Nom : Mojtaba Saminejad
Lieu de Naissance : Téhéran, Iran
Date de Naissance : 30 septembre 1980
Profession : Bloggeur, journaliste, militant des droits humains
Interviewer : Iran Human Rights Documentation Center (IHRDC)
Date de l’Interview : 4 février 2011
Cette déclaration a été préparée suite à un entretien aves Mojtaba Saminejad. Elle a été approuvée par Monsieur Saminejad le 18 mai 2011.
Je m’appelle Mojtaba Saminejad. Je suis né le 30 septembre 1980. J’étudiais le journalisme et la communication à l’université de Téhéran.
J’ai été arrêté deux fois, la première le 31 octobre 2004 ; j’ai été libéré sous caution au bout de 88 jours. Après deux semaines, le 12 février 2005, j’ai été arrêté de nouveau et je suis resté incarcéré pendant 21 mois.
La première fois, j’ai été arrêté pour avoir publié l’incarcération de trois bloggers de mon blog. Mais j’ai été accusé d’autres choses, en autres pour des articles que j’avais publiés sur mon blog. Certaines accusations étaient très graves comme insultes contre le Prophète Mahomet, passibles de la peine de mort si prouvées, insultes contre les ayatollahs Khomeini et Khamenei, crimes contre la sécurité nationale, troubles à l’opinion publique, propagande contre la république islamique et, par-dessus tout, insultes contre le prophète Mahomet.
Il était près de 20h00 quand j’ai été arrêté pour la première fois. J’étais chez moi avec ma mère, l’un de mes frères et un ami. Quatre personnes sont arrivées et m’ont demandé. Je suis allé voir qui ils étaient. Ils m’ont montré mon portrait et m’ont demandé si c’était bien moi, ce que j’ai confirmé. Ils m’ont montré un dossier qui contenait mes écrits et se sont présentés comme agents du maintien de l’ordre. Ils ont forcé l’entrée et ont dit qu’ils voulaient perquisitionner. J’ai demandé un mandat. Ils n’en ont produit aucun. Ma mère et moi avons reformulé notre demande d’un mandat et de qui ils étaient. Mais ils ont répété qu’ils étaient des agents de maintien de l’ordre. L’un d’eux a dit s’appeler monsieur Teherani.
Plus tard, durant les interrogatoires et les conversations avec ceux qui m’interrogeaient, j’ai découvert qu’ils appartenaient à un comité spécial illégalement institué par la Sepah (le conseil des gardes révolutionnaires, IRGC) sous la direction des juges Saïd Mortazavi et Moghadis (plus tard assassiné) pour lutter contre la cybercriminalité et réprimer les bloggeurs.
Ce comité, appelé « Bureau Internet » n’était pas officiellement établi. Il était néanmoins actif et visait les bloggeurs. J’avais posté sur mon blog un article sur leurs activités illégales avant mon arrestation. Les médias étaient plus ou moins au courant de l’existence de ce comité mais le gouvernement ne la confirmait pas.
Ils ont perquisitionné pendant une heure et demie. Pendant cette perquisition, mon père est arrivé. Il leur a aussi demandé le mandat de perquisition mais ils n’ont rien montré. Ils nous ont maudits et insultés durant la perquisition et m’ont menacé. L’un d’eux m’a forcé à accéder à mon blog pour en changer le contenu. Ils voulaient surtout que je réfute que les trois bloggeurs aient été arrêtés pour raison politique et voulaient que j’écrive que c’était pour avoir bu lors d’une soirée. Je ne l’ai pas écrit. L’un d’eux voulait utiliser la force et la violence. Ma mère et mon frère l’en ont empêché. Il m’a dit que je serai emprisonné pendant des années si je ne changeais pas le contenu de mon blog. J’ai écrit ce qu’il m’avait demandé mais de façon telle que les lecteurs flairent l’embrouille. Par exemple, j’ai écrit que j’allais à Shiraz pour participer à une foire aux livres. C’était pendant le mois du Ramadan et chacun sait que les foires aux livres n’ont jamais lieu pendant ce mois-là.
Je crois que, même si j’avais nié l’arrestation des trois bloggeurs, ils ne m’auraient pas relâché. Ils étaient venus pour m’arrêter. Ils ont ramassé tous mes documents personnels durant la perquisition.
Ils m’ont sorti de la maison, m’ont bandé les yeux et ont dit à mon père qu’ils avaient quelques questions à me poser et qu’ils me relâcheraient le lendemain. Deux voitures attendaient dehors. L’une d’elle était une fourgonnette et l’autre une Peugeot. Ils m’ont mis dans l’une d’elles et m’ont forcé à me mettre la tête entre les jambes.
