Dernière lettre de Majid Tavakoli depuis sa cellule.
De nouveau, c’est l’automne, la rentrée des classes. Il n’y a certes aucun signe de bienveillance à l’horizon automnal. De nouveau, le printemps de la connaissance coïncide avec l’automne de la nature. Et pourtant, en attendant que nos aspirations portent leurs fruits, au milieu des histoires de tristesse et de folie, nous gardons confiance en nos espérances… Sans espoir, sans l’espoir du changement, il aurait été trop difficile d’écrire encore une fois, en acceptant le risque de la redite, sur la nature criminelle, la médiocrité et la trahison de cette bande de despotes qui ont usurpé le pouvoir sur notre terre. Sans espoir, sans l’espoir du changement, il aurait été difficile d’écrire sur la bravoure et la résistance de notre peuple…
Les universités et l’esprit critique de la communauté estudiantine ont été et sont toujours le moteur qui imprime sa dynamique aux mouvements populaires. Le mouvement étudiant a été et reste toujours vivant et créatif… C’est un privilège de faire partie de cette génération méritante qui vit une époque exceptionnelle… Ayant tiré les leçons de ses expériences passées, les valeurs portées par le mouvement étudiant se sont renforcées jusqu’à devenir un arbre puissamment enraciné.
Plus d’un siècle de lutte contre des régimes despotiques ont fini par nous apprendre, qu’au cœur du manque cruel de savoir et d’humanité de la république islamique, la seule façon de mettre fin à cette longue et triste histoire de stérilité est de rester dynamique, vivant et créatif. Un siècle d’histoire nous a enseigné que la liberté a un prix, qu’il faut prendre des risques. Pour poursuivre cette longue route, nous avons la chance d’avoir une telle communauté étudiante, prête à accepter le danger pour atteindre ses buts de liberté. Pour dire vrai, l’université est sûrement le foyer des lumières et de l’esprit critique. Actuellement, la démocratie et les droits humains nous guident, nous aidant à renforcer nos efforts pour la liberté, la paix et la sécurité dans le monde entier. Tous nos espoirs reposent sur les épaules de cette nouvelle génération qui a toujours été efficace et dont les membres innombrables annoncent notre victoire totale.
Notre peuple a conclu un pacte avec nos étudiants et l’université ; un pacte pour que la liberté d’expression survive, pour que la joie et le bonheur pénètrent chaque famille, pour que la dénonciation de la violence soit tellement décisive qu’elle ne puisse plus jamais s’exprimer, pour que les chaînes entravant l’opinion et la pensée soient brisées à jamais… pour que la liberté, la démocratie, les droits humains et la prospérité prévalent. Notre peuple a un pacte difficile et vous, les étudiants, une rude tâche vous attend. Mais je sais que votre détermination l’emportera et que la dictature, même si une fois de plus elle canalise toute ses forces dans la violence, sera vaincue.
Pour la génération de 2010, comme pour la mienne, nos campus seront l’arène du rassemblement…Ils [le régime iranien] veulent une université soumise à leur volonté…Au nom de l’islam, ils ont rétrogradé les sciences en médiocrité et remplacé la connaissance par la soumission et la résignation…Il nous faut rester vigilants…
Car vous avez accepté le titre d’ « étudiant » pour prendre la responsabilité, lors de la période la plus difficile, de maintenir l’éthique élevée qui y est associée. Vous êtes les héritiers d’une longue tradition qui a su rester vivante et dynamique en dépit de longues années de répression. Vous êtes le modèle du changement, doués d’esprit critique, dotés du courage de défendre la critique, d’accepter la critique et de conserver votre bastion de lumières.
Vous recherchez la connaissance et vous dévouez à informer les autres et à éléver leur niveau de conscience ; voilà ce qui a retenu l’attention du peuple. Puisse votre unité d’aujourd’hui être l’un des privilèges dont vous ferez bon usage. Bien que la répression ait pu de temps en temps pendant ces dernières années affecter votre résolution à aller de l’avant, votre foi en votre unité, en tant que communauté étudiante, vous a aidé à éradiquer la peur et à progresser au sein du mouvement étudiant. C’était votre rôle de progresser le mieux possible. Notre grandeur ne réside pas dans le fait d’être superbe et de prendre la responsabilité de lourdes tâches. Notre grandeur a été d’atteindre de grands buts en progressant à petits pas… L’expérience des générations passées a enhardi notre vérité et ajouté de la splendeur à notre identité.
…Vous devez savoir que vous construirez votre propre avenir et que vos valeurs et votre conduite détermineront celles de la société dans son ensemble. Vous êtes au cœur des évènements, face aux soulèvements et si vous n’avez pas peur, la victoire vous appartiendra à coup sûr. Votre résistance usera le despotisme…N’abandonnez pas vos dirigeants Verts. N’oubliez pas vos prisonniers politiques et leurs familles… Si vous restez unis, la victoire est à vous.
