dimanche 1 juillet 2012

Téhéran lance le Centre pour les Mariages Temporaires – Kaveh Ghoreishi – 30 mai 2012


« Centre officiel pour le mariage temporaire de Téhéran » ; tel est le nom d’un nouveau site lancé pour promouvoir le concept de « sigheh », un mariage temporaire accepté par le chiisme. Ces dernières années, des dizaines de sites similaires ont vu le jour, ayant tous pour but de faciliter les mariages temporaires ; ils avaient tous un permis officiel.

L’article 1075 du code civil iranien accepte les mariages temporaires. Les conditions pour obtenir un acte de mariage temporaire sont les mêmes que celles d’un mariage permanent ; s’y ajoute la durée du mariage et le montant versé à la femme en dédommagement. Les limites du mariage temporaire sont les mêmes que celles d’un mariage permanent. Ces sites donnent des informations sur leurs membres aux candidats qui s’enregistrent en ligne et aident à établir ces relations. Bien que beaucoup de ces sites aient été enregistrés auprès du ministre de la guidance islamique et d’autres organismes appropriés pour légaliser complètement leurs activités, ils sont parfois critiqués par des officiels du gouvernement. 
Exemple le plus récent, le 30 mai, l’agence de presse Mehr a rapporté que le ministère de la guidance islamique avait déposé plainte contre le site « sigheh in cyberspace » ; il a envoyé tous les détails au comité spécial qui étudie les violations aux technologies d’information.

Même si la reconnaissance légale de ces mariages temporaires est aujourd’hui un fait, le concept continue à avoir ses opposants. Seyyed Mohammad-Ali Moussavi-Mobarakeh, membre du comité des affaires sociales du parlement, défend le sigheh du point de vue des principes religieux mais ajoute que le lien entre le concept et les édits religieux n’existe plus, le mariage temporaire contribue en fait à briser le mariage. Darioush Ghanbari, membre du même comité, accepte le mariage temporaire « sous certaines conditions » et croit également que les sites Internet qui aident aux mariages temporaires affaiblissent la famille en tant qu’institution. Mais les plus farouches critiques des mariages temporaires ne viennent pas des officiels ni des députés mais des féministes. Asieh Amini, journaliste et féministe est l’une d’elles. Rooz en a parlé avec elle ; elle qualifie le dispositif « d’inégal » et ajoute qu’il ajoute encore à la discrimination contre les femmes. Voici des extraits de l’interview.

Rooz : Nous voyons une augmentation du nombre de sites de « mariages temporaires » ces dernières années et ils semblent être beaucoup consultés. Qu’en pensez-vous, en tant que féministe et défenseur des droits des femmes ?

Amini : Avant d’étudier le point de vue féministe, j’aimerais noter le mot que vous utilisez pour ce dispositif : mariage temporaire. Souvenons-nous de la raison qui a poussé différentes civilisations à accepter le mariage. Pourquoi les hommes et les femmes s’engagent-ils dans une relation matrimoniale ? La seule raison rationnelle qui pousse à penser à une vie commune en en acceptant les difficultés c’est le but de fonder une famille. Par difficultés, j’entends les cadres et les règles qui s’imposent quand on s’y engage. Qu’est-ce qui peut justifier le mariage temporaire dans notre société ? Un mariage temporaire n’est rien d’autre qu’un dispositif sexuel. Cette relation contient aussi habituellement un acte d’achat et de vente. Son aspect temporaire signifie qu’il exclut la fondation d’une famille. Donc, la fondation d’une famille, qui peut être la raison principale du mariage, ce qui, dans une société comme la société iranienne implique également le caractère sacré, n’existe pas dans le mariage temporaire.

L’autre question, bien sûr, est qui a recours au mariage temporaire. Une femme ayant sa propre famille peut-elle utiliser ce type de dispositif pour répondre à ses besoins sexuels ? Evidemment, non. Mais les hommes ayant leurs propres familles le peuvent et ce dispositif leur permet de satisfaire occasionnellement leurs fantasmes sexuels.

