Majid Tavakoli
Prison d’Evin
Pour celui qui était un peuple à lui tout seul
A la mémoire de Farzad, Ali et Farhad
A la mémoire de Farzad, Ali et Farhad
Par cette lettre, Majid Tavakoli, militant étudiant emprisonné, a voulu honorer la mémoire de Farzad Kamangar, Ali Heidarian et Farhad Vakili [exécutés par pendaison à l’aube du dimanche 9 mai 2010 dans la prison d’Evin].
On avait annoncé qu’Ali devait être transféré au 209 [quartier 209 de la prison d’Evin réservé aux détenus politiques]. Les téléphones de la salle commune étaient coupés. Je suis allé vers la salle commune de notre quartier, mais ici aussi les téléphones étaient coupés. Quand je suis revenu à l’étage, Farzad m’a dit qu’on lui avait annoncé que lui aussi devait être transféré au 209 (c’était un mensonge, ils ont été transférés au 240). Ce transfert dans l’après-midi du samedi (8 Mai) nous avait tous inquiété. En général, le transfert de prisonniers pour des exécutions a lieu le samedi après-midi. Nous étions tétanisés par l’inquiétude mais Farzad disait : "C’est rien. Ils veulent nous poser quelques questions je suppose". Il savait mais il avait comme toujours un tel moral qu’il n’en laissait rien transparaître. C’était à peine croyable. On était ensemble à la bibliothèque quelques minutes auparavant. Ali aussi, qui avait dû arrêter son match de volley, s’était lavé le visage et se préparait. C’était très difficile et douloureux à vivre. Normalement, tous les jours à cette heure-là, après le sport, Ali venait pour qu’on fasse de la physique ensemble. Il voulait passer les quelques matières qui lui manquaient pour son baccalauréat en juin puis préparer le concours [d’entrée à l’université]. Avec un tel moral, personne ne pouvait croire qu’il était condamné à mort. Même si, pour Ali, on pouvait comprendre, pour Farzad, c’était encore plus incroyable. Lui aussi préparait le concours [d’entrée à l’université]. L’histoire de ses fiançailles et de son mariage était toute aussi incroyable. Face au moral et à l’énergie de la jeune fille qui avait accepté d’épouser un condamné à mort, un sentiment d’humilité s’était emparé de tout mon être. Ce n’était pas la première fois que je voyais ces amis dans un tel état d’esprit. Durant l’été 2007 j’avais rencontré ces amis au quartier 209 d’Evin [Majid a en effet été emprisonné auparavant]. La première personne que j’ai rencontrée après ma mise à l'isolement était Farhad. Il parlait de Ghandil. Les dessins de son petit garçon et sa volonté de fer étaient un véritable soutien pour nous tous. Peu de temps après, j’ai aussi rencontré Ali et Farzad. Ali était d’un calme à toute épreuve. Il nous calmait. Et Farzad était un véritable pilier pour nous. Un peuple à lui tout seul et debout. Toujours souriant et plein d’espoir face aux difficultés, même dans les moments de larmes et de sang, lors des interrogatoires et à l’énoncé des verdicts injustes du tribunal révolutionnaire…. J’ai continué à le voir pendant toutes ces journées. Lorsqu’il est arrivé à Evin en provenance de la monstrueuse prison de Sanandaj pour la deuxième fois, il portait une minerve, avait l’épaule luxée et les dents brisées mais sa volonté et sa détermination s’en étaient encore accrues. Sa présence, même quelques jours, nous incitait, avec d’autres amis, à trouver à tout prix des excuses pour le rencontrer comme l’an dernier, lorsque Ali et Farzad avaient été transférés de [la prison de] Rajai-Shahr au [quartier] 240 [de la prison d’Evin] pour être pendus. Ils étaient à l’isolement dans l’attente de l’heure du bourreau, 4 heures du matin, j’étais en grève de la faim et très affaibli, je savais pourquoi on les avait emmenés et je me sentais totalement impuissant, Farzad tentait de me remonter le moral et disant que tout allait bien se passer, et Ali était d’un calme absolu face à tant d’épreuves.
