Je suis venu de loin pour vous parler. Malheureusement, ce sera de la torture. Je suis un enfant du pays de l’amour et des fleurs rouges. Un grand poète de mon pays, Saadi a écrit à propos de la bonté entre humains et ce poème est aujourd’hui visibles pour tous les représentants des nations siégeant aux Nations Unies.
Je viens d’un pays oriental dont le roi, Cyrus le Grand, a autrefois écrit une charte des droits humains pour la moitié de la population mondiale qui vivait alors dans son empire.
Et aujourd’hui je suis ici pour vous parler de la torture. Je veux qu’il soit clair pour tout le monde que la torture et les tortionnaires n’ont pas leur place en Iran, dans la culture iranienne ou au sein de l’aimable peuple d’Iran. La torture est pratiquée par un petit groupe qui a envahi dans mon pays bien-aimé il y a trente ans et tente de s’imposer au peuple iranien par l’oppression et la torture.
Je ne suis qu’une des victimes de ce système inhumain et tortionnaire et mon livre ne relate qu’une histoire parmi des milliers.
Durant mes six ans de prison, j’ai observé les prisons de la république islamique d’Iran les plus répugnantes et les plus infâmes. J’ai appris comment des milliers d’hommes et de femmes, jeunes et vieux étaient torturés à mort devant mes yeux, en même temps que moi et même après moi.
En 1988 j’étais sur le point d’être exécuté alors que le massacre des prisonniers politiques était en cours sur ordre direct de l’ayatollah Khomeiny. J’ai menti au « tribunal » pour me sauver la vie, peut-être pour pouvoir un jour, des années plus tard, me tenir devant vous et ailleurs aussi, pour décrire l’horrible holocauste de la république islamique d’Iran.
Il et important de raconter ce qui s’est passé mais pas uniquement pour enregistrer le passé. Maintenant, alors que je vous parle, ceux qui m’interrogeaient et qui sont maintenant au pouvoir en Iran ont ouvert une nouvelle ère de torture.
Mesdames et Messieurs,
Je voudrais résumer le contenu de mon livre pour ceux qui ne l’auraient pas lu en trois grands chapitres : l’Amour, le Pouvoir et la Torture
AMOUR
Le sujet sous-jacent de mon livre est l’amour. L’amour de la liberté, l’amour de la patrie, l’amour de l’humanité et l’amour de mon épouse. Ces amours s’interpénètrent pour prendre le nom d’Iran. Ils prennent forme humaine et se transforment en un bouclier de protection contre la torture.
Le regard courageux de ma femme y est omniprésent. Son regard me voit, me donne de la force. J’étais torturé en prison tandis qu’elle était torturée à l’extérieur. Notre crime commun était l’amour. L’amour qui donne l’espoir et crée la vie au milieu de l’enfer. Au bout de deux ans et demi à l’isolement, j’ai finalement eu la permission d’écrire une lettre de six lignes à mon épouse et de recevoir une réponse de la même longueur chaque mois. Ma femme a publié ces lettres qui étaient censurées entre la prison et la maison et au retour dans un livre intitulé « Amour et Espoir. »
POUVOIR
Le livre parle aussi du pouvoir. J’emmène le lecteur quarante ans en arrière dans ma cellule où j’ai rencontré un jeune religieux. Nous sommes devenus amis. Ce religieux était jeune, gentil et souriant. Il connaissait la littérature et l’amour. Quand un prisonnier de gauche était amené dans cette cellule, il paraissait embarrassé et tourmenté par les tortures qu’il avait subies et le religieux lui donnait toute la viande des repas, le nourrissant de ses mains après ses prières. Aujourd’hui, le monde entier connaît ce religieux. Tout le monde connaît l’ayatollah seyyed Ali Khamenei en tant que dictateur. De la même main dont il nourrissait un prisonnier de gauche, il signe aujourd’hui les ordres d’exécution et de torture de milliers de jeunes musulmans.
Mon livre parle également d’autres personnalités politiques, mais la métamorphose de l’ayatollah Khamenei est des plus instructives.
TORTURE
Quand j’ai été arrêté, l’ayatollah Khamenei venait d’accéder à la présidence de l’Iran. En prison, on m’a emmené par hasard dans la cellule où j’avais été enfermé avec Mr. Khamenei.
Je me souviens que c’était l’hiver quand on m’a transféré dans une autre cellule. Ce jour-là, Mr Khameini qui était très mince, tremblait, je lui ai donné ma veste et il m’a murmuré à l’oreille, le visage inondé de larmes : « Dans un régime islamique, les yeux des innocents ne verseront plus aucune larme. »
Mais j’ai été emprisonné par le régime islamique. Mon crime était d’avoir travaillé dans un journal qui appartenait à un parti politique de gauche qui soutenait la république islamique d’Iran.
Et sous un régime où aucune larme ne devait être versée, j’ai appris la torture idéologique.
J’ai décrit cette sorte de torture dans mon livre et je dirais maintenant que son but est de briser l’être humain.
Mesdames et Messieurs,
Les pieds me brûlent encore des tortures subies il y a trente ans. Et quand j’ai reçu ma première gifle au milieu de la nuit en 1983, on m’a également montré une arme de poing pour symboliser le premier article de la constitution iranienne. Le lendemain, j’ai testé le fouet.
