Ils ont été arrêtés au milieu de la nuit du 20 juin 2009. Six hommes sont venus chez eux : des agents du renseignement en civil. Aucun d’eux n’a montré de carte. Trois d’entre eux sont restés dehors, trois sont entrés dans l’appartement et l’ont mis à sac de fond en comble pendant deux heures. Bahman et son épouse, Jila, ont été interrogés et questionnés sur leurs activités professionnelles et leurs opinions politiques. Des CDs, des livres, des écrits et même des albums de famille ont été confisqués. On leur a alors présenté un mandat d’arrêt signé du précédent procureur de Téhéran, Saïd Mortazavi, dont la réputation lui a valu le surnom de « boucher de la presse ».
On a mis Bahman et Jila dans deux voitures ; on les a emmenés à Evine et enfermés au bloc 209. Lui, Bahman Ahmadi Amoui, est en prison depuis ce jour, tandis que Jila Baniyaghoub a été relâchée sous caution après 60 jours de détention, le 19 août.
Depuis ce jour, le but de cette petite femme tenace a été de ramener son Bahman et ses autres amis emprisonnés à la maison. Mais la bataille n’est pas juste, l’adversaire étant un monstre qui ne connaît aucune loi. Et à ce jour, le monstre a gagné : Bahman a été jugé le 11 décembre 2009 par la 26ème chambre du tribunal révolutionnaire. Le verdict est sévère : 7 ans et 4 mois de prison et 34 coups de fouet.
Jila et Bahman sont tous deux journalistes. Elle, rédactrice en chef du site Web Kanoun-é-Zanan-é Iran (Centre des femmes d’Iran), a longtemps été à l’avant-garde de l’émancipation des femmes, un terrain miné en république islamique. Elle avait déjà été emprisonnée en 2006 puis en 2007 et avait alors été mise à l’isolement, interrogée dans le noir et obligée à boire de l’eau polluée. Jila est l’une des fondatrices de la campagne Un Million de Signatures pour l’Egalité, qui a pour but de changer les lois sexuellement discriminatoires en Iran. En 2009, la International Women Media Foundation lui a décerné le prix du courage journalistique (dans le livre d’or, le nom d’ Anna Politkovskaya figure également). Mais en octobre, lors des remises de prix à New York, Washington et Los Angeles, Jila n’était pas présente. Même si elle y avait été autorisée, comment aurait-elle pu laisser son Bahman en prison ?
Bahman lui était un journaliste économique qui a travaillé pour plusieurs journaux reformists comme Sarmayeh (femé par la censure il y a quelques mois). Il vient de la tribu Bakhtiari. Son peuple vivait de l’élevage, transhumant entre les flancs des monts Zagros et la province du Khouzestan ; il a étudié les sciences économiques à l’université de Babolsar sur les bords de la mer Caspienne. C’est là qu’il a commencé sa carrière.
Pourtant, il a fait une grosse erreur. Dans ses articles, il a souvent critiqué la politique économique de l’administration Ahmadinedjad. Il a ciblé le niveau élevé de corruption du pays. Il a même avancé que le lourd déficit et l’inflation galopante étaient dus à la décision du gouvernement de contrôler chaque aspect de la vie économique. De plus, lui et Jila ont soutenu la candidature de Mir Hossein Moussavi lors des élections présidentielles de juin 2009. C’est était assez pour Mortazavi : Bahman aurait droit à un traitement d’exception.
Au bloc 209 d’Evine, Bahman Ahmadi Amouï a été mis à l’isolement pendant plus de deux mois et a rarement eu droit à des visites de membres de sa famille (une seule visite lors de ses premiers 65 jours de détentions). On a menti à son avocate, Farideh Gheyrat ; on lui a dit que le dossier de Bahman avait disparu, l’empêchant ainsi de connaître les chefs d’accusation à son encontre, ou encore quel département du tribunal contacter pour obtenir une libération sous caution. Puis, en novembre, Bahman a été puni pour avoir osé se plaindre des conditions sanitares d’Evine ; on l’a donc puni en l’isolant de nouveau au bloc 350 cette fois.
Et Jila ?
Jila a continué de se battre à l’extérieur de la prison d’Evine. Elle a donné des interviews, fait des sit-in devant le tribunal, envoyé des appels et écrit des lettres d’amour à son Bahman.
Le 1er septembre elle écrit : « Mon chéri, je suis venue à la prison d’Evine hier. J’avais la prémonition qu’on ne me laisserait pas te voir. Je suis quand même venue car je me sens mieux dans l’enceinte d’Evine, plus près de toi et de mes autres chers amis emprisonnés. Je suis venue à Evine non seulement le lundi, jour de visite, mais aussi les autres jours pour me sentir plus proche de toi et de mes autres amis encore emprisonnés. »
Le 8 novembre : « Aujourd’hui, au bout de dix ans de vie commune, je te connais mieux qu’avant et je suis plus que jamais fière de toi. Je suis fière de toi car à chacune de nos rencontres, tu ne poses pas de questions sur ton dossier. Tu ne me demandes jamais quand tu seras libéré et à chaque fois que je veux t’en parler, tu changes de sujet. »
Le 18 novembre, jour de leur anniversaire de mariage : « Aujourd’hui, cela fait exactement 11 ans que je vis avec toi. Nous avons commencé notre vie commune un jour comme aujourd’hui. Ce jour-là, nous avons eu une petite cérémonie toute simple pour fêter ce début. Et tu étais comme tu avais toujours été. Tu ne t’étais pas endimanché. Tu portais le même jean et la même chemise que nous aimions. Ce n’est que lorsque nos amis ont insisté pour prendre quelques photos de nous que tu as passé une veste. »
A la fin : « Te souviens-tu que nous citions toujours ce proverbe asiatique « transformons la douleur en force » ? Je te promets de transformer toutes les douleurs auxquelles je serai affrontée en force. J’espère que toi, de ton côté, tu n’as pas oublié ce mot d’ordre et que la douleur et les punitions de la prison, tu les transformes en force. Je suis sûre que tu peux le faire. »
Source : http://zhila.org/spip.php?article341
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