Il est probablement vrai que les durs du régime iranien craignent ceux qui diffusent les informations, les militants des médias, les journalistes et les reporters. Ils les voient comme les anciens Américains voyaient les Indiens : le seul bon Indien est un Indien mort (attribué au général américain Sheridan en 1869).
C’est pourquoi les journalistes représentent le groupe le plus important parmi les prisonniers politiques en Iran, si l’on excepte les bahaïs, considérés comme une minorité.
C’est peut-être ce à quoi Behzad Nabavi lui aussi pensait à sa sortie de prison quand il m’a donné ce conseil sur la conduite que nous devrions avoir : « le mieux pour nous est de la fermer. » C’est aussi ce qu’il disait à ceux qui venaient le voir en prison. Il en a aussi parlé dans une lettre au président iranien Hassan Rouhani : il conseillait au président récemment élu de ne pas avoir la libération des prisonniers politiques comme premier objectif mais de plutôt se concentrer sur les solutions à apporter au problème de l’énergie nucléaire et aux problèmes économiques du pays.
Moi-même, quand j’étais prisonnier, je faisais passer le même message à mes visiteurs : les prisonniers politiques, dont des journalistes et des bloggeurs incarcérés dans les prisons d’Evine et de Radjai Shahr portions le même message ; ils ne s’attendaient pas à ce que le nouveau cabinet mette leur libération en top-priorité. J’ai bien sûr assuré Nabavi que nous la fermions tous et que c’était la censure et l’autocensure qui avaient le dernier mot dans les medias nationaux.
Ce que je n’ai pas dit c’est que régime totalitaire qui gouverne l’Iran considérait quiconque impliqué dans les médias de la même façon que le Ku Klux Klan considérait les Indiens et les noirs dans leur pays. Je n’ai pas non plus dit que la plupart des journalistes et des bloggeurs étaient victimes du juge Moghisseh et de ses longues peines de prison, le même juge qui énonçait des peines de mort dans les années 1980, dans une situation complètement différente, et qui, en 2009, a dit que les sympathisants du Mouvement Vert devaient être pendus.
Et maintenant nous lisons que samedi, « les forces de sécurité ont pénétré dans les bureaux de l’hebdomadaire ‘Tedjarat e Farda’ (le commerce de demain), arrêté Saba Azarpeik et l’ont emmenée vers un lieu inconnu. Et en même temps, nous apprenons cette nouvelle incroyable : le juge Moghisseh a condamné huit utilisateurs de Facebook à 123 ans de prison.
Alors que les détails de cette arrestation et de ces verdicts ne sont pas encore publiés, nous savons déjà que c’est l’unité spécialisée dans la cyber-délinquance des gardes révolutionnaires qui avait arrêté les utilisateurs des médias sociaux l’année dernière. Ils sont proches de ceux qui avaient auparavant causé la mort de Sattar Beheshti.
A ce scandale, à ce désastre, il faut encore ajouter la récente décision d’un juge de la région du Fars. Il a cité le PDG de Facebook, Mark Zuckerberg à comparaître, même s’il semblerait qu’il ait, sous la pression, nié l’avoir fait.
Il a dû entendre dire que les autorités judiciaires défient le président et font tout ce qu’elles peuvent pour lui faire perdre la face, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays, lui permettant ainsi de se joindre à la curée, mais il semble avoir oublié sa position dans la hiérarchie. Il est peut-être victime de sa propre ignorance des jeux médiatiques et politiques qui se déroulent à la capitale. Il est devenu célèbre pour son ignorance en partie parce qu’on dit qu’il aurait demandé à un prisonnier pourquoi il avait caché ses emails dans son ordinateur portable.
Ces nouvelles violations et transgressions sont peut-être dues au fait que nous avons envoyé à Rouhani un message, ne pas mettre nos problèmes et notre liberté au nombre de ses priorités et se concentrer surtout sur l’évolution du droit des citoyens, sur les problèmes d’eau et de nourriture des habitants des villes et des campagnes et du bétail.
Dans cette situation, les durs et les autoritaires du régime sont libres de violer toutes les lois dans tous les domaines ; ils peuvent même violer les bureaux des hebdomadaires et les domiciles des journalistes. C’est peut-être à cause de nos recommandations que la cyber-police se sent autorisée à pénétrer le cyberespace et l’intimité des gens, de déposer des plaintes basées sur les écrits personnels et les murmures pour finir par les condamner sous des prétextes comme « activités contre la sécurité nationale », « insultes contre le guide suprême », « propagande contre le régime », « insulte contre la doctrine islamique », etc..
Le résultat en est évident : 123 ans de prison pour huit utilisateurs d’Internet et 20 ans de prison pour Roya Saberinejad-Nobakht et Amir Golestani, Massoud Ghassamkhani et Fariborz Kardarfar condamnés respectivement à 19 ans, 91 ans, 18 ans et 91 ans de prison.
Alors, même si nous acceptons de la fermer à cause de problèmes plus importants et pour notre propre sécurité et par le fait même nous acceptons la censure et l’autocensure, nous continuons et nous continuerons à écrire et à parler de l’emprisonnement des dirigeants du Mouvement Vert, à rendre visite aux proches des prisonniers politiques, à critiquer le régime dans des limites acceptables, à chanter des chants et des poèmes de protestation et à écrire sur les évènements de l’élection présidentielle de 2009. C’est notre façon de vivre et notre vision de la vie ; dans le même temps, les totalitaires peuvent continuer et continueront à nous voir de la même façon : « le meilleur journaliste est un journaliste mort ».
Source : http://www.roozonline.com/english/opinion/opinion-article/archive/2014/june/01/article/the-dead-reporter.html
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