(WNN) Téhéran, IRAN : Construite en 1971 la prison d’Evine, à Téhéran, capitale de l’Iran, est un lieu qui apporte aux prisonniers dépression, frustration et isolation. Les mères prisonnières ont souvent une peur secrète qui les hante, « être oubliées » de leurs enfants restés à la maison.
L’emprisonnement n’est pas facile en Iran. Il touche les femmes différemment des hommes ; l’impunité peut faire craindre aux femmes des avances sexuelles, la violence et l’intimidation. Beaucoup de prisonnières ont également des besoins spécifiques liés à leur santé physique et aux traumatismes psychologiques. Les mères prisonnières ont des besoins accrus à cause du souci qu’elles se font pour leurs enfants.
A l’échelle du monde, les mères condamnées peuvent permettre à leurs enfants de partager leur détention ou pas. En Hollande, les prisonnières peuvent garder leurs enfants pendant leur détention jusqu’à leur quatrième anniversaire, après quoi, il faut trouver un endroit où les enfants pourront séjourner en dehors des murs de la prison.
En Suède, les enfants et les bébés sont rarement autorisés à rester avec leurs mères emprisonnées, sauf pour les nourrissons jusqu’à l’âge de trois mois. Ce qui veut dire que les enfants au-delà d’un an sans exception ne sont pas autorisés à rester avec leurs mères.
La loi afghane autorise leurs enfants à rester en prison avec leurs mères jusqu’à l’âge de sept ans. Au contraire, en Iran, beaucoup de prisonnières de conscience ne sont pas autorisées à recevoir la visite de leurs enfants pendant des semaines après leur arrivée en prison. Si les enfants et les membres de la famille ont droit aux visites, ils ne peuvent voir leurs mères lors de visites très limitées.
Au Cap, en Afrique du Sud, il y a une nouvelle initiative visant à rendre la prison des mères « amicale pour les enfants » pour que mères et enfants puissent être ensemble dans un environnement naturel et créatif. Le but est que la mère et l’enfant puissent séjourner ensemble, heureux pendant au moins deux ans.
Le nombre de prisonnières augmentant dans les prisons fédérales et nationales, les mères sont souvent envoyées dans des centres trop éloignés pour que leurs familles viennent leur rendre souvent visite. Aux Etats-Unis, un grand nombre de mères sont incarcérées dans des prisons privées à cause de leur « statut illégal » d’immigrantes (la plupart mexicaines ou d’autres régions d’Amérique Latine) ce qui fait qu’elles sont immédiatement séparées de leurs enfants pendant qu’elles attendent d’être déportées. Certaines préfèrent choisir d’attendre que le gouvernement américain juge leur plainte contre la déportation.
Nargues Mohammadi, défenseur des droits humains en Iran
Le 9 juin 2010, au milieu de la nuit, l’avocate des droits humains de 39 ans est emmenée en détention arbitraire par les fonctionnaires de la sécurité iranienne lors d’un raid contre son domicile. Cette invasion s’est faite sans mandat de perquisition. Mohammadi a été emmenée et placée à l’isolement pendant trois semaines. Cet isolement n’a été brisé qu’après que Nargues ait commencé à souffrir d’un mal mystérieux et invalidant qui la frappe encore. Aujourd’hui, en dépit de ses séjours à l’hôpital, elle souffre d’une maladie « qui ressemblerait à de l’épilepsie » qui provoque des évanouissements incontrôlés, des paralysies et des blessures.
Le stress d’une mère en prison peut être écrasant. « Le droit des mères et des enfants à une vie de famille demande des égards spéciaux » dit un manuel de direction de prison du centre international pour les études sur les prisons, qui travaille avec des experts des droits humains et de la réforme des prisons. « Les punitions ne devraient pas comprendre une interdiction totale des contacts avec la famille » souligne le manuel. « Dans la plupart des sociétés, les femmes sont les premières responsables de la famille, particulièrement quand il y a des enfants. Ce qui veut dire que, lorsqu’une femme est envoyée en prison, les conséquences pour la famille restée dehors peuvent être très significatives » ajoute ce rapport.
Mohammadi, prisonnière de conscience, a été accusée « d’assemblée et de collusion contre la sécurité nationale » ainsi que «d’activités de propagande contre le régime de la république islamique. » En première instance, elle a été condamnée à onze ans de prison, condamnation réduite en février 2012 à six ans de prison.
Mère de jumeaux, Nargues est aujourd’hui exceptionnellement vulnérable. Et ses enfants aussi. Son fils Ali et sa sœur Kiani ont maintenant 6 ans : leur mère a milité pour les droits humains en Iran depuis le début de ses études universitaires. Née en 1972, juste un an après la construction d’Evine, elle a obtenu un diplôme de physique et d’ingénierie de l’université internationale Imam Khomeini située dans la ville de Ghazvine, à 250 kilomètres au nord-ouest de Téhéran.