Je ne savais pas où ils m’emmenaient. Au bout d’une demi-heure, la voiture s’arrêta. J’ai compris plus tard qu’il s’agissait de la prison d’Evine. J’ai passé un examen médical et on m’a posé quelques questions sur mon historique médical. Ils m’ont laissé debout devant un mur pendant 45 minutes puis m’ont conduit dans une cellule du bloc 2A administré par l’IRGC. Je suppose que ce bloc est situé au sud-est d’Evine. Ils continuaient à me menacer de me garder en prison pendant des années et de me soumettre au « poulet ». J’ai compris plus tard ce que cela signifiait. « Poulet » était le nom d’une torture. On attachait les prisonniers sur une planche, on le suspendait et on le fouettait.
De nuit, ils m’ont transféré dans une cellule d’isolement. J’y suis resté quatre nuits. On m’a donné un stylo et une feuille de papier et on m’a dit d’écrire si je voulais utiliser les toilettes et de passer le papier par la trappe. Il y avait une petite trappe en bas de la porte par laquelle on me passait ma nourriture. C’est vers cette époque que j’ai vu par hasard un bloggeur dans la prison ; son épouse avait rapporté sur son blog qu’il avait trouvé la mort dans un accident de voiture à Ahvaz. J’ai été surpris de le voir vivant.
La quatrième nuit, les interrogatoires ont commencé. J’ai eu environ 13 personnes pour m’interroger. Il semblerait qu’ils étaient tous membres d’une même équipe supervisée par le comité spécial établi pour réprimer les bloggeurs. L’un d’eux s’appelait Seyed Amir. Il y a quatre ans, j’ai découvert qu’il avait été nommé chef de la sécurité de l’université Allameh Tabatabaï. Je suppose qu’il l’est toujours. Au bout de quatre nuits, on m’a emmené pour m’interroger mais on m’a remmené en cellule immédiatement. J’ai vu qu’il y avait six salles d’interrogatoires dans notre bloc. Après m’avoir demandé mon identité, celui qui m’interrogé a ordonné au garde de m’emmener et de me ramener quand j’aurai fini de prier. Une demi-heure plus tard, on m’amena pour m’interroger. Dès que je suis arrivé, on m’a giflé et poussé contre le mur. Alors, cinq ou six personnes ont commencé à me frapper. On ne m’a posé aucune question pendant une demi-heure, on m’a juste frappé. Lorsque j’ai commencé à saigner, ils ont arrêté de me frapper. On m’a alors assis sur une chaise. Personne ne m’a dit de quoi j’étais accusé. Au bout d’un moment, on m’a remis à un garde qui m’a reconduit en cellule.
Le lendemain, vers quatre heures, un nommé Mohebi du bureau 21 du procureur de Téhéran a écrit ce dont j’étais accusé et m’a demandé de signer le papier. J’étais accusé de crimes contre la sécurité nationale et de troubles à l’opinion publique. Il a inscrit le montant de 150 millions de tomans en tant que caution sur la même feuille et m’a demandé de la signer. Je lui ai demandé ce qu’était ce montant et il m’a dit que c’était ma caution. Je lui ai demandé si ma famille était au courant et il m’a assuré que oui. Il mentait. Ma famille ne savait même pas où je me trouvais. Il n’a pas expliqué le pourquoi de ces accusations. J’ai demandé à rencontrer un avocat. Il m’a dit que je n’avais pas droit à un conseil juridique et que personne n’accepterait de me défendre.
La fois suivante, on m’a enveloppé la tête dans un sac plastique, menotté, couché sur le sol et attaché les pieds avec une corde. Puis on m’a choqué. Je suppose que c’était un choc électrique. J’ai eu très mal à la tête. Ce genre de mauvais traitements a continué pendant quelque temps. Après quelque temps, ceux qui m’interrogeaient m’ont dit qu’ils ne viendraient plus me parler à moins que je n’avoue et que je ne dévoile le nom et l’adresse de mes amis bloggeurs. Je ne connaissais pas les noms et adresses de mes amis bloggeurs. J’ai dit que je ne les savais pas. On me raccompagna en cellule. Personne ne vint me voir pendant 12 jours. Je me sentais insupportablement seul. Ceux qui m’interrogeaient étaient mon seul contact avec le monde extérieur. Ne les voyant pas revenir, je me suis mis en grève et je n’ai rien mangé pendant deux jours. Au bout de 12 jours, ils sont revenus. Pendant un moment, la pression a diminué. Ensuite, ceux qui m’interrogeaient n’ont plus utilisé la violence jusqu’à ce qu’ils soient remplacés et que les mauvais traitements recommencent.
