La république islamique d’Iran traduit « journalistes » et « journalisme » par « espions » et « espionnage ». A ses yeux, nous, journalistes, sommes des espions. Où avons-nous été éduqués ? Dans des écoles de journalisme (des endroits qui ont introduit des sciences déviationnistes en Iran, prétendent-ils) Où travaillons-nous ? Dans des journaux (qu’ils décrivent comme des bases ennemies).
Alors, quel est notre crime ? Diffuser des nouvelles. Nous croyons à la libre circulation des informations. Nous interviewons, rédigeons des rapports, rassemblons des nouvelles, etc (et toutes ces activités sont de l’espionnage aux yeux de la république islamique). Quel est notre châtiment ? Les arrestations et les convocations. Pas une ou deux fois, mais à de nombreuses reprises. On nous soumet à des interrogatoires continus (voyez ce qui arrive à Mahsa Amrabadi et à d’autres). Quelle est notre condamnation ? La flagellation. Pas un coup de fouet, pas 5 ou 10 mais à 50 (Voyez ce qui est arrivé à Samieh Tohidlou et à d’autres). La prison, pas juste un ou deux ans mais des douzaines d’années (voyez ce qui est arrivé à Ahmad Zeidabadi et à d’autres). L’interdiction de travailler. Par 1 ou 5 ans mais 30 ans (voyez ce qui est arrivé à Jila Bani-Yaghoub).
Et à la fin, on nous exile (beaucoup d’entre nous qui avons choisi de vivre en occident l’ont fait sous la contrainte). Voilà la situation des journaux et des journalistes indépendants en Iran ; et dans le même temps, le journal gouvernemental le plus important est dirigé par l’un de ceux qui mènent les interrogatoires, un membre de la garde révolutionnaire, un agent du renseignement (en fait Hossein Shariatmadari). C’est le représentant de l’ayatollah Khamenei, le chef de la république islamique au journal Kayhan. Ce quotidien accuse les journalistes tous les jours. Il rédige des mandats d’arrêt à leur encontre, établit un réquisitoire de tout ce dont ils sont accusés, espionnage, agent de l’étranger, mercenaire, vendu, valet de l’occident, etc. Et cela dure depuis 30 ans maintenant ; cela a commencé le tout premier jour où la république islamique a vu le jour. Voilà la situation d’un pays qui abrite le plus grand nombre de journalistes dans ses prisons du monde. Mais c’est également un pays où le journalisme et les médias ont une longue histoire. Le premier journal publié en Iran a vu le jour il y a plus de 150 ans. C’était le troisième journal du Moyen-Orient. Quel décalage de voir qu’il n’existe plus de nos jours un seul journal indépendant. Quelques publications sortent de temps en temps mais ils n’ont aucune assurance de leur futur immédiat, et même de leur lendemain. C’est un pays où, non seulement on dicte à la presse ce qu’elle ne doit pas écrire, mais encore on lui ordonne ce qu’elle doit écrire et comment elle doit le faire. Ce qui soit ou ne doit pas être écrit et ce que le guide suprême considère comme important ou nécessaire. Si ce n’est lui, c’est l’un des escrocs au pouvoir. Le résultat c’est qu’il y a aujourd’hui 18 journalistes dans les prisons iraniennes qui ne jouissent même pas des droits des autres prisonniers. Ces journalistes embastillés n’ont pas d’avocat, n’ont pas droit aux permissions, n’ont pas le droit de contacter quiconque à l’extérieur et subissent le même sort que Hoda Saber s’ils protestent ou font grève. Hoda est mort en prison suite à une grève de la faim que les autorités avaient décidé d’ignorer.
Ces évènements ont lieu dans un pays qui a mené en 1924 la première révolution de la région et qui a vu 84 publications fleurir peu après.
Depuis lors, l’Iran a connu beaucoup de succès et d’échecs mais les années noires qui ont suivi la révolution de 1979 ont été les plus rudes et les plus difficiles pour le journalisme et les journalistes en Iran.
Alors que la révolution était en passe de réussir, à la fin des années 70s, son dirigeant, l’ayatollah Khomeiny qui se trouvait à l’époque à Neauphle le Château, dans la banlieue parisienne, m’a dit en personne lors d’une interview que tout le monde serait libre en Iran, même les marxistes sous le nouveau régime. Mais les journaux ont été fermés au bout de quelques mois à peine, les bureaux des médias ont été envahis par les révolutionnaires et les journalistes renvoyés chez eux pour de bon. On m’a interdit d’écrire pendant 12 ans, à cause d’un verdict non-écrit. Khomeiny nous avait menti. Plus tard, il a appelé à « briser la plume » des écrivains. Et les choses en sont restées là en Iran pendant des années. Les journaux gouvernementaux sont apparus et ont commencé à attaquer et à tuer la liberté sous le prétexte de la guerre qui est survenue.