Pour son travail d’avocate, Nargues a été honorée en 2009 à Bolzano en Italie du prix Alexander Langer, mais elle n’a pas pu assister à la cérémonie à cause d’une interdiction de sortie du territoire qui la frappait.
C’est la lauréate iranienne du prix Nobel de la paix Shirine Ebadi qui a accepté la récompense de Nargues en Italie. « En reconnaissance de son courage dans la défense des droits humains, plus spécifiquement la défense des droits des étudiants, des femmes et d’autres militants de la société civile. » Mohammadi a été honorée d’une standing ovation lors de son appel téléphonique à Ebadi durant l’évènement.
« Si un jour nous atteignons les buts de l’article 19 de la déclaration universelle des droits humains, ce sera un jour de victoire pour l’humanité. Si un jour, les humains peuvent, sans peur, insécurité, prison ou mort, exprimer leurs croyances et leurs pensées par des moyens pacifiques, commencer à les publier, alors l’autoritarisme serait miné. »
En 2008, en tant que porte-parole et vice-président du Centre des Défenseurs des Droits Humains, Mohammadi devait affronter un danger spécifique croissant. Elle a plus tard été amenée devant la quatrième chambre du tribunal révolutionnaire en mai 2009 pour adhésion au CDDH. Après sa défense et un dépôt de caution de $40.000, Nargues a été mise en liberté provisoire et les accusations retirées, mais les dangers qu’elle devait affronter en tant que défenseur des droits des femmes et des êtres humains persistaient.
Le Centre des Défenseurs des Droits Humains en Iran
Le Centre des Défenseurs des Droits Humains en Iran a été formé par les efforts combinés de cinq avocats de premier plan, y compris le membre fondateur et ancien juge, lauréate du prix Nobel de la paix Shirine Ebadi. Il a été formé en partie pour surveiller et fournir une assistance légale gracieuse et aussi pour représenter dans les dossiers où la protection des droits humains sous l’égide de la loi était en jeu dans la région ; le CDDH a été menacé puis complètement fermé par un « lock-out » du gouvernement iranien en décembre 2008.
La condamnation de Nargues Mohammadi mentionne spécifiquement son « appartenance au CDDH » comme l’une des « accusations légales » qui ont conduit Nargues en prison. Un nombre croissant d’avocats liés au CDDH sont maintenant également en prison.
« Quel espoir est plus puissant que la chaîne humaine, où tous les individus de tous les coins du monde agissent solidairement pour se soutenir les uns les autres » a dit Mohammadi en réponse à son prix Alexander Langer en 2009. « Les gouvernements ne peuvent plus utiliser l’excuse de la souveraineté nationale pour bâtir un mur autour des peuples de leurs nations et l’utiliser encore pour traiter leurs citoyens comme il leur chante et considérer toute objection venant du monde comme une interférence dans leurs affaires internes. »
Les membres du CDDH ont fait face à des amendes excessives, à du harcèlement, à de l’intimidation, à des détentions arbitraires ainsi qu’à de longues peines de prison. Certains ont quitté le pays pour demander l’asile. A d’autres, comme l’avocate des droits humains et mère Nasrine Sotoudeh, le système judiciaire iranien a interdit de travailler dans le domaine de la loi pendant les 20 prochaines années. Sotoudeh est aussi une mère. Elle vit actuellement à la prison d’Evine pour purger une lourde peine de six ans qui a déjà comporté des grèves de la faim, la maladie et des interrogatoires.
Nasrine Sotoudeh et Nargues Mohammadi n’ont pas accès à leurs enfants en tant que prisonnières en Iran. Dans une lettre écrite à ses enfants en prison, Nasrine a écrit : « Mes chers Mehraveh et Nima, je vous aime tous les deux beaucoup. Je souhaite votre bonheur et votre prospérité, comme tous les parents. C’est à vous que je pense d’abord quand je dois prendre une décision. Il convient de considérer le bien-être des enfants dans chaque décision. Vos visites sont très importantes pour moi. Je souffre de ne pas vous avoir tenu dans mes bras depuis des mois. Je suis à l’agonie de ne pas entendre vos voix. »
La marginalisation des prisonnières
« Les autorités iraniennes font leur possible pour marginaliser les défenseurs des droits humains, leur donnant de lourdes peines, l’exil et l’interdiction de leurs activités professionnelles » dit Gerald Staberock, secrétaire général de l’Organisation Mondiale Contre la Torture dans une déclaration conjointe avec la Fédération Internationales des Droits Humains en Mars 2012. « Les prisonniers de conscience et les autres prisonniers sont constamment sujets à la torture et à d’autres mauvais traitements ainsi qu’à la peine de mort. Tout ceci vise à intimider la société dans son entier et la plonger dans un silence de mort » ajoute-t-il.
Nous pouvons parler aux mères, mais qu’arrive-t-il aux enfants des prisonnières en Iran ? Qu’arrive-t-il aux enfants dont l’un ou les deux parents sont détenus ? En dépit des impacts clairs et sérieux sur l’enfant, ce sujet a reçu peu d’attention dans le monde.
