lundi 14 mai 2012

Lettre des condamnés à mort Zaniar et Loghman Moradi


Lettre des condamnés à mort Zaniar et Loghman Moradi

Zaniar et Loghman Moradi, deux citoyens kurdes détenus à la prison de Radjaï-Shahr qui risquent l’exécution à tout moment, ont écrit une lettre sur Farzad Kamangar et les autres prisonniers politiques exécutés par les autorités iraniennes à la prison d’Evine le 9 mai 2010. Cette lettre a été envoyée par des militants iraniens à Iran Human Rights pour qu’ils la publient.

Nous vivons dans un pays où l’on ne peut se détacher des histoires, des évènements et des aventures du passé. Et nous ne pouvons passer [le mois de mai] sans rendre hommage à la mémoire de Farzad, Farhad, Ali et Shirine.

Deux ans ont passé depuis cet évènement qu’aucun de nous n’aurait voulu entendre, une journée où les Iraniens étaient aussi tristes que le Kurdistan et le peuple kurde. Ce fut le jour où une autre page de l’histoire tragique de l’Iran s’est écrite sur la terre du Kurdistan. L’histoire kurde a été témoin de tant de jours amers au cours des années.

Quand nous écoutons nos anciens, il nous est difficile de jouir de jours paisibles et joyeux car nous ne pouvons ignorer et laisser de côté les nombreux évènements, peines et souffrances qui font partie intégrante du Kurdistan : les campagnes militaires, les conflits idéologiques, la mise à sac d’une ville et un massacre dans une autre. Quelquefois on tire des balles pour assassiner et d’autres fois pour faire taire les voix des dissidents. Au cours d’une guerre avide et obstinée, on a tiré des bombes et des missiles des deux côtés, des tragédies comme des massacres, des attaques chimiques et la revanche ont privé la terre kurde de ses moments de vie. Et les conspirations et le sentiment d’amertume visaient à nous voler nos amis, notre unité en Iran. Les arrestations, les massacres, la haine, les exécutions qui n’arrêtent jamais, le destin de nos chers disparus ont rendu l’amitié, la paix, les doux chants, les chemins agréables et la beauté de notre pays plus étrangers, plus hors d’atteinte. Nos aînés sont fatigués, épuisés, ils ont le cœur brisé.

Nous vivons dans un pays où l’on ne peut se détacher des histoires, des évènements et des aventures du passé. Ordibehesht [le deuxième mois de l’année persane équivalente au signe du taureau] ne peut passer sans rendre hommage à la mémoire de Farzad, Farhad, Ali et Shirine. Avant même l’amère expérience des jours sombres d’emprisonnement et de torture, avant que l’exécution ne nous couvre de son ombre noire, ces noms nous racontaient une histoire nostalgique et douloureuse. Nous suivions les informations qui les mentionnaient. Nous étions avec eux dans ce qu’ils vivaient, nous appréhendions un peu la prison et son atmosphère. La nouvelle [de leur exécution] n’était qu’une répétition de ce qui se passe depuis des années. 

Il y a eu un moment d’inquiétude. Il y a eu aussi un moment d’espoir qui a pris racine, un espoir dont on ne s’attendait pas à ce qu’il prenne racine au milieu de ces malheureux évènements. Ces jours-là, nous vivions au milieu de leurs sourires et de leurs larmes et de ceux de leurs familles. Nous essayions de nous mettre à leur place pour les accompagner dans la quête de leurs espoirs et de leurs demandes. Nous essayions de comprendre ce qu’ils disaient pour oublier la douleur qu’ils dissimulaient sous des couches de patience et d’espoir. Et pourtant, nous n’avions jamais pensé nous retrouver dans le même état qu’eux.

