Le militant étudiant emprisonné Madjid Dori a écrit une lettre de la prison Karoun d’Ahvaz où il a été illégalement transféré alors qu’il se trouvait auparavant à la prison de Behbahan.
Je voulais écrire aux murs, mais je sais que les murs s’écrouleraient en prenant connaissance de mon calvaire…
Behbahan est une ville où j’ai passé trois ans de ma vie sans même voir la ville. Lors de mon transfert à Ahvaz, en traversant les places Steil et Khareston, j’ai compris combien de souvenirs je partageais avec elles, même si je ne les avais jamais vues auparavant. J’ai compris combien de souvenirs j’ai de cette ville, sans même avoir marché dans ses rues, combien ses habitants me sont familiers, alors que je ne les ai jamais rencontrés. Behbahan : sans aucun doute, un jour je reviendrai marcher dans tes rues et tes ruelles pour compenser le temps perdu. Citoyens de Behbahan, je voudrais tant que vous sachiez combien je aurais voulu vous rencontrer ; je n’ai reçu de vous que des messages pleins de compassion et d’amour. Je vous envoie toute ma gratitude, vous avez été là pour moi. Je vous remercie pour la gentillesse que vous avez montrée à l’égard d’un hôte que vous n’aviez pas invité. Je vous en sais gré et j’espère vous voir un jour.
En route pour Ahvaz, il était environ 17h30, l’heure la plus chaude de la journée. La route était sèche et il y avait peu de circulation. Je ne voyais que collines et chaleur. Il n’y avait que montagnes et chaleur, il n’y avait que palmiers et chaleur. Le gardien qui m’accompagnait, il s’appelait Gholam, m’a menotté et entravé. J’ai protesté ; il m’a dit : « Je sais mieux que toi. » Il avait raison. Il semble que la loi, ou ce qu’ils appellent la loi, comprend tout ; il y avait un autre homme, détenu pour affaire de drogue, qui se rendait dans un centre judiciaire de rééducation ; mais lui n’était pas menotté ou entravé. Cela m’aurait intéressé de savoir comment la décision avait été prise. Les entraves m’avaient blessé aux jambes ; même pour aller aux toilettes, le gardien refusait de me les enlever. D’où venait la décision ? Qui a fait ces lois ?
L’exil, le transfert, c’est un tourment de quitter une cellule de prison pour une autre cellule de prison, beaucoup moins de changer de prison, beaucoup moins de supporter un autre fardeau. La route, la chaleur, les entraves, un long voyage, l’éloignement de la maison, le manque de ceux qu’on aime, les soucis, les montagnes, le passé, le futur, un mirage, les collines, les épines, la jambe blessée par les entraves, la mauvaise conduite du gardien, la tristesse, pourquoi on a été emprisonné, l’emprisonnement actuel, les menottes, hier, le présent sans conclusion, demain, au-revoir, bonjour ….
Durant tout ce temps, j’ai écrit à tous ceux à qui je devais écrire pour demander de l’aide ; tout est tombé dans l’oreille d’un sourd ou sous les yeux d’un aveugle. Ils faisaient peut-être juste semblant d’être sourds. J’ai perdu plus de quatre ans de ma vie derrière les murs d’une prison, mais c’est une blessure qui n’a jamais guéri, comme une blessure ouverte d’où suinte perpétuellement la douleur. Cela explose, se fixe dans le temps, les amis partis, les chemins parcourus.
J’ai décidé d’écrire une lettre adressée à personne. Une lettre à personne, pas même à moi-même. Quand on ne m’écoute pas, quand on ne me comprend pas, alors, à qui devrais-je écrire, quand ils se considèrent comme le centre du monde et des parangons de justice. Ils sont tellement égoïstes et centrés sur eux-mêmes qu’ils voudraient que tout le monde leur ressemble. Existe-t-il une prétention plus grande ? A qui écrire ? A ceux qui m’ont infligé cette grande injustice? A qui écrire, quand, en l’espace de quatre ans personne ne s’est demandé pourquoi ? Pourquoi ne pas avoir permis à mon avocat de présenter ma défense ? Pourquoi, sans preuve, m’ont-ils jugé coupable de ce que le juge lui-même avait trouvé sans fondement ?
Alors que le juge soi-disant indépendant a dit qu’il subissait des pressions. Pourquoi personne n’a demandé quelle sorte de pressions ? Des pressions qui venaient de qui ? Pourquoi, quand le verdict a été cassé par la cour suprême, moins de 10 jours plus tard, on énonçait le même verdict ?
