Les élections présidentielles de 2009 en Iran ont été un tournant dans l’histoire de la république islamique et plus précisément le dépouillement et les résultats qui ont maintenu Mahmoud Ahmadinejad à la présidence ; ils ont été largement contestés lors de manifestations de masse qui ont fini par aboutir à l’assignation à domicile les deux candidats en tête du scrutin et ils y sont toujours. Les détails du trucage des élections ont fuité de temps en temps mais les hypothèses courent toujours. Rooz a parlé avec Ehsan Mehrabi, un journaliste qui se trouvait au ministère de l’intérieur le jour fatidique de l’élection mais pas pour surveiller les résultats des élections à la commission électorale. Lui et d’autres journalistes étaient en quelque sorte enfermés dans la salle de conférence du ministère, pour les empêcher d’avoir un quelconque accès à la commission électorale, alors qu’il y avait des annonces contradictoires dans les dernières heures de ce jour.
C’est la seconde partie de l’interview de Mehrabi, la première partie traitait des jours qu’il a passés dans les infâmes blocs 209 et 240 de la prison d’Evine et de son procès. Maintenant, Mehrabi parle de l’atmosphère à la puissante commission électorale au ministère de l’intérieur le jour de l’élection et aussi au bloc 350 de la prison où il a passé un an. Dans cette interview, il parle des pressions que le régime a exercé sur les membres de sa famille après la publication de sa première interview, les exécutions, la mort de Hoda Saber et de beaucoup d’autres choses. Mehrabi était un journaliste spécialisé dans les affaires parlementaires ; il contribuait à des journaux libres et indépendants de l’état comme Hambasteghi, Tose’, Etemad Melli et Farhikhtegan Ghalam.
Rooz : Vous vous trouviez à la commission électorale le jour des élections en 2009, que s’y passait-il ?
Mehrabi : J’y étais bien et je ne savais presque rien de ce qui se passait à l’extérieur du bâtiment. J’ai été surpris quand j’en suis sorti. A la commission, les informations circulaient de bouche à oreille. L’une de ces informations était que Mir-Hossein Moussavi voulait venir à la commission. Mais aucune information réelle ne pénétrait dans le bâtiment. Même avant le vote, le ministre semblait sûr de gagner les élections. Nous avions l’impression qu’ils étaient confiants en leur victoire [le camp Ahmadinejad] de toute façon. Quand nous avons parlé aux jeunes réformistes qui se trouvaient à l’extérieur de l’atmosphère à l’intérieur du bâtiment, ils ont rejeté nos arguments disant que nous étions influencés par ce qui se passait à l’intérieur. Nous ne pouvions pas imaginer qu’ils avaient l’intention de truquer à ce point les élections. Quand nous avons parlé avec des reporters de l’autre camp, ils nous ont dit qu’Ahmadinejad garderait de 24 millions de votes. Nous sommes restés à la commission toute la nuit sans pouvoir deviner ce qui se passait. Nous avons bien vu tous les équipements et les motos au ministère, mais nous ne savions pas à quoi ils devaient servir, et personne ne nous l’a expliqué. Ce n’est que plus tard, lorsque nous sommes sortis que nous avons compris que ces mêmes motards avaient été utilisés pour empêcher les rassemblements. Nous avons entendu dire que les bureaux du siège de campagne de Moussavi à Gheirarieh avaient été attaqués. A la tombée de la nuit, le général Radan est venu à la commission électorale. Quand nous lui avons parlé de rumeurs de kidnapping, il a ri comme s’il s’agissait d’une plaisanterie.
R : Alors vous n’étiez pas au courant des manifestations et des accrochages quand vous étiez à l’intérieur ?
M : Non, le jour du vote, ils nous ont emmenés dans la salle de conférence du ministère qui est à côté de la commission, mais les portes de la salle étaient fermées à clé et nous ne pouvions pas participer à l’échange d’informations qui avait lieu. Ce n’est que le lendemain, quand nous sommes sortis, que nous avons appris ce qui s’était passé à l’extérieur.
