lundi 31 août 2009

Le calvère d'Abdolfattah Soltani, avocat et collaborateur de Shirin Ebadi

Entretien du journal Le Monde avec Abdolfattah Soltani après sa libération: ici

Dans la prison d'Evin à Téhéran, "la nuit, j'entendais des cris"
LE MONDE | 28.08.09 | 16h15 • Mis à jour le 28.08.09 | 20h56

Près deux mois et demi d'incarcération, l'avocat Abdolfattah Soltani, pilier à Téhéran du Centre de défense des droits de l'homme auquel collabore le prix Nobel de la paix Shirin Ebadi, a été libéré mercredi 26 août. Cet homme droit et discret, dont le courage n'est plus à démontrer, a été plusieurs fois emprisonné pour son combat en faveur des droits de l'homme. Joint par téléphone à Téhéran à sa sortie de prison, il a raconté son arrestation au Monde. " Le 16 juin (quatre jours après l'élection contestée du président Ahmadinejad), quatre agents en civil se sont présentés dans mon cabinet au nom du parquet révolutionnaire, sans explication, ni mandat d'amener." Les yeux bandés il est emmené dans ce qu'il croit être la prison d'Evin. Il devra attendre vingt-sept heures avant qu'un juge lui signifie qu'il est là pour "activités contre la sûreté de l'Etat et propagande contre le régime".



Ensuite, c'est l'enfer : "Je suis resté dans une cellule minuscule pendant 17 jours, sans voir personne, sans livre, sans nouvelle, sans même la permission de prendre une douche." Les interrogatoires se succèdent. On le menace beaucoup mais on ne le brutalise pas physiquement "Les juges voulaient que je m'engage à renoncer à travailler avec Shirin Ebadi et que je cesse de parler aux médias étrangers, notamment la BBC."

Abdolfattah Soltani ne cède pas. On finit par le transférer à la fameuse "section 209" d'Evin, prison dans la prison aux mains des services secrets des gardiens de la révolution. Pour lui, épuisé par la solitude, c'est "déjà un progrès". "Je partageais ma cellule avec deux, parfois trois détenus. Des jeunes manifestants pour la plupart. J'avais de quoi lire, me laver. J'ai pu téléphoner enfin chez moi."

Les pressions et les interrogations reprennent de plus belle. "J'ai fait valoir que mon arrestation était sans fondement. Qu'ai-je à voir avec les partis politiques ? Je n'appartiens à aucun, je ne milite que pour les droits de l'homme."

Il se rend vite compte que les détenus n'ont pas le droit d'être assistés par un avocat lors des interrogatoires. "Ils ont modifié la procédure pénale en ce sens, si bien que durant l'instruction, règne l'arbitraire le plus total. Moi, je me sentais privilégié en tant qu'avocat, je pouvais répondre, argumenter. Les jeunes ne connaissaient pas leurs droits, ils étaient plus vulnérables aux pressions." D'autant que ces "pressions" sont brutales.

A Evin, à la section 209, il entend tout : "Au cœur de la nuit, il n'était pas rare que ces jeunes soient réveillés et interrogés. A plusieurs reprises, j'ai entendu des cris. "je n'en peux plus ! Arrêtez !"" Ses codétenus le lui confirmeront, plusieurs ont été sévèrement battus et torturés. Certains, venus d'autres prisons, lui expliqueront "qu'ils ont vu des milliers de personnes arrêtées dans des centres de détention semi-secrets comme Kahrizak (fermé depuis par le régime pour "abus"), Shapour ou Pasargad".

Finalement - effet de la campagne internationale en sa faveur ? -, il est libéré, mais doit payer une caution. "L'équivalent de 70 000 euros, ce n'est pas négligeable pour un avocat comme moi qui défend gratuitement des centaines de détenus politiques."

Et l'avenir ? M. Soltani est catégorique. "Les autorités ont fermé notre Centre il y a déjà quelques mois, mais je reprends le travail." Au passage, juriste jusqu'au bout, il porte plainte contre Matin Rasek, le vice-procureur révolutionnaire qui l'a fait arrêter "car je n'ai rien fait d'illégal".

Ce nouveau témoignage s'inscrit dans la polémique en cours au sein du régime sur le traitement des quelque 4 000 personnes arrêtées durant les manifestations post-électorales. Le candidat réformateur Mehdi Karoubi en dénonçant des "viols systématiques" en prison avait provoqué la création d'une commission d'enquête parlementaire à ce sujet. La commission dit pour l'instant ne pas avoir de preuve. Mais l'un de ses membres - s'exprimant toutefois de façon anonyme - a confirmé sur Internet les accusations, précisant mercredi que des viols à l'aide "de bouteilles et de bâton" avaient été pratiqués. Un nouveau sujet d'embarras pour le gouvernement de M. Ahmadinejad qui affronte en fin de semaine le vote de confiance d'un Parlement divisé.

Marie-Claude Decamps

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