Tandis que vous lisez cette lettre, moi, Sarang Etehadi, j’ai quitté mon domicile avec un petit sac, pour me rendre en prison pendant un an. Les lumières sont éteintes et la bouilloire sur le poêle est vide et froide. Les fenêtres sont fermées et les rideaux tirés. L’odeur de cuisine, l’humidité agréable du rafraichisseur d’air pendant les chaudes heures de midi en été ont été remplacées par la touffeur de l’air humide des coupures d’électricité.
Tandis que vous lisez cette lettre, je suis là, derrière les barreaux, accusé du crime d’être bahaï, coupable de pensée différente, comme tant d’autres accusés de crimes variés. Je ne connais pas les dimensions de ma future cellule ou bien si elle sera claire. Je ne sais pas qui y sera ni ce qu'il adviendra de moi. Mais je sais bien que personne ne m’attend à la maison parce que mon épouse, Nassim est déjà à Evine ; elle a commencé à purger sa peine avant moi. Je pense à elle ; au lieu d’être chez nous, elle se trouve dans une des cellules de cette même prison, loin de la mienne, sous les mêmes chefs d’accusation que moi, toujours aussi injustes et inéquitables.
Tandis que vous lisez cette lettre, j’ai peut-être les yeux fermés, assis au fond de ma cellule, pensant à ma ville, une ville que moi et Nassim aimons, et aussi à notre maison aux lumières éteintes. J’ai probablement le cœur lourd dans le noir ; je me languis du soleil qui est probablement rare en prison.
Je ne veux pas m’imaginer ma ville où les lumières s’éteindraient une à une alors que la prison se remplirait. Je voudrais voir une ville inondée de soleil avec des vêtements colorés fraîchement lavés étendus pour sécher. Une ville qui appartiendrait à tous ses habitants, où les grands-pères s’amuseraient dans les parcs, où les classes seraient pleines de cahiers et de stylos parfumés, pleines d’enfants et de parents, où on ne poserait aucune question sur les convictions des autres. Là, au fond d’une cellule, je voudrais imaginer ma ville en des temps meilleurs, des temps où personne ne serait cité à comparaître pour ses convictions quelqu' elles soient, avec le bruit des rires dégoulinant des fenêtres.
Tandis que vous lisez cette lettre, il serait bon que, vous aussi, vous fermiez les yeux et imaginiez la même ville. Une ville où personne ne serait détenu pour le crime de pensée différente. Dans cette ville, les lumières de chez nous sont allumées, les rideaux sont ouverts et l’odeur du thé fraîchement infusé a rempli l’atmosphère. Nassim est assise sur le canapé ; elle lit un livre. Elle ne me manquera sans doute plus puisque je serai assis près d’elle. Là, au fond de la cellule, j’imagine le sourire de Nassim et le soleil me manque. Ma belle ville, la ville que je n’ai jamais voulu quitter, même si, de toute son immensité, il ne me reste qu’une petite cellule. Une ville dans laquelle je resterai jusqu’à ce qu’elle m’offre une maison aux lumières allumées, habitée d’un sourire amical.
Moi, Sarang Etehadi, je garderai l’espoir durant chacune de mes trois cent soixante-cinq jours en prison, l’espoir que chacune de ces journées sera une étape vers un monde où la tolérance, la compréhension mutuelle et l’amitié remplaceront la violence, la revanche et l’intimidation. Un monde où personne ne sera questionné sur ses convictions ou emprisonné à cause de ses convictions. Un monde où chacun aura sa place sur les bancs d’étude, un emploi pour gagner sa vie, et un lieu pour reposer en paix après sa mort. Un monde où les formulaires ne comporteront plus de question « religieuse », où on n’expulsera plus des emplois ou des universités, où aucun cimetière ne sera plus démoli. Un monde où tous les habitants de la ville auront leur part de soleil. Ce monde viendra, c’est sûr, et le ciel de cette ville sera le témoin de nos rires. J’en suis absolument sûr. Tandis que vous lisez cette lettre, même de l’endroit où je me trouve, au fond de cette cellule, j’imagine votre sourire plein d’espoir. Moi aussi je vous sourirai, avec tout mon espoir, dans l’attente de vos actions, dans le monde entier, jusqu’au jour, qui n’est pas si lointain, où nous rentrerons tous chez nous pour rallumer les lumières et faire régner la clarté pour toujours.
Source : http://iranwire.com/blogs/6272/6075/