dimanche 5 juin 2011

Haleh Sahabi, un grand coeur fragile

Article préparé par IsaVodj (Twitter

Les régimes répressifs ont la particularité de confiner les individus à la sphère de la vie privée en leur déniant tout accès aux débats politiques et à la vie civique. C'est ce que constatait Mir Hossein Mousavi dans un des communiqués publié sur le site Kaleme en 2009, au lendemain des élections controversées de 2009 où il avait été évincé de la présidence suite à des fraudes électorales. Ce qui s'est produit le 1er juin 2011 à Téhéran, aux funérailles de Ezzatollah Sahabi, importante figure politique de la première décennie de la révolution islamique, illustre parfaitement ce constat.

Haleh Sahabi est morte le 1er juin 2011 d'un arrêt cardiaque pendant les obsèques de son père. Selon les autorités, la mort de Haleh Sahabi serait imputable à la chaleur et au fait qu'elle avait le coeur fragile. A les entendre, il s'agirait d'un banal fait divers : circulez, il n'y a rien à voir. 

Ezzatollah et Haleh Sahabi 


Des faits controversés

Pourtant, selon plusieurs témoins (au nombre desquels l'oncle de la victime), Haleh Sahabi aurait été bousculée et frappée par la police au moment de la levée du corps, alors qu'elle se préparait à prendre la tête du cortège funèraire composé de quelques centaines d'amis et parents. L'altercation se serait produite au domicile du défunt, quand les forces de l'ordre se saisissaient du cercueil, vraisemblablement dans le but de couper court à la procession, ce à quoi Haleh Sahabi aurait tenté de s'opposer car cet honneur revient en principe aux proches. Le portrait de son père que Haleh Sahabi portait placardé sur la poitrine lui a été arraché et déchiré. Halah Sahabi est alors tombée et ne s'est jamais relevée. Une fois au sol, elle aurait encore été bousculée par les forces de l'ordre dont la priorité était de s'emparer du cercueil. Aux urgences, les médecins n'ont pu que constater sa mort. La médecine légale prétend qu'elle ne portait aucune trace de coups ou blessures, mais un urgentiste affirme qu'elle avait des côtes enfoncées. Bien entendu, le directeur général de la police de Téhéran nie ces allégations et affirme que "la famille a très bien coopéré avec nous, et nous avons aidé la famille Sahabi pour les funérailles" (ISNA). 

Quoi qu'il en soit des controverses sur le déroulement de l'incident, on peut se demander ce qui justifiait une présence aussi massive de la police à des funérailles que les autorités veulent à tout prix faire passer pour un ordinaire fait privé. Car là dessus, tout le monde est d'accord : la presse conservatrice comme la presse d'opposition souligne "la présence évidente des forces de police" aux obsèques* (Tabnak) et certains témoins se disaient même un peu perdus dans cet étalage bariolé de polices et milices de toutes sortes. En quoi un enterrement privé regarde-t-il les forces de l'ordre? Il paraît que la police voulait aider. Mais depuis quand est-ce que polices et milices poussent la sollicitude jusqu'à s'improviser comme préposés aux pompes funèbres? On demande à voir...

Ezzatollah Sahabi 


Ezzatollah Sahabi 

Il faut en particulier souligner le fait que la famille Sahabi comptorte une remarquable lignée de politiciens. Yadollah Sahabi, le père d'Ezzatollah Sahabi, avait été avec Mehdi Bazargan, parmi les fondateurs du parti Nehzat-e Azadi (mouvement pour la liberté) qui a joué un rôle important dans le renversement du régime du Shah et l'instauration de la république islamique. Egalement membre de ce parti, Ezzatollah Sahabi s'en était ensuite séparé pour créer à la fin des années 90, le mouvement d'opposition Melli-Mazhabi (mouvement national-religieux) regroupait les diverses tendances politiques qui, ayant participé à la révolution islamique, avaient été par la suite écartées du pouvoir. Sa fille, Haleh, était aussi membre de ce mouvement. Pendant la première décennie qui a suivi la révolution islamique, Ezzatollah Sahabi avait occupé des positions importantes :  membre du Conseil révolutionnaire, membre du Conseil constitutionnel, directeur de cabinet au plan et au budget du gouvernement Bazargan. Comme bien d'autres politiciens Ezzatollah Sahabi était passé dans l'opposition après les répressions sanglantes de la fin des années 80. Plusieurs fois emprisonné sous la présidence de Rafsandjani en raison de ses activités d'éditeur et de journaliste, il avait apporté son soutien aux Verts (le courant mené par Mousavi qui s'est mué après juin 2009 en mouvement de contestation post-électorale). 

