samedi 21 mai 2011

La torture derrière les murs d'Evine - Saïd Pourheydar


Vendredi 13 mai 2011 – Dans une lettre adressée au guide suprême  Seyyed Ali Khamenei,
Mehdi Mahmoudian décrit la situation insupportable des prisons d’Evine et de Radjaï Shahr et ce que les prisonniers politiques doivent endurer ; c’est pour moi une réalité dont j’ai non seulement été témoin, que j’ai entendue raconter par les prisonniers de mon bloc, mais aussi quelque chose que j’ai expérimenté dans ma chair.

Après les élections présidentielles truquées, j’ai été arrêté par deux fois. La première, j’ai été détenu à l’isolement, puis dans une cellule de 5 personnes au bloc 240 d’Evine. La seconde fois, j’ai été détenu avec 19 autres prisonniers au bloc 350 d’Evine* ; les longues heures de discussion derrière les barreaux m’ont donné la possibilité de parler avec les autres prisonniers des tortures psychologiques et physiques endurées pendant les interrogatoires. Ces discussions sincères sur les détails des arrestations, des interrogatoires, de la torture et des jugements ont été consignés dans quatre carnets de cent pages que j’ai l’intention de publier en temps voulu.

Ce qui suit n’est qu’un bref résumé de ces discussions de l’automne et de l’hiver de l’année dernière avec 19, sur un total de 160 prisonniers politiques, arrêtés après les élections transformées en coup d’état et détenus au bloc 350 ; ce résumé se référe surtout aux tortures physiques et psychologiques qu’ils ont subies. De ces 19 prisonniers politiques avec lesquels j’ai discuté, 3 étaient mes camarades de cellule, mes meilleurs amis ; ils ont été exécutés, deux autres ont purgé leur peine et ont été libérés. 14 sont toujours derrière les barreaux au bloc 350 dont 3 ont été condamnés à mort et attendent leur exécution.

Ce que je décris se limite à mon expérience personnelle et à celle d’autres prisonniers politiques d’Evine, plus spécialement du bloc 2A* et des blocs 209 et 240*.

Revenir sur ce qui s’est passé est à la fois douloureux et amer, mais je crois fermement que nous ne pourrons nous affranchir de ce regard en arrière que lorsque que nous aurons vaincu ; il sera alors temps de regarder en face ce qui adviendra. J’ai donc choisi de délivrer mon esprit de ces souvenirs amers et d’en parler, dans l’espoir que le monde atteigne un certain degré de conscience des supplices que la noble jeunesse iranienne, éprise de liberté, accusée de pensée et de philosophie « Verte », a dû endurer dans les serres de la tyrannie.

La Torture physique

J’ai partagé une cellule de trois personnes du bloc 350* d’Evine avec un prisonnier dont les tortures physiques et psychologiques tourmenteraient toute personne à l’esprit libre. Il avait 25 ans et avait été arrêté sur des accusations injustifiées et non fondées par des agents des gardes révolutionnaires à l’aéroport Imam Khomeiny ; il avait été transféré au bloc 2A* d’Evine et avait supporté des tortures physiques et psychologiques inimaginables pendant ses 6 mois à l’isolement.

Ceux qui l’interrogeaient lui avaient uriné au visage. Il avait été sévèrement battu et avait été fouetté sous la plante des pieds. Il avait reçu à plusieurs reprises des chocs électriques pendant les interrogatoires ; il avait été tellement frappé sur les testicules qu’il en avait perdu conscience. Ceux qui l’interrogeaient utilisaient des pinces sur plusieurs parties de son coup ; trois d’entre eux ont été jusqu’à le traiter comme un ballon, lui donnant des coups de pieds si violents que mes médecins légistes avaient même motivé une forme de torture en confirmant les blessures au crâne et une fracture du nez.

L’une des pires formes de torture endurée par ce très cher ami a été son viol par les membres des gardes révolutionnaires qui l’interrogeaient ; ils ont versé de l’adhésif plastique dans son anus puis l’ont arraché une fois qu’il avait durci.

Bien qu’il soit toujours derrière les barreaux, malgré les tortures brutales et inhumaines, il refuse toujours de faire de faux aveux.

Lors d’une conversation de trois heures sur un banc du bloc 350*, un autre de nos innocents collègue Vert incarcéré a décrit les tortures subies quand il était au bloc 2A*.