Maintenant que nous sommes dans le couloir de la mort, nous réfléchissons sans arrêt aux souvenirs que nous avons d’eux : le jour où ma mère pleurait, où la mère de Farzad sanglotait et où les enfants de Farhad prenaient le deuil. Nous ne pouvions sonder ce qu’une mère ressentait dans l’attente de son enfant, nous ne pouvions comprendre ce que signifiait pour elle de voir son enfant en souffrance. Nous ne réalisions pas que les larmes pures d’une mère pouvaient se frayer un chemin à travers les sombres salles de la prison pour offrir un rayon d’espoir à ses enfants. Nous avons entendu parler de ce père qui pliait sous la pression pour que ses enfants aient une occasion de résister et de relever la tête. Mais nous ne savions pas qu’une année d’emprisonnement d’un fils rend un père triste et le fait vieillir.

Un jeune instituteur travaillant dans des villages pauvres, espérait élever une génération qui serait capable de développer le Kurdistan et de conquérir les droits dont le peuple kurde est privé. Il était prêt à faire beaucoup de sacrifices pour la prospérité et la gloire du Kurdistan et pour atteindre les buts dont nos élites rêvent. C’était un enseignant qui aimait les gens pour leur humanité. Il luttait pour les Kurdes et les Iraniens, pour les êtres humains, pour l’humanité. Hélas, il allait être exécuté.

Nous nous sommes trouvés dans une situation similaire lors de notre arrestation. Des mois à l’isolement et dans des quartiers de sécurité nous ont empêchés de nous tenir au courant jusqu’à ce que nous finissions par apprendre la nouvelle neuf mois après ce jour horrible. Cela nous a permis de sangloter et de pleurer. Quand nous avons appris la nouvelle, nous n’avons pas tenté de l’imaginer d’après les dires. Nous comprenions leur calvaire par notre expérience de l’isolement, de la noire torture insupportable, de la privation de la vue de nos familles, des condamnations à mort qui rôdaient, des procès injustes, des histoires noires et amères des prisonniers et d’autres histoires racontées par les intimes de Farzad, Farhad et Ali. La nostalgie de leur pays, leur patience, leur sérénité, leur endurance face à la torture supportée sans sourciller, les bons et les mauvais moments des visites, leur amour des Kurdes et du Kurdistan, leurs souvenirs de la nature, leurs jours heureux à Qandil et dans d’autres montagnes reflètent leur résilience et leur résistance. Nous avons surtout entendu parler de Farzad qui souriait et riait toujours.

Les transferts de prison en prison et les convocations étaient le signe d’un évènement imminent, et peut-être même… finalement l’évènement le plus amer a eu lieu. Tous les autres étaient anxieux mais eux étaient calmes. Ils ont passé la dernière nuit ensemble. On raconte beaucoup de choses sur leur dernière nuit avant l’exécution. Nous avons entendu parler de cette nuit, dont nous n’avons pas encore fait l’expérience.

Nous ne savons pas à quel point nos presque trois ans de détention ressemblent à leurs presque quatre ans.

Combien de temps tout ceci va-t-il durer ? Le Kurdistan a vu tant de ces évènements noirs et brûlants. La force des dirigeants se prouve par l’exécution des enfants de cette terre. Combien de temps encore vont-ils continuer à tuer et à assassiner ? Le sang ne nettoie pas le sang.la violence ne s’étanche pas par la violence. La violence appelle la violence et les bains de sang en entraîneront d’autres. Jusqu’à quand le sifflement des balles et le deuil réduiront-ils au silence et noieront-ils les acclamations joyeuses ? Quelle quantité de violence pour surpasser la paix et le bonheur ? Quelle génération sera la dernière à entendre les tristes nouvelles des exécutions ? Le jour viendra-t-il où l’on n’entendra plus ni les tristes histoires de violence ni les incitations à la violence ?

Que nos souvenirs bénis continuent à vivre chaque jour, à chaque instant, surtout le 9 mai, le jour où ils se rendirent au gibet en scandant des slogans pour que nous nous rappelions que chacun de nos pas doit conduire à la vie et à la joie (même quand de sont les expériences amères et la mort qui prédominent).

Source : http://iranhr.net/

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