L’accusation était partagée en deux parties : Moharebeh (être ennemi de Dieu) et propagande. Pourquoi la cour d’appel a-t-elle conservée l’accusation de Moharebeh pour laquelle je plaidais innocent, mais abandonné celle de propagande que je reconnaissais ? Pourquoi ma plainte en bonne et due forme contre le juge et le procureur n’a même pas été prise en compte ? Pourquoi m’avoir exilé ? Pourquoi ne m’avoir même pas accordé un jour de permission pour assister au mariage de mon frère, même après avoir déposé la caution ? Pourquoi 250 millions de tomans pendant deux ans ? Pourquoi le juge m’a-t-il exilé à Eizeh, alors qu’il n’y a même pas de prison là-bas ? Vous voulez dire qu’il ne le savait pas ? Pourquoi l’exil à Behbahan ? Et pourquoi l’exil à Ahvaz de nouveau? Pourquoi, pourquoi, et des dizaines d’autres pourquoi sans réponse?
J’ai passé deux ans et neuf mois à la prison de Behbahan. En raison de la conduite hautement recommandable de mes camarades de cellule et des gardiens, il y a des choses que je n’oublierai pas. Quand je suis arrivé à la prison Karoun d’Ahvaz, j’ai apprécié la cour et l’air frais, la vue du ciel, même s’il apparaît quadrillé ; je n’ai pas pu m’empêcher de me souvenir de la cour de la prison de Behbahan couverte de plusieurs couches d’entrelacs de câbles. Quelquefois, en ville, il y avait beaucoup de poussière dans l’air, mais nous ne l’avons jamais sentie à cause des couches d’entrelacs de câbles qui couvraient la cour. Il y avait beaucoup d’air en mouvement là-bas, ce qui rendait l’endroit très chaud.
Chaque fois qu’un inspecteur ou un responsable venait, il le voyait. Je le leur ai dit des dizaines de fois, mais sans aucun résultat. Pouvoir respirer de l’air frais était un désir profond et voir le ciel un rêve. Une prison qui abritait de deux à deux fois et demi sa capacité, qui n’avait pas le nombre suffisant de sanitaires. De plus en plus de restrictions chaque jour, plus de contrôle chaque jour. Même les visites étaient de plus en plus limitées. Une prison sans bibliothèque. Des activités culturelles arrêtées par manque de 100 mille tomans. Même s’il n’y avait pas de salle de cours, pour obtenir une liberté provisoire, il fallait assister au cours et obtenir l’examen.
Quand de 10 à 12 personnes étaient dans la cour et plus de 300 tentaient d’utiliser les sanitaires, il ne restait plus d’endroit pour marcher. Le nombre de détenus qui devaient dormir par terre augmentait quotidiennement.
Les gardiens prenaient des décisions arbitraires, confiscation des livres et d’autre chose, même les sous-vêtements, et les empêchaient d’arriver jusqu’aux prisonniers. Ils ont fermé la cantine. Fumer était interdit, mais après des protestations, ils ont vendu les Winston 6000 tomans le paquet. Le favoritisme accordait des points pour recevoir des privilèges, mais il était de plus en plus difficile de gagner des points. Les détenus n’étaient pas séparés selon leurs crimes. Les efforts des autorités de la prison pour remédier aux problèmes ne servaient à rien puisqu’ils ne recevaient pas assez de budget. Pas assez d’espace. Un nombre accru de prisonniers et pas de restauration. Une très mauvaise qualité de nourriture pour tenter d’économiser de l’argent et à cause de l’achat de nourriture bon marché et de mauvaise qualité. Même si les prisonniers tentaient de leur donner du goût, c’était réellement immangeable.
Les responsables et les inspecteurs ne se montraient habituellement que pendant les mois d’hiver, quand le temps était meilleur. Leurs inspections n’ont jamais rien donné de positif. Elles ne créaient que plus de restrictions, les prisonniers étaient surveillés plus étroitement pour qu’ils ne puissent rien divulguer. Et s’ils y arrivaient quand même, ils étaient exilés ou perdaient leurs droits à une libération provisoire. Sans parler de tous les préparatifs réalisés juste avant la visite des inspecteurs.
Je voulais écrire aux murs, mais je savais qu’ils s’écrouleraient en prenant connaissance de mon calvaire. Alors, j’ai décidé de m’adresser à des personnes en particulier. Parce que tout ce qui précède fait peut-être partie des normes des droits humains pour certains, et que je pourrais, sans le vouloir, mettre en question et/ou abîmer les critères des droits humains de ces messieurs, critères qui, à leur dire, seraient devenus la norme internationale pour les droits humains.
En ce moment, je suis à la prison Karoun d’Ahvaz. La courtoisie veut que je commence par saluer Ahvaz. Alors bonjour Ahvaz ! Voudrais-tu d’un hôte que tu n’as pas invité ? !
Madjid Dori – Prison Karoun - Ahvaz
Source: http://www.kaleme.com/1392/05/23/klm-154752/