Ce sont donc les funérailles d'un personnage public de cette envergure que les autorités cherchaient à étouffer moyennant une forte présence policière. On comprend donc leur nervosité et les immanquables "bavures" qui allaient en découler.  L'enjeu de ce déploiement était d'éviter à tout prix que ces funérailles deviennent l'occasion d'un rassemblement d'opposants. Il fallait surtout éviter la traditionnelle procession menant du domicile jusqu'au cimetière, de crainte qu'elle ne tourne à la manifestation, comme ce fut le cas l'année dernière, pour les obsèque de l'ayatollah Montazeri. Pour commencer, les autorités ont obligé in-extremis la famille à avancer l'heure de la cérémonie qui était initialement prévue à 8h30 du matin, vers 7h, afin de réduire le rassemblement des sympathisants (mais la nouvelle était annoncée dès 23h par le site rahesabz pour être aussitôt reprise sur les médias sociaux). Puis, dans les conditions lamentables que nous connaissons, la police s'est emparée du cercueil pour le mener au pas de charge vers le cimetière. 

 
Haleh Sahab


Haleh Sahabi 

Mais qu'en est-il de Haleh Sahabi et de l'état de son coeur? Le directeur général de la police affirme qu'il est en possession de documents établissant qu'elle souffrait de faiblesse cardiaque. Rappelons d'abord que Haleh Sahabi était surtout une femme au grand coeur qui consacrait sa vie à la chose publique. Spécialiste du Qoran, son travail de recherche consistait à établir que l'islam avait, au temps de son apparition, représenté un progrès considérable pour la condition féminine des populations arabes et que le principe d'égalité des hommes et des femmes est inscrite dans l'esprit du Qoran comme dans l'histoire du prophète Mahomed. C'est en se fondant sur ces arguments qu'elle plaidait en faveur d'une évolution de la Sharia, des usages et des lois, vers une égalité complète entre les hommes et les femmes.  Haleh Sahabi était membre du mouvement national-religieux formé par son père, et membre du mouvement féministe du "conseil des mères pour la paix".

Quant à sa faiblesse cardiaque, il faut reconnaître que ce qu'elle a subi depuis son arrestation en 2009, suffirait à causer le même genre de défaillance chez n'importe quel être bien portant et à fortiori, chez une femme et mère de 56 ans. 

En effet, Haleh Sahabi avait été arrêtée le 5 août 2009 alors qu'elle participait à une  manifestation devant le parlement de Téhéran pendant la cérémonie d'investiture d'Ahmadinead. Sa condamnation à 2 ans de prison ferme avait été confirmée en appel en mai 2010 (RAHANA) et elle exécutait sa peine depuis janvier 2011(RAHANA). 

En mars 2011, elle était encore à la prison d'Evin, parmi les prisonniers politiques privés de permission de Norouz, enfermée dans la section collective de "Gharantanieh" où les prisonniers n'ont droit à aucun déplacement et se trouvent par conséquent privés de promenade, bibliothèque, foyer, salle de gym ou toute autre activité (RAHANA). Elle avait récemment bénéficié d'une permission pour se rendre au chevet de son père mourant qui se trouvait dans le coma depuis un mois. 

Voilà donc une femme qui subissait depuis deux ans le calvaire que connaissent tous les prisonniers politiques bringuebalés entre les périodes d'emprisonnement, les interrogatoires, les procès, la nécessité de rassembler les sommes faramineuses d'une caution pour avoir le droit de respirer entre deux procès, sans compter les multiples tracasseries pour lesquelles l'administration judiciaire de la république islamique fait preuve d'une imagination débordante. Rien d'étonnant à ce qu'elle ait le coeur fragile après une telle épreuve. 

L'épilogue de cette triste histoire est que pendant les funérailles de Ezzatololah Sahabi, au moins 12 personnes ont été arrêtées, parmi lesquelles, le petit fils de l'ayatollah Montazeri. Dès le lendemain matin, on retrouvait le traditionnel rassemblement des familles en quête de nouvelles, devant la prison d'Evin (source). Quant à Haleh Sahabi, elle a été enterrée dans la hâte le soir même du 1er juin par les autorités, et c'est sous l'étroite surveillance des forces de sécurité que ses proches ont dû se recueillir sur sa tombe (CHRR).

En principe, Haleh Sahabi aurait dû retourner en prison après l'enterrement de son père. Mais les circonstances ont décidé pour elle d'une échappée dans l'innocence apaisée de la mort.


Principales sources :  

Article préparé par IsaVodj (Twitter




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