TEHERAN — Les paradoxes iraniens sont bien visibles au musée d’art contemporain, conçu par l’artiste et architecte iranien Kamran Diba: c’est un musée Guggenheim de New York à l’envers.
Dans le hall central est pendu un mobile d’Alexander Calder acheté lors de l’inauguration du musée en 1977, deux ans avant la révolution islamique. A droite, une sculpture sans titre datée de 1966 de Donald Judd : un arrangement vertical de neuf panneaux de ce que l’écriteau décrit comme du « fer galvanisé » empilés du sol au plafond.
Ce Judd, qui vaut probablement 5 millions de dollars aujourd’hui, n’est que l’une des oeuvres impressionistes, modernes et contemporaines acquises lors de la fondation du musée. Mais c’est, avec le Calder, l’une des seules œuvres occidentales encore exposées ; le reste, dont des Monet, des Van Gogh, des Pissarro, Renoir, Gauguin, Toulouse-Lautrec, Magritte, Miro, Braque et Pollock est enterré dans les réserves. En regardant de plus près la sculpture de Judd, on remarque des éraflures et des tâches de solvant sur plusieurs des panneaux, dont certains sont espacés inégalement sur le mur ou mal fixés – de travers.
Jusqu’à la révolution, l’Iran était l’un des pays les plus cultivés et cosmopolites de la région. Sa littérature et ses mouvements artistiques étaient progressistes, son industrie du film et de la télévision sophistiquée. La population, musulmane chiite pour la majorité, était pieuse mais pas fanatique.
« Nous buvions en public et priions en privé, mais de nos jours, nous prions en public et buvons en privé » me dit mon guide, possédant un diplôme d’ingénieur et dont le travail est de m’accompagner partout et de faire un rapport sur mes déplacements.
Accepter sa présence était l’une des conditions pour pénétrer dans un pays où la présence étrangère n’est ni désirée ni bienvenue. Officiellement, l’Iran ne reçoit que 10.000 touristes par an, un chiffre étonnement bas vu son attractivité culturelle : Persépolis, capitale de l’empire perse achéménide, est l’un des sites archéologiques majeurs de la région. Dubaï, qui n’a rien d’autre à offrir que ses centres commerciaux et sa foire d’art annuelle compte environ un million de visiteurs par an.
C’est une époque inquiétante pour les artistes en Iran. Certains ont tout simplement décidé de rester à l’étranger.
Au printemps 2009, les frères Ramine et Rokni Haerizadeh rentraient à Téhéran après une brève étape à Paris pour leur première exposition à la galerie Thaddeus Ropac quand, selon une interview récemment publiée dans Wmagazine « ils ont reçu un appel d’un ami leur conseillant de ne pas rentrer à la maison. » Leurs œuvres avaient été confisquées pendant l’attaque du domicile d’un de leurs collectionneurs de Téhéran et il craignait qu’ils ne soient arrêtés. Les frères demandèrent à résider aux Emirats Arabes Unis et vivent désormais à Dubaï.
Ici, la culture a de la valeur. Il y a de nombreux théâtres publics, des musées, des galeries ainsi que des écoles d’art, publiques et privées. Chaque année, 40.000 étudiants en art obtiennent un diplôme universitaire dont des graphistes. Mais depuis la fin de la présidence relativement libérale de Khatami, en 2005, de nombreux artistes, rédacteurs, écrivains et cinéastes ont connu la prison.
Selon Hamid Keshmirshekan, rédacteur en chef d’Art Tomorrow, un nouveau magazine iranien d’art contemporain, il y a plus de 80 galeries à Téhéran, 100 si l’on y inclut les lieux d’exposition publics, réparties dans toute la ville mais surtout concentrées au nord, la partie la plus riche de la ville. Beaucoup sont des domiciles privés, l’espace n’y est donc que temporaire. Une poignée de personnes soutiennent l’art. La plupart des propriétaires de galeries sont des femmes, comme ailleurs dans le monde.
Pendant mon séjour a Téhéran, j’ai visité environ une douzaine de galeries, rencontré beaucoup d’artistes talentueux et vu des œuvres étonnamment progressistes. La bonne nouvelle c’est que l’art iranien est vivant et qu’il se porte bien. La mauvaise nouvelle c’est que beaucoup d’œuvres ne peuvent pas être exposées ou ne sont exposées que quelques heures avant de retrouver les réserves a toute allure.
Le ministère de la culture islamique et de l’information tient bien la bride sur ce que l’on peut ou ne peut pas exposer et chaque propriétaire de galerie que j’ai rencontré m’a raconté une anecdote de convocation au ministère pour expliquer puis retirer de l’exposition les œuvres accrochées. Les œuvres jugées choquantes ou blasphématoires exposent le marchand et le créateur à des poursuites.
Les artistes les plus jeunes sont également les plus audacieux. Beaucoup emploient l’humour comme une arme : se moquant indirectement de la clique des mollahs au pouvoir ou montrant du doigt les absurdités et les contradictions de la vie dans l’Iran d’aujourd’hui. Voir ces jeunes gens s’adonner à l’art pour protester est à la fois encourageant et troublant.