R : Vous n’étiez donc pas dans les bureaux de la commission électorale quand on comptait les votes ?
M : Exact, et nous et personne d’autre, n’avions accès à la commission. C’était comme si la commission avait été démantelée. Notre seul contact était l’unité centrale d’information [de l’agence de presse officielle IRNA]. Le journaliste de l’unité était Randjbaran et il était sûr qu’Ahmadinejad avait gagné. Nous étions en quelque sorte enfermés dans la salle de conférence et nous n’avions aucun moyen de communication avec la commission électorale dans la pièce à côté ou avec les bureaux du ministère ou avec personne d’autre. De temps en temps, nous voyions des représentants des candidats mais uniquement après 17 ou 18 heures. Mais dès que les candidats ont commencé à protester, dès que nous avons entendu que l’on empêchait les gens de rentrer dans les bureaux de vote, qu’ils n’y avait plus de bulletins de vote, nous n’avons plus vu âme qui vive. Je me souviens que Monsieur Torknejad, représentant de Moussavi à la commission à la commission, a annoncé à 22 heures que dans plusieurs provinces, y compris les Azerbaïdjan oriental et occidental, il n’y avait plus de bulletins de vote et que tout le monde s’en moquait. Il a dit s’en être plaint jusqu’à Monsieur Golpaygani, chef du bureau du guide suprême, mais lui non plus n’y a pas porté attention. Le chef de la commission électorale, Daneshdjou, n’a pas non plus répondu à nos questions. La seule communication qu’il a daigné nous faire : il est entré dans la salle durant la nuit, un bout de papier à la main, a lu les résultats puis est parti. L’atmosphère qu’ils avaient créée était telle que personne n’a osé poser de questions. Quand certains ont osé, Monsieur Mardoukhi a commencé à crier, à protester et à scander des slogans contre les Verts.
R : Après votre sortie du ministère, quand vous avez vu ce qui se passait à l’extérieur, êtes-vous revenu au ministère ?
M : Jamais de la vie. J’avais couvert d’autres élections auparavant, mais depuis l’arrivée de Kardan puis de Mahsouli au ministère, les choses avaient beaucoup changé, tout était verrouillé pour culminer pendant les élections de 2009.
R : Lors de votre première interview, vous aviez dit que votre expérience du bloc 350 d’Evine où vous avez passé un an, était très amère. Pouvez-vous l’expliquer ?
M : Oui, quand on m’a emmené au bloc 350, j’ai noté un incident amer. Un homme assis dans la cour était en train de fumer ; un groupe est arrivé qui l’a entouré et a commencé à pleurer. Quand j’ai demandé ce qui se passait, on m'a dit qu’il allait bientôt être exécuté et qu’il avait refusé d’écrire pour demander une amnistie. C’est un homme qui a été exécuté le lendemain en même temps que Djafar Kazemi. Ce fut une expérience extrêmement amère pour moi. Le lendemain, Ali Adjami a été exilé à la prison Redjaï Shahr de Karadj.
R : Comment s’est passée cette année là-bas ?
M : Comme Bahareh Hedayat l’a écrit dans sa dernière lettre, en prison, on se retrouve dans un autre monde. On acquiert et on partage des sentiments communs. Vous mourez d’envie pour des choses que vous ne remarquez même pas dans une vie normale. Même les rêves changent, ils sont confinés à la prison. A certains moment, je ne me souvenais plus du nom de personnalités de premier plan ou de collègues de l’extérieur.
R : Vous avez dit que c’était les jours de visite que vous ressentiez le plus la pression psychologique.