La question suivante est de savoir si une femme seule qui se tourne vers le sigheh a vraiment le choix, le sigheh, est-ce un engagement émotionnel pour elle ? Vous avez mentionné une augmentation du nombre de sites Internet dédiés au sigheh ; si vous vous connectez, vous verrez qu’ils ne portent aucune attention à l’émotion. Il se peut que des liens émotionnels se développent lors de relations sexuelles lors de sigheh de longue durée. Mais en tout cas, les relations émotionnelles ne sont pas la principale raison de recourir au sigheh.

Donc, d’un point de vue féministe, le sigheh est une relation discriminatoire entre un homme marié et une femme. Le sigheh créée un vide dans les relations personnelles et les réduisent à des relations sexuelles. En fait, le sigheh est un moyen de satisfaire librement les besoins sexuels auquel on a donné une onction religieuse. En un sens, c’est du trafic d’êtres humains, la vente d’un corps. Dans une société ou la vente et l’achat de relations sexuelles libres sont niées pour des raisons religieuses ou même médicales, le sigheh, qui est la forme la plus libre des relations sexuelles et qui constitue, en un certain sens, une transaction entre individus, est permis, on le défend même.

N’oublions pas que l’une des raisons les plus importantes pour lesquelles les femmes ont recours au sigheh est la pauvreté et les nécessités économiques. Il y a bien sûr aussi les besoins sexuels. Mais dans toutes ces raisons, il y a le besoin, ce qui n’est pas le cas pour les hommes. Il faut faire une distinction entre les hommes mariés et les célibataires. Pour les hommes mariés, il y a la possibilité financière et les fantasmes. Les célibataires veulent des relations sexuelles, comme tous les hommes. Mais le sigheh, qui ne comporte pas de dimension émotionnelle, est-ce la solution à ce besoin ?

De ce qui précède, on peut dire que le sigheh est une relation sexuelle inégale entre un homme et une femme. Les femmes qui y ont recours le font poussées par la pauvreté ; elles sont les victimes à plusieurs niveaux de ce système déséquilibré.

Rooz : Mais certains soulignent la banalité des relations sexuelles en occident pour justifier le sigheh et en font même une partie des libertés individuelles.

Amini : Tout d’abord, ce n’est pas le cas dans tous les pays occidentaux. Par exemple, en Norvège, l’achat de prestations sexuelles est totalement interdit, quelles que soient les conditions. Mais pourquoi l’occident ? Le simple fait que l’achat et la vente de prestations sexuelles soient libres dans certains pays ne signifie pas que cela soit bien ou mal. La liberté des relations sexuelles est un autre point. Elle existe en l’occident et peut servir de critère. C’est une affaire personnelle soumise à certaines règles et qui n’est pas basée sur un accord achat/vente. Dans ces sociétés, les relations sexuelles résultent normalement de relations émotionnelles, et ces relations émotionnelles ont-elles aussi leurs propres règles. Dans un pays comme la Norvège, il existe des engagements éthiques, légaux et économiques pour que deux personnes vivent sous le même toit, même en dehors des liens du mariage et en dehors de tout cadre religieux, contrairement au sigheh en Islam. 
L’achat/vente du sexe dans certains pays occidentaux est le produit de situations économiques inégales subies par beaucoup de femmes. Beaucoup de celles qui s’y engagent le font par nécessité économique.

Rooz : Certains experts sociologistes et même des députés ont dit que le sigheh affaiblit la famille en tant qu’institution. Quelles sont les relations entre les deux ?

Amini : Pour commencer, je voudrais dire que je ne considère pas le mariage comme une institution divine. C’est une institution sociale qui doit aider les relations sociales humaines. La famille est la première victime du sigheh. Incidemment, la famille est considérée comme une institution divine en Iran. Les lois régissant la famille en république islamique d’Iran sont la base légale de relations inégalitaires entre les hommes et les femmes. (Je ne parle pas ici des exceptions que les individus créent par eux-mêmes mais de la loi en tant que telle.) Une femme dont le mariage est enregistré accepte sans conditions les premières discriminations légales. Elle abandonne son droit au divorce, le droit de garde de ses enfants, le droit de travailler et beaucoup d’autres droits en échange du cadre appelé famille. Une femme qui abandonne ces droits dès le début de son mariage et qui par la suite se voit imposer un sigheh se voit dépouillée d’encore plus de ses droits. Je répète donc que le sighe est l’un des facteurs qui affaiblissent la famille. J’ai entendu dire, je l’ai même lu, que des femmes très croyantes acceptaient le sigheh à cause de sa sainteté et de sa légalité et le défendaient même. Mon point de vue n’est pas basé sur la charia mais même s’il l’était, je croirais quand même que ces dispositifs, ces relations la blessent. 