…Attention à ne pas se tromper de voie dans notre impatience de liberté, attention de ne pas nous contenter de petites avancées dans un système basé sur la confusion, la désorganisation et l’anormalité, car demain nous rencontrerons d’autres difficultés…Attention à l’exagération en créant des héros…Attention de ne pas ajouter à la violence en essayant de dénoncer la violence…Commençons par consolider les aspirations d’hier avant d’en formuler de nouvelles, car la simple formulation de nouvelles aspirations ne nous poussera pas vers l’avant. Il n’est pas nécessaire de formuler une nouvelle exigence chaque jour.
Après toutes ces violences, toutes ces trahisons, toute cette médiocrité, après tous ces aveux contraints et tous ces simulacres de procès, les faux entretiens, la torture, l’isolement, les viols, la justice sommaire et les exécutions, après toutes ces diffamations et ce cynisme, l’espoir est toujours vivant et notre peuple espère toujours et attend avec impatience le jour où ses ennemis, qui sont les ennemis de la démocratie, de la liberté et des droits humains seront dénoncés et dévoilés et leurs visages connus de tous. En attendant, les ennemis du peuple sont nerveux, effrayés d’être témoins de l’échec de leurs politiques de répression. Peut-être le régime envisage-t-il de rétablir la Terreur. Peut-être notre peuple devra-t-il faire face une fois de plus à la Terreur. Dans ce cas, le régime devra faire activer ses troupes. Il devra le faire avec ce qui lui reste de troupes, chaque jour, d’un coin du pays à l’autre. Il lui faudra montrer ses muscles, ses bombes et ses missiles au monde. Dans ce cas, le régime devra ajouter ses crimes actuels à son passé criminel…Par la terreur et le bellicisme, le régime tente de terroriser le peuple chez lui et de décourager la communauté internationale dans son ensemble…
Mes amis !
La cloche sonne et il est de nouveau temps de rentrer en classe. Quelques chaises resteront vides cette année alors que les prisons sont pleines. Alors n’oublions pas nos camarades emprisonnés…Nous avions l’habitude de dire que les universités sont des barils de poudre que l’injustice enflammera. Alors, n’oublions pas nos frères d’autres ethnies paupérisés, nos minorités opprimées, nos journalistes emprisonnés, nos penseurs et érudits exilés, nos intellectuels opprimés, nos sœurs défavorisées, nos travailleurs réduits en esclavage, nos ouvriers et conducteurs paupérisés. Ne les oublions pas…Pendant des années, le petit nombre qui dirige notre pays de façon despotique a provoqué crise sur crise pour avoir un bon prétexte à fermer les universités…Mais notre vigilance les empêchera de remettre en oeuvre leur complot criminel et honteux incarné par la révolution culturelle. Ils ont continuellement manqué leur but suprême, ils ont fait de leur mieux pour faire passer l’université sous le joug de la médiocrité, en fermant toutes les organisations ou publications estudiantines à l’esprit indépendant, l’une après l’autre, ils ont construit leurs propres GONGOs [ONGs dirigées par le gouvernement] parallèles…
Le despotisme tremble sur ses bases. Le fascisme est mité et la dictature religieuse est proche de sa fin. L’avènement de ce millénaire signe la chute du despotisme.
Les dictateurs déchus gisent désormais dans la boue de la honte. Le processus d’érosion de la répression a commencé. Epuisés sous le poids pesant de leurs propres armes, rouillés par leurs propres mensonges, fatigués de leur propre violence, dénoncés à la face du monde libre, leurs reins seront brisés sous les pas réguliers des amoureux de la liberté. De nos jours, les dictateurs sont seuls. De nos jours, les dictateurs savent qu’ils doivent partir.
Mes amis,
Grimpons les dernières marches d’un pas plus décidé. On entend votre voix, même derrière les murs de la prison. La résolution de vos pas donnera un sens à l’histoire elle-même. De par votre volonté, votre destin sera changé, l’histoire écrite, le futur vous appartiendra et vous étreindrez l’éternité. Sans le consentement du peuple, sans le peuple à vos côtés, votre fin serait semblable à celle des despotes, réduits à faire appel à des mercenaires, à des armes de destruction massive et à des missiles pour se maintenir au pouvoir. Sans sincérité, vous serez seuls car la tromperie et la fausseté n’apportent rien d’autre que le désespoir. Sans courage, vous serez asservis…Une société sans courage et sans sincérité est une société décadente qui court à sa perte.
Rentrez à l’école maintenant, l’année qui vient promet d’être dure. Par l’unité, en restant aux côtés du peuple, vous établirez un pacte qui renforcera la solidarité, donnera son sens à la résistance pour la liberté et nous fera des lendemains radieux. Je sais que les espoirs du peuple se concrétiseront. Je sais que nous serons tous ensemble pour célébrer joyeusement la liberté.
Majid Tavakoli
Pénitencier de Rejaï-Shahr – Section 3
15 septembre 2010
Source: www.tavaana.org
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