Après quelques temps, j’ai découvert que 21 bloggeurs dont Hossein Reissi, Mohammad-Reza Khansari, Kaveh Ramezani, Afshin Zarieh ainsi que les trois bloggeurs dont j’avais dit qu’ils avaient été arrêtés sur mon blog, Mohammad Blodi, Omid Sheikhan et Peivand Sharif étaient tous dans la même prison que moi. Certaines nuits, on menait de front les interrogatoires des six bloggeurs dans les six salles. On nous battait. Ces nuits étaient terrifiantes. Une nuit, j’ai entendu que dans la salle adjacente à la mienne, on demandait aux deux hommes, deux bloggeurs, d’avouer qu’ils avaient des relations sexuelles illicites entre eux.
L’un d’eux était dans la cellule d’à côté. Il était jeune et m’a raconté une histoire très triste. Nous parlions à travers les petites trappes du bas des portes. Il me dit que plusieurs fois, un garde de service était entré dans sa cellule et lui avait demandé d’avoir des relations sexuelles. Il y avait six gardes de service en trois équipes. Il m’a dit avoir pleuré. Cet homme m’a dit qu’il était terrorisé par le garde et que, lorsqu’il était de service, il n’osait pas aller aux toilettes. Il était en grande difficulté
Nous frappions au mur de nos voisins quand nous voulions leur parler. J’ai frappé au mur pour lui demander de venir parler. Pendant deux nuits, il n’est pas venu. La troisième nuit, il est venu et il m’a dit qu’il avait été forcé à avoir des relations sexuelles avec le garde. Je crois que c’était la troisième semaine après mon arrestation. Habituellement, le garde entrait dans sa cellule à minuit. C’était juste pour le plaisir sexuel. Je l’ai poussé à porter plainte mais il ne voulait pas. Il était accusé de crimes graves. Il avait peur que son dépôt de plainte puisse le mettre encore plus en danger et alourdir sa peine. Il a plus tard été condamné à quatre ans de prison. Au bout d’un mois, la plupart des prisonniers ont été relâchés.
Au bout d’un moment, j’ai pu brièvement appeler ma famille pour l’informer que j’allais bien. La conversation n’a duré qu’une minute.
Je pense que c’était un mois et demi après mon arrestation ; j’ai rencontré un ami bloggeur aux toilettes. Il était très en colère. Il a pris le temps de m’expliquer combien il avait été maltraité la nuit précédente. On lui a ordonné soit de coopérer soit de manger un bol plein d’excréments. Comme il n’a pas avoué, il a été obligé de l’avaler. Il m’a dit qu’il l’avait fait.
Cette nuit-là, quand on m’a emmené pour m’interroger, j’ai remarqué que l’ancienne grossière équipe était de retour. Ils m’ont de nouveau demandé les noms et adresses de mes amis bloggeurs. Sincèrement, il y avait certains bloggeurs que je ne connaissais pas. Je suis devenu ami avec eux en ligne et j’ai posté des commentaires sur leurs pages. On m’a davantage maltraité qu’avant. Il était minuit. Ils m’ont montré un bol plein d’excréments, une feuille de papier et un stylo pour écrire. Ils m’ont donné un choix basique : avouer ou manger. J’ai dit que je ne savais pas. On m’a alors poussé la tête dans le bol d’excréments et me les ont fait manger. J’y ai été obligé. Il y avait environ quatre personnes dans la salle cette nuit-là.
Après cet incident, j’ai fait une nouvelle grève de la faim pendant cinq ou six jours. Les interrogatoires n’ont pas cessé. On me frappait moins mais la pression psychologique augmentait. On m’a par exemple dit qu’on avait arrêté mon père parce qu’il demandait sans cesse de mes nouvelles. Une fois, on a insulté ma mère. Cela m’était insupportable et je me suis battu avec celui qui m’interrogeait. Une autre fois, on m’a montré de faux aveux d’un ami qui avait dit beaucoup de choses à mon propos. On m’a menacé d’une peine lourde. Ils voulaient en savoir plus sur les autres bloggeurs et continuaient à me poser des questions à leur sujet. On m’a par exemple interrogé sur Behzad, un bloggeur qui avait écrit des articles sur la religion sur son blog. Je ne le connaissais pas. On m’a dit de dévoiler ses coordonnées sinon je serai violé avec une matraque.
