mercredi 19 mai 2010

La camarade de cellule de Shirin témoigne

Mahdieh Golroo écrit en mémoire de la prisonnière exécutée Shirin Alam-Hooli
Texte traduit par Marthe Gonthier

Mahdieh Golroo, membre emprisonnée du Conseil pour le Droit à l’Education, a écrit une lettre à la mémoire de sa camarade de cellule, la prisonnière politique exécutée Shirin Alam-Hooli.

12 mai 2010 

Tu étais avec nous et maintenant tu es partie sans nous, comme le parfum d’une fleur. Où es-tu partie ?
 
Nous avons passé la nuit de samedi sans Shirin. C’était le moment le plus amer de notre emprisonnement. Ce fut une sombre et terrible nuit. Chaque seconde nous semblait une éternité à nous qui aspirions à revoir Shirin.
 
Le téléphone de la section des femmes était coupé depuis samedi après-midi ce qui ne faisait qu’augmenter l’angoisse. Nous étions ensemble dans une pièce qui n’appartenait qu’à nous. Shirin aimait cela. Elle avait souffert plus que nous et aimait l’isolement mais elle a été la première à quitter la pièce. Cette nuit-là, même celles qui étaient détenues depuis longtemps se remémoraient les personnes s’évanouissant brusquement dans les ténèbres de la nuit pour rejoindre la lumière éternelle de la liberté. Nous avons parlé des souvenirs amers de celles dont les camarades étaient envoyées à la potence. Nous admirions la résistance de ces femmes qui supportaient la tension provoquée par la mort de leurs amies pour que l’avenir des générations suivantes soit plus radieux.

Hélas, le cercle infernal des injustices continue, et notre patience a été mise à rude épreuve quand Shirin a été brutalement séparée de nous sans même avoir le temps de dire au revoir comme si la corde l’appelait par son nom, espérant voir une lueur de peur dans ses yeux d’aigle. Mais je sais bien que le courage de Shirin ridiculisa  cette austère nuit d’Evin et la rigueur de la corde.

L’écoulement de chaque seconde était difficile à supporter. Nous attendions des nouvelles de Shirin. Pour l’emmener, ils ont utilisé pour excuse une erreur dans leurs dossiers : le nom de son père y était mal orthographié. Il ne nous est pas venu à l’esprit que c’était la dernière fois que nous la voyions. L’appétit de vivre de Shirin, les efforts et les progrès qu’elle faisait dans les études la faisaient ressembler à une nouvelle arrivante en prison sur le point d’être libérée.

Quelle nuit que cette nuit. L’appel des prisonniers du dimanche matin fut un lourd fardeau sur nos épaules. Nous avons alors eu la certitude qu’une fois encore, la corde avait pris la vie d’une combattante, une lionne du Kurdistan, dont la résistance défiait les montagnes. C’était difficile de le croire.

Aux informations de deux heures, nous avons entendu que Shirin avait été exécutée et ne reviendrait donc jamais. Même si nous avions déjà appris des exécutions auparavant, par expérience ou par des écrits historiques, nous avons ressenti l’amertume de la perte de Shirin dans chaque cellule de notre corps.

Cette nuit fut l’apogée de toutes les nuits de nos vies. Nous espérions quelque chose que les prisonniers d’il y a vingt ans désiraient déjà ; la fin des injustices pour que la génération à venir n’ait pas à en passer par là.

Quatre jours se sont écoulés depuis cette tragédie. Une écharpe noire, la couleur du deuil, repose sur son lit. 

Je dors sur le sol de ma cellule. Mes compagnes de cellule insistent pour que je dorme dans le lit de Shirin. 

Mais je ne peux pas prendre la place du professeur de poterie ; elle est irremplaçable.
 
Mahdieh Golroo, 
Prison d’Evine
12 mai 2010

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