mercredi 19 mai 2010

Farzad Kamangar: Mais la nuit douloureuse déborde d’étoiles

Chaque nuit, une étoile est abattue.

Mais la nuit douloureuse déborde d’étoiles.

Salut camarade. Comment te dépeindre ? Comment visualiser le crime dont on t’a accusé ?

Dois-je t’imaginer en jeune homme frêle sur la potence, souriant au soleil florissant, ou en enfant des quartiers pauvres, pieds nus voulant annoncer aux tables du voisinage qui en manquent que le pain va arriver ?

Ou bien en jeune des quartiers riches ayant goûté la liberté et appris l’alphabet de l’injustice et de la douleur à l’école de la vie ?

Oh, attends, j’avais oublié que dans notre ville il n’y a ni quartiers riches ni quartiers pauvres, toute notre ville est pleine de souffrances et de tristesse.

Alors dis-moi, camarade,

Je veux te décrire en Siamand (1), qui s’habille pour son mariage.

Comment ? Je veux savoir comment me souvenir de toi.

Comme un jeune homme qui a pris la route de Shahou aux noyers brûlés pour rejoindre la caravane en route pour le pays du soleil.

Mais rien de tout cela n’est un crime.

Quelle que soit l’amertume d’appartenir à cette nation, lui tourner le dos serait indigne.

Alors, tu ne t’es pas détourné du peuple, sur la potence, tu avais la tête haute.

Repose en paix, camarade, tu sais que la mort d’une étoile est le prélude au lever du soleil, et le cauchemar de cette nation affrontée chaque nuit à la potence mortelle ne peut signifier que la naissance d’un autre enfant au pied de la chaîne du Zagros, un enfant né pour être rebelle.

Que ton corps se mêle à la terre dans la paix et la solitude. Embrasse la terre, car demain, tu en sortiras épanoui.

Endors-toi sans la berceuse de ta mère, sans les adieux de ta sœur et sans voir les larmes de ton père, repose en paix dans une terre où Ebrahim, Nader et Kioumars reposent déjà.

Mais dis-moi, camarade, je voudrais savoir ce que furent tes derniers mots quand le bruit des pas se mêla à celui de la souffrance.

Je voudrais savoir quel poème, quel chant, quel nom je devrai chanter afin que mes genoux ne s’entrechoquent pas lorsque mon tour viendra.

Apprends-moi comment affermir mon cœur pour l’instant suprême, où je verrai toute ma vie se dérouler.

Adieu, camarade,

Farzad Kamangar,
Prison d’Evine

1. Siamand est le héros d’une épopée kurde dont le sujet principal est l’amour et intitulé Siamand et Khadj

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