Une vie entière s’est écoulée depuis lors, mais la vie me ramène à ces jours horribles.
J’étais jeune alors et amoureux de la liberté. J’aimais mon pays et la littérature. Je rêvais que le monde pouvait être changé. Je croyais qu’un jour l’amour gouvernerait vraiment la vie. J’ai pris part à la révolution iranienne avec ce rêve à l’esprit, croyant que la liberté finirait par gagner, qu’il y aurait du pain pour tous et que le despotisme ne se trouverait plus que dans les musées.
Mais je me suis soudain retrouvé en enfer. Pendant trois mois, la seule personne physique dans ma vie était celui qui m’interrogeait. Son idéologie de haine venait de ses convictions religieuses, ses instruments étaient le fouet et les menottes
J’avais les yeux bandés, j’étais sans défense, comme un animal pris au piège qux mains d’un « frère ». En république islamique d’Iran, un « frère » et le terme générique de tous les croyants. Tous ceux qui interrogeaient étaient des « frères » qui portaient des pseudonymes. Ma vie était entre leurs mains, particulièrement dans celle que tous appelaient « frère Hamid ». Je ne pouvais rien faire de ce que je voulais ou devais sans sa permission, y compris manger, dormir, me réveiller, etc… Je ne pouvais même pas aller aux toilettes sans son accord. Il se considérait comme le détenteur exclusif de tous les droits, défendait le régime « sacré » et me considérait comme un traître, un espion immoral. Il était l’image de Dieu tandis que j’étais celle de Satan. Je devais « avouer » tout ce à quoi il pensait. Ce que j’ai fait, à chaque fois que je perdais conscience sous la torture, pendant les nuits et les jours où j’étais pendu au plafond et même quand il m’ont obligé à manger mes excréments.
J’étais un jeune homme idéaliste, je suis devenu la personne la plus détestable dans les mains de « frère Hamid ». Il me fallait marcher et aboyer comme un chien. J’ai du passer 686 jours à l’isolement puis faire des « aveux » qui ont été utilisés contre moi lors de ma « comparution » devant le tribunal qui a duré six minutes.
Ne nous trompons pas, ce système existe encore aujourd’hui. Depuis le coup d’état électoral de 2009, il est même rentré dans une nouvelle phase que j’appellerais « la torture des voyous ». Aujourd’hui, les insultes et le viol des femmes et même des hommes ont été ajoutés à la panoplie précédente des tortures normales et routinières.
A l’époque, les tortionnaires nous considéraient comme des espions. Aujourd’hui, ils appellent leurs jeunes détenus des déviants sexuels et des prostituées.
Et voilà comment la république islamique d’Iran est passées de sa fondation religieuse à un gouvernement de voyous.
Mesdames et Messieurs,
J’ai finalement été libéré au bout de six ans de prison. Quand je suis sorti, je ne savais pas que celui qui m’avait interrogé était devenu ambassadeur du régime islamique au Tadjikistan. Mais j’ai immédiatement remarqué que l’Iran était devenu une énorme prison.
Au dehors, les agents de sécurité sont convoquaient régulièrement ma femme et moi et nous soumettaient à des interrogatoires détaillés sur les aspects les plus privés de nos vies. J’ai toujours pensé que, si George Orwell avait été vivant, il aurait trouvé sa Ferme des Animaux dépassé et aurait écrit un nouveau livre, La République des Voyous.
Je pense que c’est la première fois dans l’histoire, que des voyous prennent le contrôle d’un pays avec plusieurs milliers d’années de civilisation et de culture. Ces voyous sont ceux-là même qui menaient les interrogatoires ; je décris l’un d’entre eux dans mon livre. Ce sont ces mêmes voyous qui nous disaient à mon épouse et à moi-même : « Vous êtes des étrangers ici. Ou vous sortez ou on va s’occuper de votre cas. »
Ce sont ces voyous qui ont utilisé l’année dernières les tortures les plus hideuses pour détruire le parti favorable à la démocratie qui venait d’être fondé. Il y a trente ans, quand « frère Hamid » et ses collègues nous torturaient impitoyablement pour nous faire dire que nous étions des agents de l’Union Soviétique, à peu près tout se passait dans le plus grand secret. Il a fallu des années pour que nos voix soient entendues en dehors de la prison.
Aujourd’hui, ils torturent des jeunes, garçons et filles, en utilisant des techniques modernes de torture pour les contraindre à dire qu’ils sont des agents des USA et d’Israël. Heureusement, tout est maintenant clair ou le devient rapidement et le monde entend parler de ce qui se passe.
Malheureusement, la torture n’est pas limitée à l’Iran. Si l’on observe avec attention, on trouvera des victimes de torture, cachées ou dévoilées, partout dans le monde.
Si l’on considère tout ce qui se passe en Iran et ailleurs, Lettres à mon Tortionnaire, est davantage que les mémoires d’une victime de la torture. Il traite de problèmes qui pèsent sur la conscience de l’homme contemporain. Et, bien sûr, il est stupéfiant que l’homme du 21ème siècle lutte encore contre un problème qui était la norme pendant sa vie à l’époque des cavernes : la torture.
*Discours à l’université UCLA
Source : http://www.roozonline.com/english/opinion/opinion-article/article/2010/october/20//love-torture-and-power.html
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