En avril, plusieurs galeries de Téhéran espèrent monter une exposition commune improvisée de 70 œuvres consacrées aux fleurs, en solidarité avec Mehraneh Atashi, une photographe arrêtée en janvier 2010 pour avoir pris des images des manifestations de rue à Téhéran. On l’a relâchée à condition qu’elle se mette à prendre des photos sur des sujets plus convenables comme les beautés de l’horticulture locale.
En fait, la photographie s’est révélée un media vital d’engagement social et politique. Shirine Aliabadi et Shadi Ghadirian sont célèbres pour leur intérêt pour les problèmes féminins dans la société iranienne. Les deux ont exposé à l’étranger et leurs œuvres se trouvent dans les collections des musées américains et européens. Madame Ghadirian a récemment créé un répertoire des photographes iraniens sur Internet, fanoosphoto.com, qui organise des expositions en ligne.
Les reporters d’images Abbas Kowsari et Newsha Tavakolian qui vivent à Téhéran, réussissent à vendre et à exposer dans et hors du pays. Monsieur Kowsari aime faire le portrait des absurdités de la société iranienne; ses images de cadets féminines de la police vêtues du tchador et descendant vaillamment en rappel des immeubles publics de Téhéran sont maintenant célèbres. Il y a aussi Arash Fayez, 27 ans, un jeune photographe prometteur Remarqué lors de la dernière foire a la photo de Paris. Sa dernière série « Décadence des souvenirs » consiste en cinq polaroids des reliques préférées de son enfance (dont un ballon et une bouteille de sauce en forme d’ours) avec en toile de fond, le paysage urbain déliquescent de Téhéran, rappelle les rêves fanés de sa jeunesse.
Nazila Noebashari, collectionneuse, a ouvert la galerie Aaran au deuxième étage de l’immeuble familial en plein cœur de Téhéran il y a deux ans. Son bureau est au second ainsi que les réserves. Les œuvres s’appuient aux murs, sont posées sur des étagères de fortune ou au sol parmi les livres. Madame Noebashari est aussi commissaire et elle vient d’organiser une exposition d’artistes iraniens au centre artistique de la 18eme rue de Los Angeles. Sa galerie expose essentiellement des artistes jeunes en quête d’expérience et est l’une des seules de Téhéran a ne pas être ouvertement mercantile.
Quand « Eshgh » (Amour), une œuvre pop sur toile à l’acrylique incrustée de cristaux Swarovski de Farhad Moshiri a atteint $1.048 million à la vente aux enchères Bonhams d’art moderne et contemporain arabe, iranien, indien et pakistanais à Dubai en 2008, de très nombreuses galeries ont commencé à pointer le bout de leur nez à la recherche de cash dans le marché croissant des œuvres iraniennes. Mais les artistes contemporains iraniens de premier plan de Téhéran, y compris Monsieur Moshiri, ont refusé d’exposer dans ces galeries qui, disent-ils, manquent de professionnalisme.
Un autre mode d’expression aime des jeunes artistes progressistes est la performance. La galerie Azad, fondée il y a une dizaine d’années par Rozita Sharafjahan et Mohsen Nabizadeh, la galerie de Téhéran le plus à l’avant-garde qui en héberge souvent, se compose d’un espace en sous sol assez rare : murs peints en noir, sol de béton, dans un quartier résidentiel calme. C’est là que j’ai rencontré Amir Mobed, un artiste conceptuel de 37 ans. Monsieur Mobed s’est fait un nom grâce à une performance à la galerie Azad inspirée par l’artiste américain Chris Burden : il se tient face au public devant une cible, la tète couverte d’une protection métallique et demande aux visiteurs de la galerie de lui tirer dessus avec un fusil à plombs. C’était, dit-il, une exécution symbolique, un message sur la liberté d’expression et les espoirs des artistes de sa génération réduits au silence.
Ce que j’ai vu de mieux dans l’art comprenait des métaphores cachées des problèmes de la nation et de la société. Parmi les étoiles montantes du pays, Barbad Golshiri, 29 ans, fils de l’écrivain iranien décédé Houshang Golshiri. Sa puissante série datant de 2005 de photos au format carte postale, « guerre civile » utilise les nombreux panneaux d’affichage politiques, religieux et commerciaux repartis dans Téhéran comme des métaphores, pas tellement alambiquées des conflits idéologiques au cœur de la société iranienne.
Ce qui résume peut être le mieux la position ambigüe des artistes dans l’Iran d’aujourd’hui est une expérience à la galerie Silkroad. Parcourant un dossier d’estampes de Peyman Hooshmandzadeh, artiste et écrivain récompensé (dont un livre vient d’être interdit), je me suis arrêté sur une représentation de jeunes dans un café de Téhéran regardant un livre de reproductions des photographies de Shirin Neshat, artiste contemporaine iranienne expatriée. J’ai demandé à la propriétaire de la galerie, Anahita Ghabaian Etehadieh, pourquoi ils étaient tellement intéressés par le travail de Madame Neshat.
« Parce qu’il n’a jamais été exposé dans son propre pays » m’a-t-elle répondu.
Benjamin Genocchio est le rédacteur en chef du magazine Art+Auction .
Source: http://www.nytimes.com/2011/03/31/world/middleeast/31iht-m31-iran-art.html?_r=2&src=twrhp
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