31 mai 2010
Campagne contre l’anonymat
Arash Bahmani
Il n’est pas exagéré de dire que, depuis que le mouvement vert a relancé les demandes que le peuple iranien présente à ses dirigeants depuis 100 ans, nous avons participé au mouvement avec des larmes et de la joie et été témoins de ses progrès, nous réjouissant de ses succès et pleurant quand un allié tombait ou qu’une mort était annoncée, quelquefois sans même avoir vu notre compatriote devenu victime. Nous avons pleuré tout haut, sans cacher nos larmes pour que les appels étouffés des innocents qui demandaient la démocratie et la liberté soient entendus dans le monde entier.
Dans les tout premiers jours du mouvement, nous avons vu des arrestations en masse de nombre des dirigeants politiques du mouvement. Il y avait des arrestations tous les jours. Bientôt, la forme des arrestations changea : les dirigeants politiques étaient derrière les barreaux alors que le peuple était toujours dans la rue. Nous n’avons vraiment compris ce qui se passait qu’après le 20 juin 2009, quand le martyr de Neda Agha Sultan fut connu. A l’époque, les rues étaient pleines de gens que nous ne connaissions pas mais qui connaissaient notre souffrance. Au fur et à mesure de la publication des listes des nouveaux détenus, nous avons commencé ô comprendre que ces noms nous étaient parfaitement inconnus. Le mouvement s’était tellement étendu que son slogan principal était : « Nous sommes innombrables ».
La présence de ces personnes a entraîné un autre problème. Il y avait maintenant d’innombrables pères, frères, mères, enfants, etc…dont l’un des proches était absent le soir. Ces détenus manquants étaient inconnus et ils passaient des jours difficiles et amers dans les prisons iraniennes. Il fallait beaucoup de chance pour qu’un nom soit publié quelque part. Autrement, la plupart des noms des détenus arrêtés dans la rue restaient inconnus en Iran et dans le monde.
Le mouvement vert a vu le jour pour lutter contre la discrimination et a décidé de la déraciner sous toutes ses formes : selon les sexes, les ethnies, les religions, les lieux de vie etc…
Il est à noter que combattre quelque chose n’est pas juste s’y opposer. Sous le règne du shah aussi, tous les partis politiques y compris celui qu finira par créer la république islamique, s’opposait à la dictature. Mais comment le groupe au pouvoir, dont nous voyons les agissements et leurs conséquences quotidiennement, et les groupes d’opposition vivent-ils la démocratie ? Rappelons-nous les mots de Nietzsche qui disait que pour lutter comme un monstre, il ne suffit pas de s’opposer. Il faut combattre le monstre à l’intérieur de nous-mêmes.
Ces derniers jours, une campagne de grande ampleur a été lancée pour Madjid Tavakoli, considéré comme l’honneur du mouvement étudiant iranien. Ce mouvement a beaucoup attiré l’attention, mais nous sommes-nous demandé dans quel état étaient les autres étudiants emprisonnés ? Comprenons-nous qu’il y a environ 100 autres étudiants derrière les barreaux en ce moment même ? Vous êtes-vous enquis de leur santé, de leur état ? Par exemple, avons-nous parlé aux familles d’Abbas Kakai, d’Ali Parviz, de Siamak Mirzaï et des autres ? Savons-nous ce qui arrive à la mère de Mohammad Davari qui n’a pas vu son fils depuis neuf mois ? Il a été arrêté uniquement pour avoir enregistré des documents sur les viols commis dans les prisons de la république islamique ? Qui s’est enquis de la santé du conjoint d’Hossein Nouraninedjad ?
Déjà entendu le nom de Hadi Abed Bakhoda? Savez-vous que c’est un prisonnier politique paralysé à Rasht, qu’il a de sérieuses difficultés à se mouvoir et qu’il a été condamné à deux ans de prison ?
Certains de vous, lecteurs de Rooz Online, utilisez actuellement le logiciel anti-filtrage que Babak Khoramdin a composé et vous a envoyé pour que vous puissiez ouvrir le site. Mais savez-vous que Babak, alias Hossein Rownaghi Maleki, a été arrêté le 13 décembre 2009 et qu’il est détenu au centre de renseignements des gardes révolutionnaires ? Il est sous pression pour coopérer avec les gardes sur le sujet d’Internet et faire des « aveux » télévisés. Quelqu’un sait-il qu’Hossein en est à son cinquième jour de grève de la faim et qu’il est en cellule d’isolement ?
Quelqu’un peut-il dire combien de prisonniers politiques iraniens ont été arrêtés depuis les élections présidentielles du 12 juin 2009 ? Sans parler des chiffres, nous ignorons même le nom de certaines de ces personnes.
Notre mouvement civil doit être une lumière brillante qui nous indique le chemin du futur. C’est le futur que nous nous sommes et peu importe ceux qui s’y associe que l’on vive à la ville ou à la campagne, que le journal soit local ou largement diffusé, militant des droits humains et membres de partis réformistes, etc… Nous voulons bâtir un Iran pour tous les Iraniens. Si nous voulons réussir à affaiblir les bases de la discrimination, il nous faut commencer par notre entourage direct.
Nous devons lancer une campagne contre l’anonymat pour qu’un jour, plus personne ne soit anonyme en Iran.
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