Quand j’étais libre, les conversations avec Farzad me remontaient le moral et quand j’étais à l’isolement, sa voix chaleureuse ne laissait jamais ma mère seule. C’est là que j’ai compris que, même dans les pires conditions, un être humain peut réaliser de grandes choses.
… et ils ont tué mon frère aîné. Un frère kurde que j’aimais amoureusement. Mon frère et mon maître. Un maître pour nous enseigner la résistance, un maître pour tous les enfants d’Iran. Ces jours où il m’a montré comment résister contre les pires tortures et les accusations les plus grotesques, j’ai en fait appris que l’acquis le plus précieux d’un individu face à l’adversité, ce sont ses convictions. J’ai appris qu’on pouvait mourir plusieurs fois dans une salle d’interrogatoire et dans les étouffantes cellules d’isolement sans renier ses croyances. Il était mon maître. Un maître qui m’a enseigné qu’il était possible d’être toujours souriant et de porter un regard humain sur tous les humains, quelques soient les différences et les divergences. Et maintenant, il est parti. Alors qu’il ne voulait même pas dire au revoir, qu’il disait qu’il allait me voir le lendemain. Il ne m’a pas laissé l’embrasser, le serrer dans mes bras. Il m’a juste dit : "je te verrai demain". Je sais pertinemment qu’il a avancé d’un pas ferme et décidé, en harmonie avec celui de ses amis, pour s’approcher du lieu d’exécution. Il avait promis à maintes reprises qu’il ne laisserait jamais le clan des tyrans haineux retirer le tabouret de sous ses pieds. Il avait promis qu’il donnerait lui-même le dernier coup au tabouret. Il ne voulait pas laisser les mains odieuses de la tyrannie lui ôter la vie et je sais qu’il a tenu sa promesse. Je sais qu’il a même souri à la mort. Un sourire qui est devenu un cri pour nous rappeler qu’un monument nous avait quitté pour devenir éternel.
Il est parti, tout comme ses autres amis innocents, mais leur souvenir restera à jamais. Il est parti la tête haute pour devenir un maître éternel. Un maître éternel ayant marqué à jamais l’histoire de la résistance. Un véritable monument d’espoir, un soutien moral considérable pour tous ceux en quête de liberté. Il n’est plus là pour que l’on ressasse ensemble les bons souvenirs du passé. Quand le ministère du renseignement a dû s’agenouiller devant le moral de toute une génération. Un ministère qui a dû lamentablement reconnaître le fait qu’il avait demandé à Farzad, lors de ses retours au quartier 209, de ne pas refaire ce qui s’était passé au 209 pendant l’été 2007. Ils avaient muré notre cour de promenade et supprimé la boite aux lettres! Ils avaient apparemment réussi à la fin de cet été à empêcher les prisonniers de chanter en choeur. Mais Farzad avait encore souri pour signifier que nous allions nous tenir debout et résister pour toujours.
… et à présent ils ont emmené les otages pour dire qu’ils étaient fatigués de la résistance de tels prisonniers. Pour dire que tout le pouvoir de la tyrannie n’est rien face à la détermination et à la volonté des enfants de Kurdistan. Pour dire qu’ils ne pouvaient plus supporter de voir en vie le symbole de leur échec. Farzad racontait que son interrogateur lui avait un jour dit: "vous vous moquez bien de nos gueules quand vous étudiez en prison ou vous voulez vous marier". Cet esprit de combat de Farzad, d’Ali et de Farhad était vraiment unique. Aujourd’hui, je porte le deuil de ces amis qui n’étaient pas que quelques "personnes" : Farzad, un peuple à lui tout seul, Ali grand et amical et enfin Farhad, déterminé et fort comme une montagne. Dans les moments difficiles et malgré les instructions lui imposant de se tenir à l’écart des autres prisonniers politiques, la présence de Farzad à la section 7 me redonnait de l’espoir. L’excuse de la bibliothèque, me permettait de passer ne serait-ce que quelques heures en compagnie de ce monument qu’était Farzad, et cela me suffisait.