M : Quand les prisonniers rentrent de visite, on pourrait s’attendre à ce qu’ils soient heureux d’avoir rencontré leurs êtres chers. En fait, les fumeurs vont immédiatement fumer une cigarette dans un coin. Les non-fumeurs se couchent pour dormir. Je me souviens qu’au bloc 209, si l’on était seul, on dormait continuellement pendant deux jours [le bloc 209 est le bloc des interrogatoires alors qu’on est transféré au bloc 350 après les interrogatoires]. La pression était si forte après les visites au bloc 350 que l’on dormait beaucoup, comme si les prisonniers n’arrivaient pas à communiquer avec leurs êtres chers, s’ils n’arrivaient pas à comprendre les nouvelles communiquées par les membres de leurs familles durant les visites. Un journaliste a dit qu’au début, il attendait impatiemment les visites régulières de sa famille mais qu’ensuite, il espérait que l’heure de visite se termine vite. Beaucoup, comme Abdollah Momeni [militant étudiant de premier plan qui a fait part des mauvais traitements subis en prison] disait qu’il n’avait aucun espoir d’être libéré. Mais, malgré les pressions, le bloc 350 était différents des blocs 209 ou 240. Quand Hossein Marashi est arrivé, les choses se sont un peu améliorées surtout en ce qui concerne l’exercice physique. Arash Alaï est un médecin qui a essayé de changer la routine quotidienne. Certains artistes ont tenté de rendre la situation plus tolérable pour les autres. Le 25 Bahman, quand on a amené environ 350 nouveaux prisonniers, l’atmosphère du bloc 350 a changé, comme si les prisonniers se rendaient compte qu’il y avait encore des manifestations. Cela leur a rendu l’espoir et a amélioré leur moral.
R: Pendant que vous étiez au bloc 350, certains prisonniers politiques ont été exécutés. Comment avez-vous vécu la chose ?
M: Quand les prisonniers étaient appelés pour être exécutés, les autres prisonniers disaient : « Ils ont recommencé. Ils les emmènent pour les exécuter. » Tout devenait chaotique alors.
R : Quand Monsieur Saber est mort, vous étiez au bloc 350 et avez été témoin.
M : Je m’en souviens, Hoda Saber et Taghi Rahmani étaient au bloc 350 ; on a dit que l’ingénieur Sahabi ne se sentait pas bien. Les deux étaient très liés avec Sahabi et s’était très difficile à supporter pour eux. Quand Haleh Sabahi est décédée, les choses ont empiré pour eux. Certains priaient parce qu’ils ne pouvaient rien faire d’autre. Quand Hadi Saber a commencé sa grève de la faim, Arash Alaï a veillé sur lui. Alaï disait qu’en fait, sa grève de la faim réconfortait Saber qui avait écrit une lettre à ses enfants expliquant la raison de son geste et cette raison n’était pas purement émotionnelle. Certaines personnes d’influence hors de la prison ont écrit à Saber pour qu’il arrête sa grève, mais les officiels de la prison ont retenu ces lettres. Un vendredi matin, nous avons entendu dire que Saber avait été conduit au dispensaire de la prison parce qu’il ne se sentait pas bien. Au dispensaire, le médecin l’a frappé puis fait raccompagné au bloc. Quand on est venu pour le remmener au dispensaire, il a refusé, disant qu’il y avait été battu la dernière fois. On l’a emmené dans un hôpital hors de la prison, mais il était trop tard. Arash Alaï et d’autres docteurs du bloc ont dit que si le premier médecin, celui du dispensaire, s’était occupé de Saber et l’avait envoyé à l’hôpital au lieu de le battre, l’issue aurait été différente. Quand la nouvelle de la mort de Saber est arrivée le dimanche, l’atmosphère du bloc changea du tout au tout. Même ceux qui normalement ne montraient jamais leurs larmes ne pouvaient s’arrêter de pleurer. Puis 12 autres ont commencé une grève de la faim. Mais les autorités de la prison ne s’en sont pas occupé.
Source : http://www.roozonline.com/english/interview/interview/archive/2012/april/30/article/what-happened-at-the-election-commission-in-2009.html
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