dimanche 8 mai 2011

Lettre de Farzad Kamangar - Mars 2008 - Radjaï-Shahr


Bonjour les enfants,

Tous, vous m’avez tous manqué. Ici, je compose des chansons de vie grâce aux doux souvenirs et aux pensées que vous m’avez laissés. Chaque jour, je salue le soleil au lieu de vous saluer.  Par-delà ces hauts murs, je me réveille avec vous, je m’amuse avec vous et je m’endors avec vous. De temps en temps, chaque fibre de mon être brûle de « quelque chose qui ressemble à de la nostalgie. »

 Je voudrais, comme avant, pouvoir rentrer fatigué de ce que nous appelions des voyages dans les champs, épuisé de tout le tumulte, nous débarrasser de la poussière de nos vêtements dans l’eau limpide des sources de notre village. Je voudrais pouvoir épier « le bruit du courant » en nous abandonnant aux caresses des feuilles et des fleurs, faire la classe parmi la symphonie fantastique de la nature et laisser sous une pierre nos livres de maths pleins d’inconnues car, lorsqu’un père ne peut subvenir aux besoins de sa famille, qu’est ce que cela peut faire que Pi soit égal à 3.14 ou à 100.14 ?

Je voudrais pouvoir, comme avant, abandonner  nos cours de sciences, pleins de toutes les transformations chimiques et physiques du mond,e pour pouvoir dire au revoir aux nuages émaillant le ciel, main dans la main avec la brise dans une transmutation d’amour et de miracle. Et nous attendrions impatiemment le changement pour que Kourosh, votre enthousiaste camarade de classe, ne soit pas obligé d’abandonner ses études pour travailler, qu’il ne court pas de haut en bas d’un immeuble pour gagner sa vie et qu’il ne nous abandonne pas. Nous aurions pu attendre ce changement qui nous aurait amener une paire de chaussures neuves, un nouveau costume et une table pleine de sucreries et de gâteries pour le Norouz.

Je voudrais pouvoir, encore une fois, loin d’un directeur sourcilleux, réciter notre alphabet kurde, nous déclamer des poèmes dans notre langue maternelle, chanter, et, nous tenant la main, danser, danser, danser.

Je voudrais pouvoir redevenir le gardien de but des garçons de première année, pour vous permettre de rêver d’être Ronaldo en marquant un but à votre maître, en vous embrassant. Hélas, vous ignorez que dans votre patrie, les rêves et les désirs étaient enfouis sous la poussière du temps, avant que nos portraits n’en soient couverts. Je voudrais pouvoir être l’acteur permanent du spectacle des filles de première année jouant à Amou Zandjir Baf, et je sais que ces filles écriront discrètement dans les marges de leurs journaux intimes dans quelques années « Je voudrais ne pas être née fille. »

Je sais que vous avez grandi, que vous allez vous marier, mais pour moi, vous restez ces anges purs et innocents dont les beaux yeux portent en eux les restes du baiser d’Ahura Mazda. Qui sait ? Peut-être que vous, les anges, si vous n’étiez pas nés dans la douleur et la pauvreté, vous recueilleriez des signatures pour la campagne en faveur du droit des femmes. Et si vous n’étiez pas nés dans ce lieu oublié de Dieu, si à l’âge de 13 ans, les yeux pleins de larmes et de regrets sous le voile blanc virginal, vous ne seriez pas obligées de dire adieu à l’école pour faire l’expérience de toutes les fibres de votre être de « l’histoire amère d’un citoyen de seconde classe. » Filles de la terre d’Ahura, lorsque vous vous embarquerez au sein de Mère Nature pour ramasser des feuilles de menthe pour vos enfants ou confectionner des couronnes florales de violettes, rappelez-vous toute la pureté et la joie de votre enfance.

Fils de la Nature et du Soleil, je sais que vous ne pouvez plus restez avec vos camarades de classe à lire et rire; après « la calamité de la virilité », il vous faut affronter la douleur de gagner sa vie, mais n’oubliez pas vos poèmes, les chants, les rêves et les jeunes filles. Enseignez à vos enfants qu’ils sont les rejetons de « la rime et de la pluie » pour leur pays, aujourd’hui et tous les jours à venir. Je vous abandonne au vent et au soleil, je vous abandonne pour que, dans un futur pas si lointain, vous donniez des leçons d’amour et de sincérité à votre pays.

Votre camarade d’enfance, camarade de jeu et enseignant,
Farzad Kamangar – Prison de Radjaï Shahr Prison, Karadj – Mars 2008

Source: http://www.en-hrana.com/index.php?option=com_content&view=article&id=292:to-the-wind-and-the-sun-i-leave-you&catid=4:article&Itemid=3

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