jeudi 25 décembre 2014

Interview de Soussane Tabianian

Soussane Tabianian a été arrêtée et emprisonnée à plusieurs reprises. En 2010, elle a passé un an à la prison d’Evine. Demain, elle se rendra à la prison de Semnan, au nord de l’Iran pour commencer à purger un an de prison pour « propagande contre le régime et soutien à des groupes hostiles au régime ».

Quand avez-vous été arrêtée pour la première fois ?
C’était à l’apogée du mandat de Monsieur Khatami en 2005. La communauté bahaïe avait décidé d’écrire une lettre sur les pressions injustes auxquelles elle devait faire face.

A qui cette lettre était-elle adressée ?
Aux autorités du gouvernement. Je faisais partie de ceux qui ont donné cette lettre à sept ou huit directeurs à Semnan, dont le directeur du département de la justice, le directeur général des assurances et d’autres. Avant de la leur donner, j’ai décrit les injustices dont les bahaïs avaient souffert durant ces années. En fait, c’était une pétition. Mais il ne s’est même pas passé deux jours avant qu’on ne me stoppe et un mois avant que je ne sois convoquée.

Etait-ce ma première fois que vous étiez convoquée ?
Oui, mais il faut mentionner que durant le mandant de Monsieur Khatami, la justice traitait la communauté bahaïe de façon plus légale. Neuf membres de la communauté bahaïe de Semnan ont été convoqués. Nous sommes allés au tribunal et avons été emprisonnés une nuit. Le lendemain, nous avons été libérés sous des cautions très légères. Six d’entre nous ont été condamnés à six mois avec sursis et trois autres à trois de prison. Mon sursis a duré quatre ans.

Etes-vous allée en prison en 2009 pour la même infraction ?
Non, c’était pour autre chose. Le bureau du renseignement de Semnan m’a arrêtée cette année-là quand ma fille avait juste un an et demi et dépendait beaucoup de moi. Cette fois-ci, j’ai été arrêtée pour avoir donné une interview à Massih Alinejad et Radio Farda dans laquelle j’exposai la situation difficile des bahaïs de Semnan.
J’ai été emprisonnée et interrogée plusieurs jours puis libérée sous caution. Mais quelques mois plus tard, le tribunal me condamnait à 18 mois de prison.

De quoi étiez-vous accusée ?
De propagande contre le régime et d’avoir formé un groupe bahaï illégal. J’étais professeur de morale et c’est pourquoi j’ai été condamnée à un an de prison pour formation d’un groupe illégal. J’ai pris six mois pour propagande contre le régime.

Pourquoi avez-vous été transférée de Semnan à Evine ?
Le 30 juin 2010, je me suis présentée pour purger ma peine. On m’a alors dit qu’il n’y avait pas de place pour moi, alors on m’a envoyée dans l’une des plus grandes prisons de Téhéran.
Quatre femmes, dont moi, ont été transférées de Semnan à Evine. C’étaient des jours difficiles pour moi, mais j’ai eu ma récompense. J’ai connu deux personnes à Evine qui m’ont beaucoup influencée, ainsi que mes codétenues. L’une d’elles est Haleh Sahabi, qui a beaucoup aidé à sensibiliser le public sur le sort des prisonnières. Puis, il y a eu un miracle : Nasrine Sotoudeh est arrivée dans notre bloc et nous sommes devenues très proches. A cette époque, je n’avais aucune expérience et je ne connaissais rien à la politique.
Avant l’arrivée de Nasrine, les prisonnières avaient des idées politiques très différentes mais elle a apporté une harmonie positive qui s’est enracinée en nous toutes.
Bien que j’aie été libérée à la fin de ma peine, il semble que cela continue.

Pourquoi avez-vous été arrêtée la fois suivante ?
Le 31 mai 2014, j’avais invité deux de mes amis qui ne sont pas bahaïs pour étudier des langues ensemble. Ma fille assistait à un cours artistique et j’étais seule à la maison avec mon fils Sami, 12 ans. Quand on a sonné, j’ai vu le visage de mes amis, alors j’ai ouvert, mais je  me suis vite rendu compte que tous deux s’étaient blottis au fond de l’ascendeur, confus et apeurés, quand un homme masqué s’est précipité pour maintenir la porte ouverte. J’ai immédiatement fermé la porte. Il a tambouriné dessus pendant près de deux heures. Je lui ai dit que je n’ouvrirai que s’il me présentait un mandat car il serait sinon illégal pour lui d’entrer.