Les membres d’une famille ne sont pas les passagers d’un bus qui n’ont pas de relations émotionnelles. Quand je parle d’une famille, je veux dire des gens qui vivent ensemble en se respectant et qui éprouvent des sentiments les uns pour les autres. Quelle femme accepterait que son partenaire achète le corps d’une autre femme ? Laissons de côté les hommes et les femmes. Quelle personne accepterait un tel dispositif ?

Rooz : Qu’ont fait les féministes iraniennes récemment pour empêcher ce dispositif ?

Amini : Tout d’abord, les féministes ne sont pas censées faire des miracles. Le déséquilibre entre les sexes dans notre pays existe à cause de l’ordre mâle chauviniste et il ne disparaitra pas uniquement par les recherches des féministes, ni même par leurs luttes sociales et civiques. On peut certainement informer pour de futurs plans. Vous remarquerez que le pourcentage des sexes dans notre démographie a été perturbé après la guerre qui a duré huit ans, par l’émigration forcée et d’autres raisons encore. Ces maux sociaux ne peuvent pas être résolus par le seul militantisme féministe. Les causes en proviennent d’une multitude de raisons.

Mais revenons au sigheh. Le meilleur exemple d’opposition a été la critique de la loi de la famille. Ce qui a par ailleurs aidé à la formation d’une grande coalition de femmes. Le mouvement féministe a travaillé à informer sur la discrimination légale instaurée par la loi. Je crois que la plupart des informations que nous avons obtenues à ce sujet émane des féministes. Les autres aspects du problème du sigheh sont les déséquilibres économiques, la ségrégation des sexes et la perturbation de l’équilibre des sexes dans notre démographie. Depuis des années, notre pays a subi l’affrontement entre la tradition et la modernité en ce qui concerne le développement économique et est donc aux prises avec les contradictions sociales. Ces problèmes peuvent être clairement définis par les théories féministes, mais le mouvement des femmes ne peut pas les résoudre seul.

Les députés voient dans le sigheh une solution à certains problèmes sociaux, ce qui soulève des centaines de problèmes dont on ne parle jamais. Combien de fois les femmes doivent-elles être victimes de ce processus chauviniste mâle ? Le sigheh est la suite de ce processus.

Rooz : Si la prise de conscience produit un changement de la loi, verrons-nous encore ce dispositif s’étendre ?

Amini : Je ne crois pas personnellement que rendre les gens conscients des problèmes soit le seul but des féministes. Aujourd’hui, nous parlons des problèmes. Dans la situation actuelle, il n’existe pas de parti politique typiquement féminin et les groupes féministes ne tiennent pas trop à s’engager dans des activités politiques, ils préfèrent se cantonner qu domaine social, ce qui ne veut pas dire qu’il faille fermer la porte du dialogue et de la critique avec les politiciens car si elle est fermée, alors nous ne pourrons rien mettre en œuvre. La loi et la planification ne sont qu’une partie du problème. Regardons ce que le président pensait de la réduction des différences entre les sexes il y a huit ou dix ans et voyez les progrès accompli à ce jour. Nous avons en fait régressé.

Alors, les lois seules ne peuvent nous aider à résoudre le problème. Les traditions sociales, les institutions comme le parlement, le gouvernement, la société civile, les médias, la famille et d’autres encore font partie de ce casse-tête. Je crois que la seule société capable de réduire la différence qui existe en les sexes est celle qui pourra créer de l’harmonie et de la collaboration entres les pièces du puzzle. Et c’est précisément ce qui nous manque.

Source : http://www.roozonline.com/english/news3/newsitem/archive/2012/may/30/article/concubism-the-product-of-discrimination-and-inequality.html

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