mardi 22 mars 2011

La marche en terrain miné - Hoshang Asadi – 19 mars 2011


Conférence annuelle de la société internationale pour les droits humains – Bonn 

Mesdames et Messieurs,

Il n’est pas difficile d’être écrivain en république islamique d’Iran. Cela s’apparente simplement à la marche dans un champ de mines ; en un sens, il est beaucoup plus facile de marcher sur une mine et d’en mourir.

Cela peut vous sembler exagéré ; alors je vous présenterai deux épisodes extraits de mon livre, relatant mon expérience personnelle d’écrivain, pour vous expliquer la situation.

« J’étais jeune et amoureux de la liberté. J’aimais mon pays et la littérature. Je rêvais de changer le monde. Je croyais qu’un jour, l’amour dirigerait la vie. J’ai pris part à la révolution de 1979, rêvant du triomphe de la liberté, du pain pour tous et du despotisme relégué au musée.
Mais je me suis soudain retrouvé en enfer. Pendant trois mois, le seul contact physique, je l’ai eu avec celui qui m’interrogeaus. Son idéologie de haine provenait de ses croyances religieuses ; ses instruments étaient le fouet et les menottes. 

J’avais les yeux bandés, j’étais sans défense comme une biche prise au piège par son « frère ». En république islamique d’Iran, « frère » est le titre commun à tous les croyants. Et tous ceux qui m’interrogeaient étaient des « frères » qui n’avaient que des pseudonymes. Ma vie était entre leurs mains, surtout entre celles de celui que tous appelaient « frère Hamid ». Je ne pouvais rien faire ou obtenir sans sa permission, y compris manger, dormir, me réveiller, etc… Je ne pouvais même pas aller aux toilettes sans sa permission. Il se considérait comme ayant tous les droits, défendait le régime « sacré » et me considérait comme un traître, un espion immoral. C’était l’image de Dieu tandis que j’étais Satan. Je devais « avouer » tout ce à quoi il pouvait penser. Ce que j’ai fait. Chaque fois que je perdais conscience sous la torture, pendant les nuits et les jours où j’étais suspendu au plafond, un bras tourné dans le dos. Je n’avais pas le droit de dormir, j’ai même été obligé de manger mes excréments. Et finalement, j’ai « avoué ».

Le jeune écrivain s’était métamorphosé en la personne la plus haïssable. Il me fallait marcher et aboyer comme un chien. »

Celui qui a écrit ces paragraphes et maintenant devant vous et vous parle. Ces phrases venaient de mon livre « Lettres à mes Tortionnaires ». Dans cette situation, j’ai fait trois tentatives de suicide. Mais ils m’ont sauvé à chaque fois pour me soumettre à davantage de torture.

D’après les aveux qu’ils m’ont extorqués sous la torture, j’étais à la fois un espion pour le MI6 et l’Union Soviétique. Pendant mon procès qui a duré six minutes, le juge, un religieux, m’a traité de salaud et a requis mon exécution. Alors, j’ai été condamné à 15 ans de prison.

A l’été 1988, j’ai eu droit à un second procès, qui cette fois n’a duré qu’une minute, par un tribunal mis en place sur ordre de l’ayatollah Khomeiny et qui a prononcé des peines de mort pour des milliers de prisonniers. Ceux qui y siégeaient détiennent aujourd’hui les positions clés dans l’appareil judiciaire ou politique de la république islamique 

Durant ces procès, les juges ne posaient que trois questions simples :
  • Persistez-vous dans vos croyances du passé ?
  • Acceptez-vous la république islamique ?
  • Priez-vous et obéissez-vous à l’ayatollah Khomeiny ?

J’ai menti pour continuer à vivre. Ce n’est pas simple. J’ai survécu et fini par rentrer à la maison au bout de six ans de prison. Ensuite, je suis resté sous surveillance pendant des années. Je devais rapporter le plus infime détail de ma vie aux autorités lors d’interrogatoires hebdomadaires au début, puis mensuels. Puis, un jour, ils nous ont dit, à mon épouse et à moi :
  •  Vous êtes des étrangers ici ; soit vous partez, soit on s’occupe de vous.

Le voyou a prononcé ces mots en brandissant le poing dans notre direction. Voilà maintenant sept ans que je suis parti. Malheureusement, la situation en Iran est bien plus mauvaise et terrifiante que lorsque j’y vivais. Aujourd’hui, les dirigeants de cette république de voyous ne parlent que torture, prison et mort.

Mesdames et Messieurs,

Malgré tout cela, je me dois de vous dire que la marche en terrain miné pour les écrivains est beaucoup plus ancienne que la république islamique. Si l’on isole le dernier siècle de la longue histoire iranienne qui coïncide avec l’avènement de la modernité dans le pays, nous voyons beaucoup d’artistes qui ont passé leurs vies entre prison et torture avant de mourir.

Bozorg Alavi, l’un des premiers romanciers iraniens, a vécu presque la moitié de sa vie en exil, ici, en Allemagne avant de mourir. De l’autre côté de la frontière, Mohammad Ali Djamalzadeh, le premier à avoir écrit des nouvelles, a subi le même sort. Paris, où je vis actuellement, est le lieu de sépulture de Sadegh Hedayat, le plus grand écrivain iranien du vingtième siècle. Il s’y est suicidé à cause de ce qui se passait dans sa patrie. Sa tombe est proche de celle de Gholam Hossein Saedi, l’un des trois plus grands dramaturges iranien.

Tous ces écrivains majeurs, et certains moins importants comme moi, ont été les victimes du despotisme. Ce que ces écrivains ont du affronter en Iran, encore plus que les problèmes émanant du gouvernement, prennent racine dans le despotisme et la dictature qui envahit le pays comme un cancer en phase terminale. De mon point de vue, la racine de cette tumeur cancéreuse réside dans l’interprétation de la religion présentée par les religieux chiites. C’est ce point de vue qui a empêché la première révolution pour la liberté en Iran, au début du vingtième siècle d’être un succès. Puis, un siècle plus tard, on a volé la révolution du peuple iranien et on a établi la république islamique.

Tandis que je vous parle aujourd’hui, la part moderne de la société iranienne se bat âprement contre le despotisme religieux. Malheureusement, nous sommes cruellement seuls dans cette lutte. Le monde libre, dont Bonn est l’une des grandes villes, n’a toujours pas compris l’importance de la bataille pour la liberté en Iran. Il n’a toujours pas compris que les talibans chiites sont beaucoup plus dangereux pour le monde entier que le fascisme ou le stalinisme. En tant qu’écrivain iranien, je ne peux cacher la profondeur de mon chagrin quand des sociétés comme Siemens-Nokia fournissent à la république islamique les outils pour opprimer la liberté en Iran.

Mesdames et Messieurs,

Je vous remercie de votre patience à mon endroit. J’espère que les rassemblements de ce type aideront à faire comprendre que le problème clé en Iran, ce sont les droits humains et pas le nucléaire. L’Iran ne produira plus d’armes nucléaires quand les écrivains ne seront plus forcés de traverser des champs de mines.

Source: http://www.roozonline.com/english/opinion/opinion-article/archive/2011/march/19/article/walking-through-a-minefield.html

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