Mais le pire était à venir. Un jour, l’ayatollah Khamenei, successeur de Khomeiny, a déclaré que les journaux étaient « des bases ennemies ». Saïd Mortazavi, un homme au passé judiciaire chargé qui a fuit sa ville suite à un viol et s’est vendu au pouvoir, est devenu le procureur de la presse et des dizaines de publications ont été interdites en un seul jour sur ordre de Khamenei. La situation est devenue telle que la journaliste irano-canadienne Zahra Kazemi est morte des coups de pieds donnés par Saïd Mortazavi. Le rapport officiel de ce crime a été lu au parlement mais Mortazavi a reçu une promotion. Depuis lors, Mortazavi en a tué des dizaines d’autres et a été promu encore plus haut. Son dernier crime était la prison de Kahrizak où des dizaines de jeunes Iraniens, hommes et femmes, ont été torturés de la façon la plus inhumaine, il a donc été promu dans l’administration Ahmadinejad. C’est le directeur préféré de Khamenei et il est désormais membre du cabinet d’Ahmadinejad.
Nous en arrivons à nos jours. Le coup d’état électoral de 2009 a conduit à l’interdiction de dizaines de publications et à l’arrestation de centaines de journalistes. Des centaines de journalistes ont perdu leur emploi et l’Association des Journalistes Iraniens a été fermée, ses membres arrêtés.
Ils ont même arrêté les bloggers ; des arrestations massives qui ont conduit à des tragédies plus atroces : Omid Mir-Sayafi a perdu la vie en prison, Hossein Ronaghi Maleki au jeune corps à demi paralysé à cause des tortures moyenâgeuses auxquelles on l’a soumis.
Qu’en est-il du futur du journalisme en Iran ? J’ai demandé à un collègue de Rooz en Iran, un journaliste de premier plan, dont les écrits étaient lus par des milliers de personnes, pourquoi il avait cessé d’écrire.
Sa réponse est la vision que je veux présenter.
« A l’époque, je parlais personnellement avec les personnes, je posais des questions aux officiels, j’écrivais de vrais éditoriaux aux côtés de dizaines d’autres, j’avais accès aux sources, etc…Mais maintenant, cela fait des mois que je mène une existence semi-clandestine dans un sous-sol, me présentant sous un pseudonyme, sans avoir le droit de contacter des personnes ou des officiels et en plus, je vis dans la peur perpétuelle d’être découvert et arrêté n’importe quand. Mon Internet est lent et même l’accès aux sites des médias officiels est difficile. Je ne suis même pas sûr que mes reportages ne soient pas envoyés à quelqu’un d’autre. Isolé, apeuré, je m’occupe uniquement de faire en sorte que le journaliste ne soit pas complètement oublié. »
Mon collègue est désormais chauffeur de taxi mais il est en ligne tous les soirs, sans savoir s’il existera un lendemain.
A l’opposé, les journaux du gouvernement largement subventionnés par le gouvernement ou Khamenei ou les gangs au pouvoir, achètent nos journalistes par des salaires élevés et des condition de travail idéales. Ils se battent désormais pour détruire le journalisme en Iran et métamorphoser les journalistes en écrivaillons de bulletins, béni-oui-oui, rapportant les points de vue et les mensonges du gouvernement. Ils se battent pour vider la profession de journaliste de son contenu et pour métamorphoser les journalistes en simples scribes.
Mais ce journalisme a-t-il un avenir ? Certainement pas. Peut-être vous demandez-vous ce que vient faire l’espoir dans cette description. La réponse est qu’il nous fournit l’énergie nécessaire à continuer. Même nos collègues des journaux gouvernementaux sont en danger à cause de leurs blogs, de leurs pages Facebook et des messages secrets qu’ils font parvenir à leurs collègues de l’étranger.
Nos collègues des journaux gouvernementaux et ceux qui vivent dans les sombres sous-sols ont gardé allumé le feu du journalisme. Ils comparent le sort de la république islamique à celui de Saddam Hussein. Ils croient à cause de l’histoire, de la science, de la connaissance et de l’amour de la liberté que l’avenir du régime iranien sera semblable au sort de Saddam. Nous persévèrerons sur la route mais nous avons besoin de l’aide du monde libre. S’ils nous tuent, s’ils nous ferment la bouche, ils tuent en fait le monde entier. Après tout, le monde entier est interconnecté. Je ne crois pas que le monde puisse survivre à cette injustice : il y a la justice dans un coin du monde tandis que les journalistes sont gelés dans la glace de l’autre côté. La libre circulation des informations se définit par l’échange d’informations. Cette circulation ne peut être entravée – ou alors sans être aidée - sans affecter la circulation ailleurs.
Source : http://www.roozonline.com/english/opinion/opinion-article/archive/2011/november/10/article/we-are-spies.html
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