« Les droits légaux des enfants d’après la loi internationale se sont développés depuis 1919, des traités régionaux et mondiaux sauvegardant leurs intérêts. Cependant, beaucoup de ces droits inscrits dans la Convention sur les Droits des Enfants et d’autres textes sont mis en défaut quand un parent est emprisonné » dit le Quaker ONU – Bureau des Nations-Unies à Genève.
Globalement, l’incarcération implique le plus souvent des restrictions aux droits humains, spécialement en Iran. Il y implique des dommages excessifs et ce que certains défenseurs appellent des dommages « injustifiés » pour les enfants dont les parents sont emprisonnés.
« Mes jeunes enfants gardent des visions et des souvenirs douloureux, qui les affectent la nuit » dit Nargues dans une plainte officielle déposée auprès du gouvernement iranien, suite à l’arrestation de son époux Taghi Rahmani qui a été le récipiendaire du prix Hellman-Hammet pour les Droits Humains en 1980.
Souvent, les prisonniers de conscience sont séparés des membres de leurs familles par une tactique pour les intimider et les détruire. En avril 2011, les autorités iraniennes ont « interdit à Nargues Mohammadi de contacter son époux Taghi Rahmani en prison » a déclaré la Campagne Internationale pour les Droits Humains en Iran.
Aujourd’hui, les enfants de Nargues Mohammadi et de Taghi Rahmani vivent sans leurs parents. Leur mère Nargues purge sa peine et leur père, le militant Taghi Rahmani, a demandé l’asile en Europe. Ils vivent maintenant chez leur grand-mère paternelle. Mais ils ne peuvent pas voir ou joindre leurs parents quand ils en ont le plus besoin.
Nargues raconte : « Je me souviens qu’un soir, mes enfants n’arrivaient pas à s’endormir ; tous deux parlaient quand ils rêvaient… Plus tôt ce soir-là, ils ont vu les agents de sécurité venir chez nous et hurler des horreurs et des obscénités à Taghi. Je me souviens que le petit Ali arpentait la maison en se marmonnant ‘Sortez de ma maison, laissez mon père tranquille’. Ils ont finalement emmené Taghi. Ma petite file Kiani s’est allongée sur le froid carrelage de l’entrée, des larmes roulaient sur son visage, et elle a appelé son père. J’étais impuissante, transformée en statue de pierre, je fixais ma fille de quatre ans sans savoir que faire… Je suis un être humain, une mère, une épouse, combien de ces souffrances, de ces douleurs devrais-je encore supporter ? »
Les enfants dont les parents sont prisonniers de conscience sont particulièrement affectés quand ils sont témoins d’injustice, surtout s’ils se sentent incapables de sauver ou d’aider le parent affecté par des décisions de justice qu’ils ne peuvent contrôler. Souvent les parents prisonniers de conscience ressentent une grande frustration et un sentiment de culpabilité pour ne pouvoir aider leurs enfants sans leur présence et le confort quotidien de la présence de leurs parents. Dans une lettre « du fond du cœur » écrite au gouvernement iranien pour expliquer son expérience de mère, Mohammadi raconte : « Quand Kiana est née, j’ai eu une césarienne. J’avais beaucoup de points de suture sur le ventre et la chaleur du petit corps précieux de Kiana que je pressais contre mon corps soignait mes blessures. Quand Kiana n’avait que trois ans, elle a dû subir une intervention chirurgicale abdominale et elle aussi avait beaucoup de points de suture dont il fallait s’occuper pour les guérir. J’étais sa mère et c’était mon devoir de m’en occuper et de la soigner jusqu’à sa guérison. Mais j’ai été arrêtée et emmenée en prison. Je n’étais pas là pour m’occuper d’elle, pour la guérir comme elle m’avait guérie. »
Christy Fujio, ancien avocat spécialisé dans l’émigration et directeur du programme d’asile des Médecins pour les Droits Humains aux USA explique : « Le gouvernement iranien veut leur casser le moral, il veut faire un exemple. Ils le font ouvertement par la torture, mais aussi plus subtilement en refusant de les soigner et en les laissant souffrir de leurs blessures. »
« Les souffrances causées par les disparitions forcées, l’isolement prolongé et d’autres mauvais traitements, par des peines de prison longues ne s’arrêtent pas à la porte de la prison » dit Amnesty International. Les membres des familles des personnes emprisonnées souffrent longtemps d’anxiété, de dépression et de peur. Ces symptômes sont particulièrement graves pour les femmes et leurs familles, spécialement les enfants.
Dans son discours d’acceptation du prix en 2009, Nargues Mohammadi dit : « Nous devons parler d’espoir et d’amour. Nous avons tous droit à la liberté d’expression et de pensée : article 19 de la déclaration universelle des droits humains. »
Source : http://womennewsnetwork.net/2012/05/14/imprisoned-mothers-iran-fea/
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