Et il avait un mandat ?
Oui un mandat de perquisition et d’arrestation. Mais pour être franche, ce qu’il m’a montré par le judas ne ressemblait en rien à un mandat officiel. C’était une page déchirée signée par le substitut du procureur, Hossein Zamani, celui qui s’occupait de mon dossier. Il était manuscrit, avec des mots et des parenthèses barrées et disait que l’arrestation devait avoir lieu même si c’était de nuit. C’était un papier désordonné.

Quand avez-vous fini par ouvrir la porte ?
Je l’ai laissé dehors jusqu’à ce que mon mari rentre. Pendant une heure et demie, ils ont retourné l’appartement et m’ont emmenée dans une pauvre cellule sale. J’ai été interrogée immédiatement. Il était 21h30. Je leur ai dit que, d’après la constitution, il était illégal de mener des interrogatoires après les prières du soir. Celui qui m’interrogeait a été surpris de voir que je connaissais ces détails, mais je n’ai pas abandonné. Je lui ai dit qu’on ne m’avait jamais fait part des charges qui pesaient contre moi et que, jusqu’à ce que cela soit fait, je ne lui répondrai pas.

Quelles étaient ces accusations ?
Ils ne me l’ont pas dit le jour même. Le lendemain, ils m’ont sorti de ma cellule d’isolement pour m’interroger. Zamani m’a dit que j’étais ici pour l’interview donnée à Massih Alinejad et Radio Farda. J’ai refusé l’accusation. J’ai été interrogée pendant trois jours mais j’ai résisté à toutes les demi-preuves qu’ils avaient rassemblées car je ne les considérais pas comme légales. Etait-ce une assez bonne raison de me terroriser ou de m’interroger parce que j’avais parlé à Nasrine Sotoudeh, à Monsieur Nourizad ou à des familles bahaïes ? Ou, peut-être parce qu’on m’avait prise en photo à une commémoration de Sattar Beheshti ? Ou parce que j’avais parlé à Radio Zamaneh des pressions économiques sur la communauté bahaïe de Semnan ?

Vous souvenez-vous des interrogatoires ?
Je m’en souviens comme si c’était hier. Celui qui m’interrogeait entrait en fureur, déchirait ses notes et m’insultait mais je répondais en décrivant ce qui se passait. Je disais : « Celui qui m’interroge m’insulte maintenant » ou bien « celui qui m’interroge hurle. »
Pendant les interrogatoires, j’étais sous une pression intense et j’ai perdu sept kilos en une seule semaine. On m’a même envoyée à l’unité de vérification des identités pour comparer ma voix avec l’interview donnée à Radio Zamaneh. Le livre de prière qu’ils avaient trouvé chez nous est devenu une preuve de propagande contre le régime mais j’ai répondu à chaque accusation pendant les interrogatoires mais je sentais que je serai acquittée parce qu’il n’y avait aucune preuve de ma culpabilité.

Quelle est votre profession ?
(Rires) Je savais que vous me poseriez cette question. J’étais conseillère d’orientation. En 2005, je travaillais dans une clinique mais j’ai été licenciée parce que j’étais bahaïe. Comme mon travail touchait à la culture, je n’ai pas eu le droit de continuer. En 2006, j’ai eu une patente pour ouvrir un magasin de vêtements pour femmes, amis après que l’on ait découvert, pour la deuxième fois, que j’étais bahaïe, on m’a retiré ma patente et on m’a dit que je n’avais pas le droit de posséder une boutique.

Combien de temps êtes-vous restée à l’isolement avant d’être transférée à la section générale ?
Je n’ai jamais été transférée à la section générale Après une semaine d’interrogatoires, j’ai été transférée à une section de la prison de Semnan qui interne les prisonniers de conscience. J’étais la seule bahaïe emprisonnée alors j’étais dans une cellule individuelle de la section commune. J’y suis restée 45 jours puis j’ai été libérée sous caution. Mais le tribunal révolutionnaire de Semnan m’a condamnée à un an de prison et la cour d’appel a confirmé le verdict.

Comment vous sentez-vous moralement ?
Je me sens bien, je suis juste inquiète pour mes enfants. Ma fille a sept ans et va à l’école. Elle ne comprend pas totalement la signification de la prison et de mes aspirations. En ce moment, elle est inquiète sans arrêt et répète : « Maman, il y a combien de jours dans un an ? Si j’étudie et que je réussis mon examen, tu reviendras ? »

Croyez-vous en la liberté de conscience ? Par exemple, si votre fils voulait se convertir au judaïsme ou au christianisme, que feriez-vous ?
J’y crois vraiment. La liberté de culte est le premier des droits humains, c’est ce qui ressort de tous nos enseignements. Je crois que nous devons essayer de créer un monde humain uni, que l’on soit musulman, bahaï, chrétien ou athée. L’important est de construire un monde correct et bon.

Source : http://en.iranwire.com/features/6184/

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