19 mai 2011: Nasrine Sotoudeh, avocate et défenseur des droits humains incarcérée à la prison d’Evine depuis 9 mois, a écrit une lettre à son fils de 3 ans Nima, une lettre écrite sur des mouchoirs en papier puisqu’elle n’a pas de papier.
Bonjour mon très cher Nima,
Il est si difficile de t’écrire une lettre mon cher Nima. Comment te dire où je suis alors que tu es tellement innocent et trop jeune pour appréhender la vraie signification de mots comme prison, arrestation, verdict, jugement, injustice, censure, oppression et leurs antonymes libération, liberté, justice, égalité, etc…
Comment être sûre que j’emploie bien des mots que tu puisses comprendre aujourd’hui et non pas dans le futur ? Comment expliquer qu’il ne dépend pas de moi de rentrer à la maison, que je ne suis pas libre d’accourir vers toi, quand je sais que tu as dis à ton père de me demander de finir mon travail pour pouvoir rentrer à la maison ? Comment t’expliquer qu’aucun « travail » ne pourra jamais me tenir si éloigné de toi ? Comment te dire qu’en fait, aucun « travail » n’a le droit de me garder loin de toi pendant si longtemps ; qu’aucun « travail » n’a le droit d’ignorer de façon si flagrante les droits de mes enfants ? Comment t’expliquer que ces 6 derniers mois, on ne m’a pas accordé le droit de te voir ne serait-ce qu’une heure ?
Que devrais-je te dire mon fils? La semaine dernière tu m’as demandé : « Maman, tu rentres à la maison avec nous aujourd’hui ? » et j’ai été contrainte de te répondre au vu et su des agents de sécurité : « Mon travail va encore durer un peu, alors, je rentrerai à la maison plus tard. » Tu as alors hoché la tête comme pour dire que tu comprenais, tu as pris ma main et tu y a déposé un doux baiser enfantin de tes petites lèvres.
Mon cher Nima, ces six derniers mois, je n’ai pas pu m’empêcher de pleurer par deux fois: la première, quand mon père est mort et que l’on m’a interdit le deuil et d’assister à ses funérailles, la deuxième, le jour ou tu m’as demandé de renter à la maison et où je n’ai pas pu t’y accompagner. Je suis rentrée dans ma cellule et j’ai sangloté sans pouvoir me retenir.
Nima, mon chéri, dans les dossiers de garde d’enfants, les tribunaux ont, à de nombreuses reprises, voté sur les droits de visite : un enfant de trois ans ne peut être laissé en compagnie de son père 24 heures d’affilée. Cette jurisprudence a été établie car les tribunaux croient que les jeunes enfants ne devraient pas être éloignes de leur mère pendant 24 heures et qu’une telle séparation entrainerait des dommages psychologiques pour l’enfant.
Cette même justice peut cependant ignorer les droits d’un enfant de 3 ans sous le prétexte que sa mère chercherait à agir contre la sécurité nationale du pays.
Il va sans dire que cela me peine de devoir t’expliquer que je ne cherchais en aucune façon à agir contre « leur » sécurité nationale et qu’en tant qu’avocate, mon seul but a toujours été de défendre mes clients dans le cadre de la loi. Je ne souhaite pas non plus te prouver, par exemple, que le contenu des interviews que j’ai données ont été publiés et qu’en conséquence de mes critiques des verdicts, inhérentes à mon rôle d’avocate, on m’a maintenant jugée passible de 11 années d’incarcération.
Premièrement, je voudrais que tu saches, mon Nima bien-aimé, que je ne suis certes pas la première personne à recevoir une condamnation tellement injuste et, bien que cela soit hautement improbable et utopique de ma part, j’espère quand même être la dernière.
Deuxièmement, je suis très contente et cela au moins m’apaise d’être détenue au même endroit que beaucoup de mes clients que je n’ai pas pu défendre efficacement et qui maintenant sont incarcérés en raison d’un processus judiciaire illégal.
Troisièmement, je voudrais que tu saches qu’en tant que femme, je suis fière de la lourde peine à mon encontre, j’ai eu l’honneur de défendre beaucoup de militants des droits civiques et de personnes qui protestaient contre les résultats des élections. En tant qu’avocate, je suis au moins contente d’avoir été condamnée plus lourdement qu’eux.
Les efforts tenaces des femmes ont à la fin prouvé que peu importe qu’on les soutiennent ou pas, on ne peut plus les ignorer.
Je ne sais trop comment te demander cela mon Nima bien-aimé. Comment te demander de prier pour le juge, de prier pour celui qui m’a interrogé ou pour le système judiciaire ? Prie, mon fils, pour que la justice et la paix envahissent leurs cœurs, pour qu’un jour, nous aussi, puissions vivre en paix comme tant d’autres pays du monde.
Mon chéri, dans de tels dossiers, la victoire finale ne dépend pas d’une défense efficace car, en la matière, mes avocats ont fait tout ce qui étaient en leur pouvoir pour me défendre. Ce qui est plutôt en jeu, c’est l’oppression d’humains innocents, piétinés et écrasés sous des idéaux tellement bizarres. Il va sans dire que, dans le jeu de la vie, les innocents finissent toujours par gagner ; c’est pourquoi je te demande, mon cher Nima, avec toute l’innocence de ton enfance, de prier pour la libération, non seulement des prisonniers politiques mais aussi de tous les prisonniers innocents.
Dans l’espoir de jours meilleurs,
Maman Nasrine,
Mars 2011
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