samedi 26 avril 2014

Témoignage d’Emad Bahavar sur l’attaque brutale contre les prisonniers politiques de la section 350

J’ai l’impression que la douleur a pris possession de mon corps. Je n’avais jamais encore tâté de la matraque  J’ai été arrêté le lendemain de l’élection de 2009 et je n’ai pas pu être aux côtés du peuple pendant les manifestations.

Quand huit personnes pesant chacune plus de 100 kilos s’agitent au-dessus de vous, vous donnant des coups de pieds, des gifles et des coups de matraques, on ne sent plus rien au bout de quelques minutes.

On ne ressent même pas si l’un de ses os a été fracturé, si l’on saigne, si l’on est blessé. Ce n’est que quelques heures après avoir été battu et agressé que l’on arrive à penser à s’examiner en détail pour vous ce qui nous est arrivé.

En plus des gardes, il y avait plusieurs hommes en civil qui nous battaient : un gros de 120 kilos qui portait une chemise blanche avec un col clergyman par-dessus son pantalon et qui avait une barbe assez longue, un autre de 130 kilos, athlétique, un peu plus grand, qui avait le lobe des oreilles arraché, une chemise blanche et rose, un autre de 140 kilos, qui mesurait environ deux mètres, portait des lunettes noires et un costume, et le reste, des bodybuilders de 100 kilos portant des jeans serrés et des tennis.

J’étais au premier étage et j’ignorais ce qui se passait en bas. J’entendais seulement les voix dont le volume allait augmentant. Je me suis dirigé vers l’entrée de la section pour voir ce qui se passait.

J’ai entendu les hurlements du hadj agha : « frappez-les » et les hommes en civil ont dévalé les escaliers.

C’est là que j’ai vu le gars de 120 kilos pour la première fois. Il a retiré sa veste, il était en colère. Il faisait tournoyer sa matraque au-dessus de sa tête en hurlant et en jurant.

En un instant, j’ai revu les scènes des vidéos de 2009 ; c’étaient les mêmes qui frappaient sauvagement la population dans la rue.

Je ne pouvais pas me contenter d’observer la bastonnade, j’ai retiré ma montre pour la jeter par terre. Je me suis dirigé vers le hadj agha et je lui ai crié : « Pourquoi les frappez-vous ? »
Ce qu’ils ont traduit par « Pourquoi ne me frappez-vous pas ? » D’un seul coup, plusieurs d’entre eux on fondu sur moi en me frappant et en me donnant des coups de pieds.

Hadji s’est dressé devant moi et m’a demandé qui j’étais. « Emad Bahavar, du quartier général de Monsieur Moussavi. » Le gars de 120 kilos m’a donné un coup de poing au visage. Il a commencé à cracher des injures sur Moussavi. Hadji a dit : « Moussavi et sa femme sont partis se cacher, la peur au ventre, dans un trou. »

Le gars de 130 kilos m’a crié : « Assieds-toi », je n’ai pas bougé. Je suis tombé sous une rafale de coups de poing, de pied et de matraque.

Je me suis relevé et me suis placé face à Hadji, le fixant dans les yeux. Le gars de 120 kilos a hurlé : « Baisse la tête ! Baisse les yeux ! » Je n’ai pas bougé. Le gars de 130 kilos a joint les mains entre mes jambes, m’a soulevé et projeté au sol. De nouveau, rafale de coups de pied, de poing et de matraque.

De nouveau, je me suis relevé et j’ai fait face à hadji : « Cela fait 5 ans que nous faisons face… »
Ils envoyaient toujours plus de gardes en bas, il y en avait environ 200. L’un des commandants a hurlé : « Que les soldats qui ne veulent pas participer au tabassage ne descendent pas. » Beaucoup sont restés à l’étage.

Ils emmenaient les gars un par un à l’étage jusqu’au bout de la section. Tous étaient menottés, certains avaient le visage en sang et pouvaient à peine marcher. Ils étaient obligés d’en porter certains en les portant par les bras et les jambes, à l’horizontale. Certains avaient été tellement battus qu’ils n’arrivaient plus à marcher. J’en ai reconnu trois : Khalghati, Ebrahimzadeh et Fouladvand. En tout, il y en avait environ 30.

