Fariba Kamalabadi a été condamnée à 20 ans de prison pour avoir fait partie des dirigeants de la communauté bahaïe iranienne. On ne lui a pas permis d’assister au mariage de sa fille.
Ma Taraneh, ma belle mariée,
En ce moment, alors que je t’écris, un océan de joie se répand en moi, des vagues de délice déferlent sur le rivage de mon cœur. Certains pourraient croire que la peine et la souffrance accompagnent toujours la tristesse et le chagrin, mais ce n’est pas le cas. Il est possible de naviguer sur un océan sans bornes de joie, de voler dans des cieux bénis tout en étant au sommet de la peine et de la souffrance. Qu’est-ce que cette peine et qu’est-ce que cette joie ?
Cette peine, c’est celle de la séparation, la peine d’une mère loin de son enfant depuis tant d’années, sans l’aide de la parole qui lui créerait des poèmes d’amour. Elle l’a étreint en pensée, l’a réchauffée ; sans la voir, elle l’a vu grandir et maintenant, avec les yeux de l’âme, elle l’admire, toute d’élégance et de grâce, dans sa robe blanche de mariée.
Cette peine, c’est celle de la séparation, la peine d’une enfant séparée de sa mère, qui s’étant vu dénier le droit à une mère, a néanmoins grandi, s’est développée. Dans les moments amers de sa vie, quand la chaleur d’une mère lui manquait, elle n’était pas à ses côtés. Et même maintenant, lors du plus beau jour de sa vie, celui de son mariage, la place de sa mère est vide.
Cette peine a un doux parfum de joie ; la joie d’une mère qui découvre que son enfant est devenue une jeune-fille gracieuse, déterminée et constante, sereine dans son cheminement, extraordinaire dans ses choix, élevée dans ses rêves ; cette mère admire ses choix.
Cette joie est celle d’une enfant qui comprend ce que veut dire être éloignée de sa mère, et qui, en empruntant le chemin de la solidarité, enrichit cette signification ; maintenant, main dans la main de Farid, elle emprunte fermement le chemin de la solidarité.
Mes chers Taraneh et Farid,
Je sais que vous pardonnerez mes erreurs. Je sais que vous accepterez mes excuses pour mon absence lors des moments les plus heureux de votre vie. Vous savez bien que chaque atome de mon être est avec vous, chaque cellule de ma vie, et que mes prières remplissent l’atmosphère de cette cérémonie. Vous savez bien que j’ai fait tout ce que j’ai pu pour me joindre à vous ; vous savez que j’ai demandé une permission pour assister à votre mariage, et aujourd’hui, au bout de sept ans de prison, même pour une occasion si rare, on n’a pas accédé à ma requête. Vous savez que, lorsque j’ai appris ce refus, j’ai demandé d’être déplacée pour quelques heures, menottée et accompagnée de fonctionnaires. Mes codétenues ont envoyé des demandes écrites pour soutenir ma demande.
L’accord initialement donné à ma requête avait suscité beaucoup de joie et d’espoir ; vous aviez essayé de changer votre planning pour vous ajuster aux nouvelles conditions, mais quelques jours plus tard, ma demande était rejetée. A l’annonce de ce rejet, en quittant le bureau, ils m’ont de nouveau convoquée pour me promettre de prendre ma troisième demande en considération, celle qui demandait de célébrer le mariage à la prison d’Evine. Le plan qui consistait à réquisitionner une pièce dans le bâtiment des condamnations pour y célébrer le mariage avec au maximum dix invités avait été accepté et je vous en avais informés par téléphone. Vous avez été attristés d’apprendre qu’on refusait de m’envoyer vers vous, vous avez néanmoins cru dans leur promesse de la dernière option ; vous accrochant à cette occasion, vous avez changé vos plans pour cette nouvelle situation ; mais finalement, on m’a informé que cette troisième option était, elle aussi, rejetée ; voilà comment je n’ai pas pu assister au moment le plus précieux de votre vie.
Vous voyez le niveau de transparence dans le traitement des prisonniers ? Et les méthodes de torture déguisées ? Comme si l’on avait à faire à un objet inanimé comme une pierre ou un morceau de bois ; peu importe comment on le frappe, on se joue de lui, on le jette de ci de là, il ne ressent rien. Mais ils se trompent lourdement ; parce qu’en ce moment, ce n’est pas nous mais eux qui ressemblent à des pierres et à des morceaux de bois, dénués de tout sentiment humain et donc incapables d’appréhender les sentiments profonds qui unissent une mère à son enfant.
De quoi ont-ils peur ? D’une mère qui doit passer 20 ans de sa vie en prison pour le seul crime d’être de confession bahaïe, et qui au bout de sept ans de prison doit être privée du mariage de son enfant, ne serait-ce que pour quelques heures ? Mon crime est le plus beau du monde. C’est un crime dont je suis fière et dont toutes les générations futures seront fières. C’est un crime pour lequel, historiquement, tous les saints et prophètes ont souffert de grandes douleurs et des catastrophes. Mon crime est de révérer un Dieu Unique, et de reconnaître la vérité de toutes les religions divines. Mon crime est de m’efforcer de promouvoir le principe de l’unicité de la race humaine et de la paix universelle. Mon crime est de nourrir un désir de servir l’humanité en esprit, et un amour pour tous les êtres humains en mon cœur. Mon crime est de m’efforcer de réanimer notre pays sacré, l’Iran, et de promouvoir son honneur et son exaltation.
Je vais encore vous parler de la joie, comment son éclat et sa splendeur sans pareils affaiblissent toute émanation de peine et de souffrance jusqu’à les abolir complètement.
Ma belle Taraneh, tu sembles être privée du bienfait d’avoir une mère, mais tu as été reçu une bénédiction supplémentaire, celle d’avoir une mère encore plus gentille, une autre Fariba qui t’étreint amoureusement. De la même façon dont tu as reçu l’étreinte de beaucoup d’autres mères : Alia Zarinkar, Firouzeh Oladi, Fariba Eshraghi et beaucoup d’autres chères à mon cœur ; maintenant, de ma plume maladroite, avec des mots maladroits, j’honore leur amour et leur sacrifice.
Une autre réflexion sur la joie et le bonheur de mon cru. J’ai certes été privée de vivre avec mes deux filles, mais j’ai l’honneur de vivre ici avec d’autres filles chères à mon cœur dont moi, l’Iran et les Iraniens peuvent être très fiers.
Des êtres d’une noblesse et de potentiels sans pareils, qui ont passé des jours de leurs vies, leurs talents et leurs jeunesses en prison pour gagner la fierté et l’honneur de notre cher Iran. C’est la réalité de nos idéaux. Le monde doit devenir une seule famille, les relations humaines semblables à celles qui unissent les mères à leurs filles, les pères à leurs fils et les frères à leurs sœurs.
Novembre 2014, prison d’Evine
Source : http://iranpresswatch.org/post/11236/?utm_source=feedburner&utm_medium=feed&utm_campaign=Feed%3A+iranpresswatch+%28Iran+Press+Watch%3A+The+Baha%27i+Community%29
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