On l’a jeté dans un baquet d’eau froide et il a été détenu à l’isolement pendant 10 jours dans une cellule d’un mètre 25 de haut. Pendant des heures, on l’a forcé à rester debout, nu, dehors, en plein hiver. A plusieurs reprises, il a eu la tête poussée dans la lunette des toilettes pendant qu’on tirait la chasse. Il a été sévèrement battu, on l’a complètement dépouillé de ses vêtements et il a été molesté pendant les interrogatoires. Ce ne sont que quelques exemples des tortures qu’il a dû endurer pendant ses deux mois à l’isolement au bloc 2A*. Il a été transféré il y a quelques mois au bloc 350* d’Evine où il attend son procès.

Une autre forme de torture: obliger les prisonniers à s’asseoir sur le sol, nus, pendant qu’on leur frappe le dos avec des matraques et des câbles. Beaucoup de prisonniers sont obligés de rester debout pendant des heures. Deux prisonniers auraient perdu connaissance après un tel traitement. On oblige les prisonniers à prendre des psychotropes, on m’y a obligé. On les pend par l’épaule ou la jambe. Pendant les interrogatoires, on leur coince la tête sur les bras d’un  fauteuil et on les frappe à coups de pied sur les parties sensibles du corps comme les testicules. On oblige les prisonniers à se coucher sur le ventre pendant que deux ou trois personnes leur marchent sur le dos. Il y a eu beaucoup de déchirures de tympan sous les coups fortement portés à la tête, au visage et aux oreilles. On bande souvent les yeux des prisonniers pour les empêcher de réagir quand on les frappe au visage. Ce ne sont que quelques exemples des myriades de méthodes de torture décrites par nombre de prisonniers politiques durant leur détention dans les blocs 209*, 240* et 2A* d’Evine. Beaucoup de ces prisonniers sont actuellement au bloc 350* d’Evine ; soit ils purgent leur peine, soit ils attendent le verdict, ne sachant à quoi s’attendre.

La torture psychologique

La douleur causée par la torture physique peut s’estomper avec le temps mais les effets de la torture psychologique persisteront pendant des années. Avant mon arrestation, le 5 février 2010 et en raison de mes problèmes cardiaques, je prenais quotidiennement un comprimé de Pronol, un béta-bloquant, dosé à 10 mg. Aujourd’hui, le seul bienfait que j’ai reçu de mes jours passés à l’isolement et des brutales tortures psychologiques et physiques que j’ai subies, c’est que je prends deux à trois comprimés de Pronol dosés à 40 mg par jour, plus une myriade d’autres sédatifs que j’ai été contraint d’absorber pendant les mois qui ont suivi ma sortie de prison. L’impact négatif sur mon psychisme a, sans aucun doute, créé de nombreux problèmes dans ma vie quotidienne.

Presque tous les prisonniers politiques ont fait l’expérience d’une forme de torture psychologique ou d’une autre. Même en supposant, ce qui est impossible, qu’un prisonnier n’ait pas été soumis à des pressions psychologiques, le temps passé à l’isolement est en lui-même l’une des pires formes de torture psychologique. Il va sans dire que quiconque n’a pas fait l’expérience, ne serait-ce qu’une heure, d’emprisonnement à l’isolement ne pourra jamais comprendre complètement ce que cela signifie.

Les simulacres d’exécution, une forme horrible de torture psychologique sont très répandus au bloc 2A*. Trois des prisonniers avec lesquels j’ai parlé au bloc 350* m’ont dit en avoir subi et l’un des détenus du bloc 350* m’a décrit comment il avait subi deux simulacres d’exécution.

On rend visite au prisonnier avant l’aube tandis qu’il se trouve à l’isolement et on lui dit qu’il va malheureusement être exécuté. On lui bande alors les yeux, on l’entrave et on le mène dans la cour du bloc 2A*. On place le prisonnier sur un tabouret, on lui place un nœud coulant autour du cou et on lui demande ses dernières volontés avant d’être pendu.

Un ami m’a dit être resté debout, les yeux bandés, le nœud coulant au cou, lors du premier simulacre pendant 30 minutes, pendant que celui qui l’interrogeait lui expliquait qu’ils attendaient l’arrivée du responsable de la prison, d’un observateur judiciaire et du médecin légiste avant l’exécution du verdict. Au bout d’une demi-heure, on l’informa que, le directeur de la prison n’ayant pu venir, l’exécution devant avoir lieu avant l’aube, l’exécution était retardée de quelques jours.

Bien sûr, personne n’appréhende totalement l’état psychologique d’un prisonnier politique force d’attendre debout sur un tabouret, les yeux bandés; personne ne peut imaginer le supplice suscité par une attente de quatre jours avant d’être soumis à cette même mise en scène.