Les intimidations et les discussions sexuelles faisaient partie intégrante de beaucoup d’interrogatoires. Quelquefois, ils décrivaient un viol avec des détails tellement horribles que j'en vomissais. Par exemple, on m’expliquait comment je serai violé. Durant les interrogatoires, on me posait des questions sur mes relations sexuelles avec mes amies. On voulait par exemple que j’avoue des relations sexuelles avec mes amies. Une de mes amies était journaliste. Ils voulaient que j’avoue avoir eu des relations sexuelles avec elle. J’ai parlé avec elle il y a quelques temps, après sa libération après les manifestations post-électorales de 2009. On lui avait posé le même genre de questions durant sa détention. On voulait aussi que je décrive l’acte sexuel d’un de mes ami avec sa fiancée.
Quelques temps plus tard, je crois que c’était après ma deuxième grève de la faim, un religieux est venu me voir. J’avais les yeux bandés et j’étais menotté. Il m’a fait asseoir sur une chaise pendant six ou sept heures. En parlant, il mangeait des fruits secs. Il m’a expliqué le genre d’ennuis que j’aurai si je n’avouais pas. Il a parlé des élections américaines et iraniennes. Cette nuit-là, j’ai découvert que ma détention provisoire avait été renouvelée pour deux mois.
Je me suis mis en grève pour la troisième fois. On m’a alors permis de rencontrer ma famille et j’ai arrêté ma grève. Ma famille ignorait où je me trouvais. Ils étaient allé dans différents endroits pour demander de mes nouvelles. Nulle part on ne leur a dit que j’étais détenu.
Après 60 jours, on m’a pressé de donner une interview filmée. On m’a demandé de parler d’Internet et de témoigner que ceux qui l’utilisaient seraient corrompus. Je n’ai pas accepté cette interview filmée. Néanmoins, après huit jours, la pression a diminué et j’ai été libéré sous caution après 88 jours. J’avais passé tout ce temps à l’isolement.
Le soir où j’ai été libéré, je me suis créé un nouveau blog où j’ai écrit ce qui m’étais arrivé en prison. Deux ou trois jours plus tard, je me suis rendu au bureau de Shirin Ebadi, le Centre de Défense des Droits Humains, où j’ai demandé asile. J’ai porté plainte auprès de la Commission Islamique des Droits Humains et j’ai écrit à Khatami, le président d’alors, et à l’ayatollah Shahroudi, chef de la justice.
Deux semaines plus tard, le 13 février 2006, j’ai donc été de nouveau arrêté. J’ai reçu une sommation à comparaître au bureau du procureur de la 21ème chambre de Téhéran. Là, Mohebi, celui qui m’avait interrogé, m’a dit qu’il m’avait averti de ne pas parler de mon expérience en Iran avec qui que ce soit. Il a ensuite rédigé les accusations : crime contre la sécurité nationale, trouble à l’opinion publique, publication de faux pour troubler l’opinion publique, négation de l’avènement du Mahdi (crime qui n’existe pas dans le code pénal), propagation de l’immoralité, relations sexuelles illicites, insultes aux prophètes et aux ayatollahs Khomeiny et Khamenei.
Mohebi voulait que je signe cet acte d’accusation. Je ne l’ai pas signé. J’avais deux avocats : Mohammad Seifzadeh et Fereydoun Shami. J’ai dit que je voulais rencontrer mon avocat avant la signature de l’acte d’accusation. Il m’a dit que si je ne signais pas, je serai arrêté. Je n’ai pas signé et Mohebi a ordonné mon arrestation. J’ai été transféré à Evine et mis en quarantaine. A Evine, on m’a enregistré mais on n’a pas fait d’examen médical. Je suis resté deux jours en quarantaine puis j’ai été transféré à Ghezel Hessar.
Après mon admission, j’ai été transféré au bloc trois. Ghezel Hessar compte huit blocs. Ceux qui m’interrogeaient m’ont rendu visite à de nombreuses reprises à Ghezel Hessar et m’ont interrogé. Les interrogatoires portaient de nouveau sur mes relations sexuelles. Ils voulaient connaître mes relations avec une femme qui vivant à l’étranger. J’ai entendu dire qu’après son retour, on l’avait poussé à porter plainte contre moi pour agression sexuelle. Mais elle ne l’a pas fait.
Après quelques temps, on m’a transféré dans un autre bloc. Les drogues étaient facilement disponibles. J’ai assisté au viol de jeunes prisonniers par des prisonniers plus âgés ; à plusieurs reprises. Les prisonniers qui y étaient le plus sujets étaient les jeunes hommes qui sortaient de maisons de correction une fois leurs 18 ans atteints. Les prisonniers voyous qui étaient plus forts pratiquaient communément des abus sexuels sur les plus jeunes et les violaient. La première salle du bloc trois abritaient les prisonniers de moins de 24 ans. J’y ai vu beaucoup de victimes de viols. Quelquefois, quand l’un deux s’opposait aux gardes, il était puni et envoyé dans une autre salle. Là, parmi les voyous, il était vulnérable et facilement violé.