Farzad est parti ayant confiance en l’avenir, il était cependant frustré de voir ces luttes de clans et ces personnes qui voulaient tout confisquer à leur profit. Ces derniers jours, il écrivait un texte qui s’intitulait "Je suis un Iranien, Je suis un Kurde Iranien".
(à suivre, traduction incomplète)
Texte en Anglais
On avait annoncé qu’Ali devait être transféré au 209 [quartier 209 de la prison d’Evin réservé aux détenus politiques]. Les téléphones de la salle commune étaient coupés. Je suis allé vers la salle commune de notre quartier, mais ici aussi les téléphones étaient coupés. Quand je suis revenu à l’étage, Farzad m’a dit qu’on lui avait annoncé que lui aussi devait être transféré au 209 (c’était un mensonge, ils ont été transférés au 240). Ce transfert dans l’après-midi du samedi (8 Mai) nous avait tous inquiété. En général, le transfert de prisonniers pour des exécutions a lieu le samedi après-midi. Nous étions tétanisés par l’inquiétude mais Farzad disait : "C’est rien. Ils veulent nous poser quelques questions je suppose". Il savait mais il avait comme toujours un tel moral qu’il n’en laissait rien transparaître. C’était à peine croyable. On était ensemble à la bibliothèque quelques minutes auparavant. Ali aussi, qui avait dû arrêter son match de volley, s’était lavé le visage et se préparait. C’était très difficile et douloureux à vivre. Normalement, tous les jours à cette heure-là, après le sport, Ali venait pour qu’on fasse de la physique ensemble. Il voulait passer les quelques matières qui lui manquaient pour son baccalauréat en juin puis préparer le concours [d’entrée à l’université]. Avec un tel moral, personne ne pouvait croire qu’il était condamné à mort. Même si, pour Ali, on pouvait comprendre, pour Farzad, c’était encore plus incroyable. Lui aussi préparait le concours [d’entrée à l’université]. L’histoire de ses fiançailles et de son mariage était toute aussi incroyable. Face au moral et à l’énergie de la jeune fille qui avait accepté d’épouser un condamné à mort, un sentiment d’humilité s’était emparé de tout mon être. Ce n’était pas la première fois que je voyais ces amis dans un tel état d’esprit. Durant l’été 2007 j’avais rencontré ces amis au quartier 209 d’Evin [Majid a en effet été emprisonné auparavant]. La première personne que j’ai rencontrée après ma mise à l'isolement était Farhad. Il parlait de Ghandil. Les dessins de son petit garçon et sa volonté de fer étaient un véritable soutien pour nous tous. Peu de temps après, j’ai aussi rencontré Ali et Farzad. Ali était d’un calme à toute épreuve. Il nous calmait. Et Farzad était un véritable pilier pour nous. Un peuple à lui tout seul et debout. Toujours souriant et plein d’espoir face aux difficultés, même dans les moments de larmes et de sang, lors des interrogatoires et à l’énoncé des verdicts injustes du tribunal révolutionnaire…. J’ai continué à le voir pendant toutes ces journées. Lorsqu’il est arrivé à Evin en provenance de la monstrueuse prison de Sanandaj pour la deuxième fois, il portait une minerve, avait l’épaule luxée et les dents brisées mais sa volonté et sa détermination s’en étaient encore accrues. Sa présence, même quelques jours, nous incitait, avec d’autres amis, à trouver à tout prix des excuses pour le rencontrer comme l’an dernier, lorsque Ali et Farzad avaient été transférés de [la prison de] Rajai-Shahr au [quartier] 240 [de la prison d’Evin] pour être pendus. Ils étaient à l’isolement dans l’attente de l’heure du bourreau, 4 heures du matin, j’étais en grève de la faim et très affaibli, je savais pourquoi on les avait emmenés et je me sentais totalement impuissant, Farzad tentait de me remonter le moral et disant que tout allait bien se passer, et Ali était d’un calme absolu face à tant d’épreuves.
Quand j’étais libre, les conversations avec Farzad me remontaient le moral et quand j’étais à l’isolement, sa voix chaleureuse ne laissait jamais ma mère seule. C’est là que j’ai compris que, même dans les pires conditions, un être humain peut réaliser de grandes choses.