Quatre jours plus tard, on le réveille de nouveau et on l’emmène de nouveau dans la cour du bloc 2A*. De nouveau, le nœud coulant entoure son cou et il se tient sur le tabouret de la mort. Le verdict de son exécution lui est lu. On lui demande ses dernières volontés. On retire le tabouret de sous ses pieds, mais la corde est trop longue et il s’écroule sur le sol ; alors, les deux personnes qui l’interrogeaient et qui l’encadrent actuellement éclatent de rire et déclarent : « Tu as eu de la chance cette fois-ci ; la corde s’est rompue. Tu peux retourner dans ta cellule maintenant jusqu’à ce que nous décidions exactement quant tu seras pendu. »

Je suis sûr que vous vous souvenez des ridicules procès mis en scène en 2010, après les élections présidentielles et les faux aveux de plusieurs personnalités célèbres ou moins célèbres qui s’en sont suivis ; ils avaient été forcés de témoigner contre eux-mêmes et le Mouvement Vert. La façon dont ces procès ont été menés est une longue histoire dont j’ai l’intention de mettre les détails par écrit : comment on a préparé les prisonniers pendant des jours à répéter ce qu’ils diraient au tribunal ou bien comment on les a forcés à se laisser pousser la moustache avant le procès.

Je suis sûr que vous voudriez savoir pourquoi certaines personnalités ont accepté de témoigner contre eux-mêmes et le Mouvement Vert. L’une de ces personnalités de premier plan a résisté aux exigences de ceux qui l’interrogeaient pendant 2 mois ; comment a-t-il finalement cédé ?

Un jour, ils ont rendu visite à l’épouse et à la fille de cette personnalité et les ont emmenées à la prison sous prétexte de rendre visite à leur époux et père. Ont leur a demandé de rester dans une pièce pour attendre l’arrivée du prisonnier.

La pièce possédait une vitre sans tain. Le prisonnier a été amené de l’autre côté de la vitre. On lui a dit : « Comme tu le vois, on a emmené ta femme et ta fille ici. A toi de voir si tu veux parler au tribunal ou pas. » Le prisonnier a continué de refuser d’avouer. Celui qui l’interrogeait a alors appelé son collègue au téléphone : « Hadji, apparemment il pense toujours qu’on rigole. » Il a raccroché le téléphone. La porte de la pièce dans laquelle se trouvaient son épouse et sa fille était ouverte. Deux prisonniers dangereux et costauds, condamnés pour meurtre, sont alors entrés dans la pièce. Celui qui l’interrogeait s’est alors placé face à lui : « Tu vois,  mon frère, ces deux hommes aux côtés de ta femme et de ta fille ; ils ont été condamnés à mort  pour meurtre. Ca fait un petit bout de temps qu’ils sont en prison et ils n’ont eu aucun contact avec des femmes pendant ce temps. Je te laisse une minute pour réfléchir à ta réponse, tu veux ou pas aller au tribunal et t’asseoir face aux cameras. Si ta réponse est non, je les dirai de commencer là, juste devant toi. » Et voilà comment cette personnalité de premier plan a été obligée de témoigner contre lui-même et d’autres.

Ce qui précède n’est que trois exemples de torture psychologique subie par les prisonniers politiques du bloc 2A et des blocs 209* et 240*. Et encore, il ne s’agit que de ce qui est arrivé à 19 des 160 prisonniers politiques incarcérés au bloc 350 d’Evine avec lesquels j’ai eu le privilège de discuter pendant des heures.

Il va sans dire que pour comprendre la profondeur de la tragédie et exposer clairement les grossières violations des droits humains, il nous faut prendre en compte la totalité de ce que des centaines d’autres amis ont subi avant et après mon incarcération au bloc 350* d’Evine, sans oublier les détenus à l’isolement aux blocs 209*, 240* et 2A d’Evine, à la prison de Radjaï Shahr ou dans d’autres prisons iraniennes.

En tant que journaliste récemment libéré de prison, j’atteste, qu’en dépit de toutes ces tortures, persécutions, en dépit de l’isolement de la société et de la nostalgie, les prisonniers du Mouvement Vert Démocratique, dans les serres d’un dictateur, continuent de résister avec dignité à l’intérieur du bloc 350* de la prison d’Evine. J’attends la libération de tous ces combattants de la liberté et je suis sûr que le jour où nous serons tous libérés arrivera plus tôt que nous le pensons.


Saïd Pourheydar
Journaliste & Membre de la Maison des Droits Humains d’Iran (RAHANA)

* Note du traducteur : La prison d’Evine compte plusieurs blocs ou unités :
Le bloc 2A est placé sous la supervision des gardes révolutionnaires
Les blocs 209 et 240 sont placés sous la supervision du ministère du renseignement
Le bloc 350 est le bloc commun où sont détenus les prisonniers politiques

Source; RAHANA - http://www.rahana.org/archives/39789

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