Je n’ai pas eu connaissance de viols commis sur ces hommes par les gardes. J’ai rapporté le viol des prisonniers aux autorités mais ils ne s’en sont pas occupés. J’ai eu connaissance du viol des prisonniers dès la première semaine. J’étais à la douche. Il y avait six ou sept salles dans notre bloc. Les portes n’étaient que partielles et on voyait les pieds et les têtes des prisonniers. Une fois dans les douches et plusieurs fois à l’intérieur du bloc, j’ai été témoin de viols. Beaucoup de prisonniers de Ghezel Hessar ont bien connu ce genre de situation.
Après quelques temps, le chef de notre bloc m’a donné comme tâche de lui rapporter le nombre de prisonniers dans chaque salle tous les soirs. J’allais donc dans les toutes autres salles pour y compter les prisonniers. J’ai vu à plusieurs reprises que les prisonniers les plus âgés agressaient sexuellement les plus jeunes dans ces salles.
J’ai vécu six mois parmi les prisonniers afghans. Ils étaient très mal traités en prison. Je ne me souviens plus de la date Tôt le matin, nous avons été réveillé par un cri extrêmement fort. Le chef de notre bloc nous a dit qu’un Afghan s’était querellé avec un garde et qu’on l’avait amené au bureau principal et que c’était sa voix. Il avait raison, c’était bien la sienne. On le violait avec une matraque là-bas. On le ramena dans la salle au bout de deux heures et c’est là que je l’ai vu.
Après le viol, deux prisonniers afghans l’ont emmené à l’infirmerie. Quand il est revenu, mes camarades de cellule afghans m’ont demandé de faire quelque chose pour lui. J’ai contacté Mohsen Beigui pour lui demander conseil. Nous avons décidé d’écrire une lettre pour se plaindre des gardes. Le prisonnier agressé l’a signée. Mes camarades de cellule ont signé en tant que témoins. Le prisonnier agressé s’est rendu au bureau principal pour remettre la plainte. Il était accompagné par notre représentant de bloc. Trois ou quatre heures plus tard, ils sont revenus avec des sacs de bonbons, de chocolats et de fruits secs. J’ai compris qu’on lui avait aussi remis de l’argent. Le garde l’avait convaincu de retirer sa plainte et il avait accepté.
On m’a ensuite convoqué au bureau principal. On m’a menacé au cas où je poursuivrais cette plainte ; on m’a dit que si je le faisais, je serais en grave danger puisqu’ils avaient réussi obliger le prisonnier à retirer sa plainte.
Les gardes étaient au courant des viols en prison mais ils ne voulaient pas s’en occuper. Ils les considéraient comme un phénomène carcéral ordinaire et routinier au même titre que les bagarres et les drogues. Quand je leur en ai parlé, ils m’ont dit être incapables de les contrôler. En fait, ils ne voulaient pas s’en occuper ou de les contrôler. Ils les ignoraient et laissaient faire. Ils ne tentaient pas de prévenir les agressions ou de punir, ne serait-ce que symboliquement, les agresseurs.
J’ai été jugé par trois tribunaux. La 13ème chambre du tribunal révolutionnaire m’a jugé pour crime contre la sécurité nationale et insultes contre les ayatollahs Khomeiny et Khamenei. Elle m’a déclaré non-coupable de crime contre la sécurité nationale mais coupable d’insultes contre les ayatollahs Khomeiny et Khamenei et m’a condamné à la peine maximale, deux ans de prison. Les autres chefs d’accusation, propagation de l’immoralité, trouble à l’opinion publique par diffusion de fausses informations et relations sexuelles illicites ont été jugés par le tribunal spécial de conduite du 21ème district de Téhéran. On m’a jugé non coupable de prostitution mais coupable de trouble à l’opinion publique et condamné à 10 mois de prison. Pour relations sexuelles illicites, j’ai été condamné à une amende de 100.000 tomans. Mon procès le plus dur était pour insulte contre le prophète qui s’est tenu à la 16ème chambre du tribunal criminel, qui m’a déclaré non-coupable. En tout, j’ai été condamné à 36 mois de prison et à 100.000 tomans d’amende.
Je suis resté en prison 21 mois puis j’ai été libéré sous caution. Je suis resté en Iran deux autres années et je suis parti en 2008.
Source : http://www.iranhrdc.org/english/publications/reports/3401-surviving-rape-in-iran-s-prisons.html#.UAaOZrS7W2A