Ce lundi, j’ai accompagné les mères, les épouses et les enfants des prisonniers politiques dans la salle de visite de la prison Evine de Téhéran. Dans la salle de visite, j’ai vu des militants, le Docteur Maleki et Monsieur Nourizad.
L’atmosphère dans la salle était tendue, des larmes perlaient dans les yeux qui fixaient la porte, espérant son ouverture pour qu’on leur donne des nouvelles de leurs enfants ou même pouvoir les rencontrer.
La veille, c’était la fête des mères mais dans la salle, personne ne se la souhaitait. J’ai entendu la mère d’Akbar Amini appeler son fils et se frapper la poitrine de douleur. Elle venait de voir son fils, la tête et le cou blessés, derrière une vitre. Elle était tellement dépassée par la douleur et le choc qu’elle n’arrêtait pas de se répéter son nom.
La mère d’Amini souffre de diabète et s’est écroulée par trois fois durant la visite avec son fils, deux fois avant et une fois après. Nous avons appelé une ambulance et ils nous ont dit qu’il fallait l’emmener à l’hôpital. Mais elle a refusé de partir disant qu’elle voulait voir son fils d’abord. Un médecin urgentiste qui était venu pour elle a dit qu’elle était dans un état grave et qu’il fallait l’emmener à l’hôpital immédiatement. C’est alors qu’on l’appela au haut-parleur pour qu’elle aille voir son fils. Elle est partie en toute hâte et quelques minutes plus tard, nous avons entendu ses pleurs et ses cris : les pleurs d’une mère choquée de voir le corps blessé de son fils. C’est alors qu’elle s’est évanouie pour la troisième fois et qu’elle est partie pour l’hôpital.
De l’autre côté de la salle était assise la mère de Saïd Matinepour, pleurant sans arrêt, prononçant quelques paroles entre ses sanglots. Elle aussi s’est évanouie et plusieurs personnes sont venues la secourir et lui apporter de l’eau fraîche. « Mère, s’il vous plaît, relevez-vous, ouvrez les yeux chère mère » lui a dit une personne essayant de l’aider à se remettre et de la consoler.
Mère, quel mot beau et douloureux à la fois. Je ressens la douleur que ces mères et d’autres encore ont ressenti. Des larmes perlent aussi dans mes yeux.
La mère de Saïd a dit avoir vu son fils au bout de neuf mois à l’isolement. Au départ, elle ne l’a pas reconnu tant il avait maigri. Elle a alors demandé à sa bru : « Pourquoi ont-ils dit qu’il n’y aurait pas de visite pendant trois mois ? Qu’ont-ils fait à mon fils ? »
Une mère âgée, le visage pâle m’a demandé pourquoi on ne nous permettait pas de rencontrer nos enfants. « Je suis venue de Boroudjerd, 18 heures de voyage. Je ne partirai pas avant de l’avoir vu. J’ai entendu dire qu’ils avaient frappe nos enfants. Pourquoi ? » C’était la mère de Mohammad Davari.
La mère de Soheil Babadi a élevé la voix. Elle était agitée et ne tenait pas assise. « Je n’ai qu’un fils, Soheil. Je dois le voir » disait-elle.
Dans un autre coin de la salle, une fille console sa mère. L’urgentiste venu pour la mère d’Akbar Amini vient aussi l’examiner ; c’est la mère de Mehdi Dolati. Le docteur dit à ses filles d’emmener leur mère à l’hôpital immédiatement.
On entend de nouveau la voix forte des mères dans la salle ; toutes demandent à voir leurs enfants. Elles scandent « Allah-o-Akbar » et « Libérez les prisonniers politiques ». A plusieurs repris, j’ai senti la terre trembler sous mes pieds. J’ai vu le Docteur Maleki asperger d’eau une mère tout en tenant sa canne.
Monsieur Nourizad écoute les plaintes d »une mère. La mère d’Alireza Radjaï revient de la visite, soutenue par son autre fils qui la console. Elle pleure et gémit « Chère Nargues, ils ont tabassé Alireza. A qui se plaindre ? » Je lui réponds « A dieu ». Elle demande alors pourquoi dieu ne s’occupe pas de leur douleur.
La mère d’Hossein Ronaghi-Maleki est assise à côté des mères de Davari et de Matinepour et toutes pleurent sans arrêt. Elle parle de la maladie de son fils et s’inquiète pour sa santé. De temps en temps, elle récite des prières et va jusqu’aux gardiens pour répéter sa demande de voir son fils.
La mère de Saïd Zeinali arrive, le visage plein de larmes. Elle étreint la mère de Saïd Matinepour qui lui demande : « Ont-ils aussi battu votre fils ? ». Elle lui répond : « Je ne sais pas, peut-être » au milieu de ses sanglots. La mère de Matinepour demande à celle de Zeinali : « Vous l’avez vu aujourd’hui ? ». Elle lui répond : « Je voudrais que mon Saïd soit aussi à Evine, j’aurais été là pour lui. » Ces mères, comme les autres, échangent leurs points de vue et leurs douleurs, même si elles ne se connaissent pas, même si elles ne connaissent pas les enfants des autres mères. Mais elles ont en commun un sentiment : l’amour d’une mère pour son enfant.
Voir ces mères mourant d’envie de voir leurs enfants emprisonnés le jour de la fête des mères n’est pas chose facile. Et je suis déconcertée de l’indifférence des dirigeants de ce pays face à tant de mères en larmes parce qu’elles ne peuvent pas voir ou être avec leurs enfants.
Source : http://www.roozonline.com/english/news3/newsitem/archive/2014/april/28/article/stop-the-suffering-of-the-mothers-of-this-country.html
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