mardi 29 avril 2014

L’odeur du sang était partout – Nooshabeh Amiri – 28 avril 2014

Nous savons tous que beaucoup d’hommes et de femmes des excès de la première décennie de la république d’Iran des années 1980. Ils ont appris à connaître le régime et sa nature par les excès horribles et affreux et les transgressions de personnes comme le boucher d’Evine Ladjevardi et « frère Hamid ». Deux décennies sont pourtant passées et ces mêmes victimes continuent de souffrir de la douleur infligée alors à leur âme autant qu’à leur corps. La douleur se manifeste et explose souvent à la moindre cause qui déclenchera un suintement de souffrance et de douleur et, de temps en temps on se retrouve projeté entre les murs de la section 350 d’Evine aujourd’hui. C’est l’endroit où règnent la torture, la bastonnade et la violence sous toutes ses formes. Ceux qui perpétuent cette violence sont les « frères » et des hommes pseudo-religieux qui n’ont toujours pas étanché leur soif de sang après s’en être repu pendant plus de 30 ans.

Comme les parents des prisonniers d’aujourd’hui, nous continuons à voir des gens de notre génération aux âmes brisées dont certains sont encore dans des cellules sombres. Ils restent dans ces cellules, craignant à tout instant qu’on ne leur inflige davantage de douleur encore. En prison, nous voyons nos semblables, mais il faut que nous en ayons nous-mêmes fait l’expérience pour vraiment comprendre ce qu’ils nous ont fait, ce qu’ils sont en train de faire maintenant dans la section 350 de la prison d’Evine.

En dépit de tout ce qu’ils ont fait pour nous réduire au silence, pour nous dissuader, nos semblables sont de plus en plus nombreux et nos rêves humanistes sont plus solides que jamais. Si, à notre époque, ces victimes étaient des dirigeants qui soutenaient les travailleurs (comme Rahman Hatefi), de nos jours ce sont des travailleurs qui se moquent de leurs tortionnaire (Sattar Beheshti). Si c’étaient des religieux qui ont passé leur vie derrière les barreaux (comme l’ayatollah Montazéri), aujourd’hui ce sont des religieux qui s’engagent dans des prières pour la liberté (Mohsen Mirdamadi). Si c’étaient des nationalistes qui étaient viscéralement attachés à leur pays (Ezzatollah Sahabi), aujourd’hui ils sont assez forts pour défier leurs tortionnaires en leur demandant de les torturer davantage (Emad Bahavar).

Mais le groupe qui nous fait face est composé des mêmes menteurs qui, hier, signaient les ordres d’exécution d’un clignement d’œil et dressaient immédiatement l’échafaud. Et même quand ils ont versé des larmes de crocodile par opportunisme, ils créent encore des groupes et des institutions comme la prison de Kahrizak ou roulent sur les corps dans la rue. Ce sont des hommes avides de pouvoir qui nomment Mostafa Pour-Mohammadi à la tête de la justice (juge qui a ordonné les exécutions de masse de 1988).

D’un côté de cette bataille entre la vie et la mort se tiennent des hommes qui ne lâchent rien sur leur demande de droits humains, même sous les tortures les plus violentes. Aujourd’hui, leur message est : « Vous avez tort de croire que nous allons vous laisser détruire ceux que nous aimons » à chaque occasion. Ces hommes qui, le jour même où des mères sont tombées après avoir vu les fils torturés et blessés, se sont rasé la tête pour protester, ont regardé les agents du renseignement dans les yeux ; on les a jeté à terre et ils se sont relevé pour montrer qu’ils ne craignaient plus les agents, même si la salle de visite rappelait la prison d’Abu Ghraib.

De l’autre côté se tiennent les alliés de Monsieur Kamenei dont le nombre se réduit. Ceux qui ont remplacé des hommes comme Ladjevardi à Evine et qui jouaient au football en plein champ, sont aujourd’hui obligés de se déplacer en véhicule blindé, ne pouvant faire confiance à personne de leur entourage, chacun d’eux agissant comme un microphone pour son compagnon d’armes. Ces hommes savent trop bien qu’à la fin de la république islamique, ce sera leur tour de faire face à la population et qu’ils devront affronter leur destin.

Nous connaissons des hommes et des femmes dont les voix ont été étouffées dans les cellules d’isolement, dont on a volé la vie, dont on a pris le nom, la maison et la ville. Mais on ne peut leur retirer ni leurs rêves ni leur espoir. L’espoir est bien vivant dans chaque centimètre carré de ce pays.

Aujourd’hui Emad Bahavar, Hassan Assadi Zeydabadi, Abdolfattah Soltani, Hossein Ronaghi Maleki, Akbar Amini, Yashar DaralShafa, Saïd Haeri, Sadigh Kaboudvand, Behzad Arab Gol, Saïd Matinepour, Ghorban Behzadiannejad, Akbar Amini Armaki, Amine Tchalaki, Siamak Ghaderi, Mohammad-Sadegh Rabani Amlashi, Alireza Radjaï, Reza Shahabi, Mohsen Mirdamadi, Mohammad Shodjaï, Gholmareza Khosravi, Soroush Sabet, Soheyl Babadi, Mohammad Davari, Mehrdad Ahankhah, etc… sont des graines dont les bourgeons poussent déjà. Ces hommes qui saignent à chaque bastonnade nous rappellent que le temps n’est pas loin qui verra l'avènement d'un futur différent.

Nous nous lèverons, nous planterons des arbres dans nos blessures, nous nous fortifierons et nous grandirons malgré et grâce à notre douleur. Nous sommes ici et nous y resterons.

Aux détenus de la section 350 d’Evine, je déclare : notre cœur est avec vous ; nous partageons vos douleurs et vos larmes versées. Mais tout ceci, ces jours noirs et amers eux aussi passeront.

Source : http://www.roozonline.com/english/news3/newsitem/archive/2014/april/28/article/the-smell-of-blood-was-everywhere.html

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