L’étudiante Kirghize Alina Alimkoulova raconte comment elle a été recrutée pour se rendre de Prague à Paris pour assister à un rassemblement de l’Organisation des Moudjahidines du Peuple d’Iran (OMPI) mouvement iranien d’opposition en exil.
L’OMPI et sa branche politique basée à Paris, le Conseil National de la Résistance d’Iran, sont souvent sujets à controverse. L’OMPI, qui appelle à un changement de régime en Iran, a récemment été retirée de la liste des organisations terroristes par les Etats-Unis et l’Union Européenne.
Le conseil national de la résistance d’Iran et sa présidente élue, Maryam Radjavi, sont connus pour organiser des rassemblements de masse qui attirent des Iraniens exilés et des soutiens VIP du monde entier. Mais, comme le prouve le journal d’Alimkoulova, certains des dizaines de milliers de supporters qui ont assisté au rassemblement du 22 juin à Paris, ont été motivés par autre chose que leur désir d’un Iran libre.
20 juin
09h00 : J’étais à Prague ; j’écoutais de la musique en ligne et je lisais les nouvelles sur les médias sociaux quand une publicité m’a attirée. Elle offrait un voyage gratuit pour Paris, une ville que j’ai toujours rêvé de visiter au moins une fois dans ma vie.
Le prix était étonnamment peu élevé : aller-retour en bus, chambre d’hôtel quatre étoiles et petit-déjeuner pour 35 euros.
J’ai écrit à l’organisateur et j’ai découvert qu’il y avait une astuce, mais je m’en moquais. L’organisateur m’a expliqué qu’il me faudrait prendre part à un rassemblement à Paris pendant quelques heures. Il m’a promis que ce rassemblement serait pacifique, sans violence, et que je rentrerai chez moi saine et sauve.
21 juin
21h00 : Je suis arrivée à une station de bus de Prague avec un ami, étudiant comme moi originaire du Kirghizstan. Comme l’organisateur me l’avait promis hier soir, il y avait huit bus qui attendaient de nous emmener à Paris.
La plupart des « manifestants » étaient jeunes ; il s’agissait visiblement d’étudiants comme moi. J’ai rencontré beaucoup de Russes, d’Ukrainiens, de Tchèques ainsi que des étudiants originaires de pays asiatiques, tous recrutés par Internet.
Plus d’une heure plus tard, nous étions toujours au terminal routier. Les gens continuaient d’arriver. Il faisait froid et il pleuvait, quelques-uns ont commencé à boire de l’alcool pour se réchauffer. D’autres ont commencé à scander des slogans : « Liberté pour les perroquets iraniens » et « Les organisateurs doivent apporter de la bière. »
Je me suis rapprochée de jeunes-filles russes pour savoir si elles en savaient plus sur le but de notre voyage. « Défendre les droits des femmes iraniennes » m’a dit l’une « Rencontrer de beaux Français » m’a dit l’autre, « Qui se soucie des Iraniennes ? »
23h12 : Finalement, les organisateurs sont arrivés et nous ont fait monter dans les bus. Le voyage commençait.
22 juin
11h56 : Après un long voyage en bus et une nuit sans sommeil, nous sommes arrivés à Paris. Les organisateurs nous ont dit que nous avions toute la journée pour visiter la ville.
J’ai rencontré un étudiant qui venait d’Allemagne pour participer au même rassemblement. Mais il croyait que nous allions participer à un rassemblement pour soutenir le changement en Irak, pas en Iran.
23 juin
00h52 : L’hôtel était à environ 60 kilomètres de Paris. On nous avait promis une nuit dans un hôtel quatre étoiles, mais je n’accorderai même pas une étoile à cet endroit minable où les organisateurs nous ont emmenés. « Qu’attendiez-vous d’autre pour un voyage tout compris à Paris de 35 euros ? » a dit quelqu’un alors que nous faisions la queue pour les toilettes.
11h42 : J’ai trop dormi et j’ai raté le petit-déjeuner. Ceux qui s’étaient réveillés plus tôt ont dit que le petit-déjeuner se composait de lait et d’un sandwich.
13h16 : Les bus nous emmènent dans un endroit étrange proche de l’aéroport Charles de Gaulle. On nous donne des papiers expliquant où aller et ce que nous devons faire. Les appareils-photos ne sont pas autorisés. En sortant du bus, je me suis résignée à l’idée que la fuite n’était pas possible – l’endroit était gardé.
Des drapeaux jaunes et pourpres pendaient partout. Le nom de « Maryam Radjavi » était écrit sur les drapeaux. Je connaissais au moins le nom de la personne qui se cachait derrière cet évènement de masse.
Voir des files de bus sans fin, venant de pays différents était quelque peu inquiétant. Les gardes de sécurité nous contrôlaient à notre entrée dans le bâtiment. Ils m’ont arrêtée parce que j’ai gardé mon appareil-photo dans mon sac à dos malgré les mises en garde des organisateurs. Bizarrement, les gardes m’ont laissé mon appareil photo quand je leur ai glissé quelques euros. En quelques secondes, j’étais à l’intérieur du bâtiment.
14h23 : Nous étions au moins 10.000 à l’intérieur. On jouait une musique étrange. On donnait à tous les participants des bons pour un sandwich et une boisson gratuits. Nous avons mangé et bu puis rejoint le rassemblement qui se tenait dans un endroit qui ressemblait à un énorme stade.
Il y avait des écouteurs sur chaque siège, apparemment pour pouvoir écouter la traduction simultanée des discours. J’ai soudain vu une femme debout à côté de moi. Elle était couverte de la tête aux pieds et n’arrêtait pas de répéter : « Allah o Akbar. »
C’en était trop pour moi, il me fallait trouver la sortie.
Près des portes de sortie, là où les organisateurs distribuaient des sandwiches au saumon et des kebabs, j’ai entendu des gens parler Kirghize, ma langue maternelle. C’étaient trois étudiants qui venaient d’Allemagne.
21h28 : J’ai passé le reste de la journée à visiter Paris avant de retourner à notre bus.
24 juin
11h57 : Nous sommes de retour à Prague. J’avais le moral à zéro et même les souvenirs que j’avais achetés à Paris ne me le remontaient pas. Réfléchissant à toute cette expérience, un dicton me vient à l’esprit : « On ne trouve de fromage gratuit que dans une souricière. »
Source : http://www.rferl.org/content/iran-mko-ncri-rally-diary/25029410.html