… et ils ont tué mon frère aîné. Un frère kurde que j’aimais amoureusement. Mon frère et mon maître. Un maître pour nous enseigner la résistance, un maître pour tous les enfants d’Iran. Ces jours où il m’a montré comment résister contre les pires tortures et les accusations les plus grotesques, j’ai en fait appris que l’acquis le plus précieux d’un individu face à l’adversité, ce sont ses convictions. J’ai appris qu’on pouvait mourir plusieurs fois dans une salle d’interrogatoire et dans les étouffantes cellules d’isolement sans renier ses croyances. Il était mon maître. Un maître qui m’a enseigné qu’il était possible d’être toujours souriant et de porter un regard humain sur tous les humains, quelques soient les différences et les divergences. Et maintenant, il est parti. Alors qu’il ne voulait même pas dire au revoir, qu’il disait qu’il allait me voir le lendemain. Il ne m’a pas laissé l’embrasser, le serrer dans mes bras. Il m’a juste dit : "je te verrai demain". Je sais pertinemment qu’il a avancé d’un pas ferme et décidé, en harmonie avec celui de ses amis, pour s’approcher du lieu d’exécution. Il avait promis à maintes reprises qu’il ne laisserait jamais le clan des tyrans haineux retirer le tabouret de sous ses pieds. Il avait promis qu’il donnerait lui-même le dernier coup au tabouret. Il ne voulait pas laisser les mains odieuses de la tyrannie lui ôter la vie et je sais qu’il a tenu sa promesse. Je sais qu’il a même souri à la mort. Un sourire qui est devenu un cri pour nous rappeler qu’un monument nous avait quitté pour devenir éternel.
Il est parti, tout comme ses autres amis innocents, mais leur souvenir restera à jamais. Il est parti la tête haute pour devenir un maître éternel. Un maître éternel ayant marqué à jamais l’histoire de la résistance. Un véritable monument d’espoir, un soutien moral considérable pour tous ceux en quête de liberté. Il n’est plus là pour que l’on ressasse ensemble les bons souvenirs du passé. Quand le ministère du renseignement a dû s’agenouiller devant le moral de toute une génération. Un ministère qui a dû lamentablement reconnaître le fait qu’il avait demandé à Farzad, lors de ses retours au quartier 209, de ne pas refaire ce qui s’était passé au 209 pendant l’été 2007. Ils avaient muré notre cour de promenade et supprimé la boite aux lettres! Ils avaient apparemment réussi à la fin de cet été à empêcher les prisonniers de chanter en choeur. Mais Farzad avait encore souri pour signifier que nous allions nous tenir debout et résister pour toujours.
… et à présent ils ont emmené les otages pour dire qu’ils étaient fatigués de la résistance de tels prisonniers. Pour dire que tout le pouvoir de la tyrannie n’est rien face à la détermination et à la volonté des enfants de Kurdistan. Pour dire qu’ils ne pouvaient plus supporter de voir en vie le symbole de leur échec. Farzad racontait que son interrogateur lui avait un jour dit: "vous vous moquez bien de nos gueules quand vous étudiez en prison ou vous voulez vous marier". Cet esprit de combat de Farzad, d’Ali et de Farhad était vraiment unique. Aujourd’hui, je porte le deuil de ces amis qui n’étaient pas que quelques "personnes" : Farzad, un peuple à lui tout seul, Ali grand et amical et enfin Farhad, déterminé et fort comme une montagne. Dans les moments difficiles et malgré les instructions lui imposant de se tenir à l’écart des autres prisonniers politiques, la présence de Farzad à la section 7 me redonnait de l’espoir. L’excuse de la bibliothèque, me permettait de passer ne serait-ce que quelques heures en compagnie de ce monument qu’était Farzad, et cela me suffisait.
Farzad est parti ayant confiance en l’avenir, il était cependant frustré de voir ces luttes de clans et ces personnes qui voulaient tout confisquer à leur profit. Ces derniers jours, il écrivait un texte qui s’intitulait "Je suis un Iranien, Je suis un Kurde Iranien".
(à suivre, traduction incomplète)
Texte en Anglais
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