Ils ont bandé les yeux de tout le monde. Ils m’ont aussi apporté un bandeau et des menottes. J’ai résisté et protesté un peu mais sans résultat.

Ils nous ont mis sur une rangée dans le couloir de la section 350, menottés et les yeux bandés, face au mur. Certains gémissaient. De nouveau, ils nous ont battus par derrière. Les gémissements sont devenus plus forts.

Les gardes ont formé un tunnel humain de la porte de sortie de la section jusqu’à un fourgon garé dehors. Ils nous ont forcés à traverser ce tunnel en nous battant, en nous donnant des coups de pied. Il y avait du sang tout le long du chemin jusqu’au fourgon et à l’intérieur.

Dans le fourgon, les gens s’annonçaient : Mohammad Davari, Gholamreza Khosravi, Mohammad Sedigh Kaboudband, Mehrdad Ahankhah, Madjid Assadi, Soheil Arabi

Apparemment, quelqu’un est intervenu pour moi, on m’a appelé et dit de quitter le fourgon. Ils ont emmené les autres.

Hadji, au milieu de ses hommes, me faisant face, m’a fait un discours éloquent contre le Mouvement Séditieux et Mir-Hossein et a parlé du pouvoir et de l’autorité du régime.

Le gars de 130 kilos m’a apporté un verre d’eau glacée. Le chef de la sécurité leur a ordonné de m’emmener au dispensaire de la prison. Ils y avaient emmené Esmaïl Barzegari auparavant. Il avait les côtes cassées. Plus tard, ils y ont emmené Omid Behrouzi dans des vêtements trempés de sang ; il avait eu le poignet ouvert par du verre brisé. Kamiar Sabeti avait eu un problème cardiaque.

J’ai entendu dire qu’ils avaient trouvé plusieurs portables et iPods. Voilà cinq ans qu’ils ont coupé le téléphone de la section. Tout ce « déploiement de force » parce que certains voulaient entendre la voix de leur famille ou apprécier quelques instants de calme au son de la musique. Il n’y a rien d’illégal à la 350, que de l’amour et de la musique.

J’ai mal dans tout le corps. Je ne veux pas dire la douleur et le mal des contusions au poignet dues aux menottes de métal, ni le mal à l’oreille gauche causé par les fortes gifles, ni le mal au cou venant des coups de poing à la tête et au cou, ni le mal à la langue qui était entre mes dents durant une rafale de coups de poing et de pied, ni le mal au dos des coups de matraques en plastique, ni le mal aux reins et aux genoux, contusionnés par les coups de pied.
Aucune de ces douleurs n’est importante et elles se calmeront bientôt. La source du mal est ailleurs. Les années de prison nous ont fait oublier les blessures de 2009. Nous avons oublié le mal et la souffrance que les mères et pères en deuil sont endurés.

Nous avons oublié la douleur de la perte de Neda, de Sohrab, d’Ali, de Taraneh et des autres martyrs. Nous avons oublié la douleur des balles et des matraques, des battes de base-ball, des poignards et des poings américains utilisés par les hommes en civil sur le peuple.

L’attaque du 17 avril contre la section 350 nous a rappelé toutes ces scènes et a ramené toutes ces douleurs dans nos âmes.

Quand Rouhani est arrivé, nous nous sommes dit que les souffrances de la population seraient réduites, que la situation s’améliorerait et que nous pourrions alors fermer les yeux sur tout ce que nous avions souffert. Certaines des mères en deuil ont aussi dit qu’elles étaient prêtes à pardonner.

Les évènements sanglants du 17 avril nous ont montré que la haine dans leurs cœurs noirs surpassait l’amour et le pardon des Verts.

J’aurais voulu murmurer ces mots à l’oreille d’hadj agha : « Nous voulions pardonner, souviens-toi, mais vous, vous ne le vouliez pas… »

Source : http://www.kaleme.com/1393/02/02/klm-181647/

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