants dont la mère était en prison dans l’horrible période des années 80. Bizarrement, certains de ces jugements proviennent des commentaires doux et quelquefois humoristiques d’amis et de membres de la famille qui voulaient soulager le fardeau de la tristesse.

Quand le prisonnier est le père et qu’il a recours à une grève de la faim pour que ses droits fondamentaux soient respectés, la société ne souligne jamais son rôle ou ses responsabilités de père envers sa famille. On ne leur a jamais demandé d’arrêter leur grève de la faim à cause de leurs obligations familiales. Mais quand il s’agit d’une femme emprisonnée, on leur rappelle toujours qu’elles ont d’autres devoirs et obligations en plus de leurs causes politiques…. Comique, non ?

Quand Nasrine Sotoudeh a eu recours à la grève de la faim ou lorsqu’elle a refusé d’utiliser ses droits de visite uniquement pour protester contre la violation de ses droits, même en temps que prisonnière, on a poussé les grands cris, on l’a jugée pour lui rappeler son rôle de mère et la préséance de ce rôle sur sa lutte politique ou pour les droits humains.

Même si Mehraveh a été éduquée par des parents comme Nasrine Sotoudeh et Reza Khandan, elle n’était ni assez jeune pour ne pas être affectée par ces jugements, ni assez âgée pour arriver à sa propre analyse des faits. Je me demande ce qui arrive à des enfants comme Mehraveh. Que ressent-elle quand elle entend ces sortes de critiques de sa mère qui n’a pas abandonné ses droits pour sa fille ?

La personnalité de Nasrine Sotoudeh, que ce soit en tant que mère ou que de militante, est unique par ses nobles valeurs. Seuls ceux qui possèdent ces vertus de tolérance, de morale et d’amour de la liberté peuvent reconnaître et apprécier sa vraie valeur. Mais dans cette société injuste où la mère et l’enfant sont également ignorés, les enfants de Nasrine bénéficient-ils d’un quelconque des droits des enfants que la convention des droits des enfants leur octroie ? Jusqu’à quel point les institutions qui défendent les enfants auraient-elles pu soutenir les Nasrines et les Mehravehs dans leurs épreuves ? Ces institutions n’auraient-elles pas du protester contre l’emprisonnement de Nasrine comme une sorte de violation contre les droits de ses enfants ? Et ne devraient-elles pas commencer un mouvement sérieux pour empêcher de telles violations ?

Second Tableau

La séparation tragique de Nargues Mohammadi d’avec son enfant malade, sa maladie grave non déterminée, son sentiment de culpabilité causé par la cruauté des forces de sécurité, la conduisaient au bord de la folie.

Une mère contrainte de quitter son enfant malade pour aller en prison, une mère qui a passé des nuits noires et horribles dans la solitude de l’isolement, s’inquiétant pour sa fille, doit totalement se mobiliser pour tout juste arriver à supporter le poids de telles pressions. Et pourtant, le corps ne pouvait pas supporter le poids énorme de toutes ces pressions. On ne peut imaginer de tels tableaux que lorsque de cruels chasseurs sans pitié pour la gazelle solitaire et terrorisée piège sa mère. Comment les défenseurs des droits des enfants peuvent-ils être témoins de telles scènes de chasse sans réagir, sans en être affectés ?

Quand Nargues est rentrée chez elle, elle était totalement malade, de corps et d’âme. Comment a-t-on pu la séparer de son enfant malade, au moment le plus délicat pour toutes les deux ?

Sans parler des droits des enfants, qu’est-il arrivé à Nargues dans ce tableau ? La séparation de ses enfants ajoutée aux pressions régulières que l’on doit supporter en prison, exacerbées par les commentaires et les jugements injustes que l’on lui jetait à la tête, étaient si écoeurants qu’après sa libération de prison, il ne reste de Nargue qu’un corps tremblant et une âme broyée. Et maintenant, elle doit accomplir ses devoirs maternels et familiaux en plus de ses engagements humanitaires et sociaux.

Dernier Tableau, l’image éternelle

Pendant des années, les femmes et les mères qui cherchent l’égalité, empêtrées dans un réseau d’ « étourderie » ont suivi un chemin difficile vers un « monde attentif », portant les croix de la féminité, de la maternité et du militantisme  toutes seules sur leurs frêles épaules, avec calme et patience. Et cela fait des années que les enfants des prisonnières luttent sans arrêt contre la propagande hostile, visant à détruire l’image qu’ils se font de leurs mères, et qu’ils tentent de décrire l’image de leur propre mère par eux-mêmes. Ce qui ressemble à l’image d’un « petit paria triste » ; chaque nuit, on l’envoie dormir avec un gentil baiser ; dans les labyrinthes de ses contes, il tente d’atteindre le même chemin difficile ; à chaque pas, il revit l’expérience de sa mère, un tout petit peu plus loin et ils construisent leur propre monde.

*:Mehraveh et Nima sont les enfants de Nasrine Sotoudeh ; Ali et Kiana sont les enfants de  Nargues Mohammadi.
1) Equivalent de notre croquemitaine, une personne très cruelle qui s'attaque aux enfants pour les tuer. 

Source : http://www.feministschool.com/english/spip.php?article482

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