J’ai écrit cet article pour réagir à la condamnation à 19 ans et demi de prison de Hossein Derakhshan; c’est un jeune homme qui est actuellement à l’isolement et se ronge les ongles (j’ai entendu dire qu’il les avait complètement rongés) et « ne va pas bien du tout ».
Mais cet évènement n’est en réalité qu’un prétexte pour vous (les hommes au pouvoir en Iran) dire que vous nous avez soumis depuis des années au pire pour que nous nous contentions de peu. Ce qui se passe aujourd’hui est semblable à ce qui s’est passé dans les années 80, quand nous nous contentions que les prisonniers traversent ces années de colère sans être pendus, sans même nous demander quel était le prix à payer. Mais alors, qu’attendez-vous d’une nation qui vit depuis des années sous la menace des exécutions, où les gros titres ont toujours été le retrait d’une chaise de sous les pieds d’un prisonnier ?
C’était les années 80. Après une longue période d’oubli, mon mari s’est finalement retrouvé devant le tribunal et nous attendions le verdict. Quand le jour de la visite arriva finalement, j’étais assise à la prison d’Evine, portant ce tchador (voile) noir qui me semblait recouvert de toute la poussière et de tout le sang de la prison d’Evine, ce tchador dont je n’oublierai jamais l’humiliation que me causait son port, et j’attendais mon tour pour voir mon mari. Parmi les murmures des conjoints, les cris des nourrissons et le regard lourd et choqué des mères, je me suis tracé un chemin jusqu’à la cabine où m’attendait mon mari. Quand je vis son regard, je vis la peine de mort, jaune et en morceaux. Il a uniquement eu la force de me dire : peine maximale.
Je me suis transformée en statue. Il y avait le silence, il n’y avait plus que le silence. Je me tenais au mur d’une main tandis que l’autre était posée sur la vitre qui nous séparait ; cette vitre c’est un instant transformée en une ligne qui aurait séparé l’existence du néant. Mais sa main était stable. Tout le temps de la visite s’est passé ainsi. Puis on l’a emmené et moi aussi… Non, personne ne m’a emmenée nulle part. Je ne suis pas partie ; simplement, je n’étais plus là.
J’étais devenue un robot, je n’entendais rien, ne voyais rien, ne ressentais rien. J’ai continué, j’ai attrapé la partie du tchador qui traînait par terre et l’ai attaché à celle qui me couvrait encore. J’ai simplement bougé.
J’ignore combien de temps ça a duré mais je me suis retrouvée assise par terre appuyée contre un mur. Comment étais-je arrivée là ? Je ne sais pas. Où étais-je? Je ne le savais pas. Qu’est-ce que je fuyais et de quelle sorte de mort je me rapprochais? Je ne le savais pas non plus. Au bout d’un moment, je ne sais pas combien de temps, je me suis levée et suis allée jusqu’à une cabine téléphonique. J’ai composé un numéro, le premier qui m’est venu à l’esprit. Mon amie a répondu. C’était comme si elle était Thelma alors que j’étais Louise.
« Où es-tu ? » m’a-t-elle demandé. Je ne le savais pas. « Qu’est-ce qui s’est passé ? » Je ne le savais pas. Elle a fini par me crier : « Passe le téléphone à n’importe qui. » De nouveau, comme un robot, j’ai ouvert la cabine téléphonique, j’ai tendu le téléphone en disant : « prenez-le. » Un couple qui passait par là a eu l’air embarrassé et effrayé, ils m’ont regardé et on changé de chemin. Finalement quelqu’un a pris le combiné, je le voyais parler dans le téléphone. Puis il a attrapé un coin de mon tchador et m’a fait sortir et asseoir près d’un mur. De tout ce qu’il a pu me dire, je n’ai entendu que : « Assieds-toi là et ne bouge pas. »
Mon amie est arrivée quelques minutes plus tard. Elle est sortie de la voiture échevelée, m’a serrée dans ses bras et je me suis transformée en bloc de glace fondant sous la tendresse d’un soleil, l’amitié. Et j’ai pleuré. Quelqu’un était mort en moi. Quelqu’un qui n’est jamais revenue à la vie.
L’histoire de cette « peine maximale », commuée plus tard en 15 ans et finalement la liberté au bout de six ans est un livre en elle-même.
Je n’ai raconté cette anecdote que pour expliquer que, quand on a annoncé que la peine de mon mari avait été commuée en 15 ans, j’étais si radieuse et joyeuse que je n’en savais plus quoi dire. Lui, moi, nous tous avions subi une telle torture pendant cette période que nous avions complètement oublié que toute cette histoire était complètement illégale, inhumaine, et qu’elle était, comme nous le dirions aujourd’hui, un exemple des violations systématiques des droits humains. Nous avions oublié que ces arrestations étaient illégales, comme l’étaient les années passées à l’isolement, soumis à des tortures moyenâgeuses ; illégaux aussi les procès qui ne duraient que quelques minutes et dans lesquels on étaut condamné à une peine décidée d’avance. Dans cette atmosphère, nous avions même oublié de demander pourquoi nous devions payer le dentiste pour examiner les mâchoires de notre prisonnier, battu si rudement qu’il en avait perdu les dents. Nous avions oublié de leur demander encore pire. Quand vous abattez nos enfants sans aucune pitié, pourquoi la famille survivante doit-elle payer pour vos balles ? Ou lorsque vous exercez une pression psychologique tellement inhumaine sur les prisonniers qu’ils en perdent la tête et courent tout autour des blocs de la prison tout nus, se prenant pour Dieu, le prophète ou leurs émissaires, pourquoi exécutez-vous le frère de la victime en l’accusant de renier Dieu ou d’insulter le prophète ?
Jusqu’à aujourd’hui, vous pratiquez toujours ces actes immondes. Vous mettez la pression à un jeune Iranien, énergique et talentueux, Hossein Derakhshan, jusqu’à ce qu’il accepte n’importe quelle accusation d’espionnage, puis vous demandez son exécution et le condamnez à 19 ans de prison. Vous faites cela pour que nous remerciions Dieu car sa vie a été épargnée. Nous le faisons, bien que sachant que ce Hossein ne sera plus le même Hossein. Il suffit de regarder ses mains sans ongles.
Messieurs, si vous comprenez ce que ce « Dieu merci » signifie, alors vous devriez être envahis de honte car c’est pire quel n’importe quelle insulte, bien pire. Non messieurs, nous ne nous réjouissons pas de la peine de 19 ans de prison infligée à Hossein. Nous voulons sa libération de prison, sa mère veut s’occuper de lui. En fait, nous ne nous contentons pas de demander la libération d’Hossein, mais celle de toute personne emprisonnée par vous et dont vous détruisez la vie et l’esprit. Nous ne nous satisferons que d’un seul verdict : la Liberté. Si nous ne le savions pas dans les années 80, aujourd’hui nous le savons, nous avons payé pour savoir le prix de la perte des enfants de ce pays, alors nous l’exigeons. Nous n’avons plus d’hésitation.
nooshabehamiri(at)yahoo.com
Sources : http://www.roozonline.com/english/opinion/opinion-article/article/2010/october/13//on-the-pretext-of-hossein-derakhshans-sentence.html
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